La coopération, un vieux principe plein d’avenir
Nous assistons à une remise en question forte des stratégies et des attitudes compétitives. En parallèle, la coopération, déjà développée par l’économie sociale du 19ème siècle, semble revenir sur le devant de la scène.
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Les incertitudes croissantes qui pèsent sur l’avenir obligent à de profonds changements. Nous pensons que ces changements sont des opportunités pour redécouvrir des principes anciens, mais largement oubliés, de mutualisation, de coopération, voire d’entraide, au sein des entreprises, entre entreprises, et entre entreprises et services publics. Cet article a pour but d’illustrer des situations de coopération concrètes issues de notre expérience à réalise.
La situation géopolitique internationale, la croissance des inégalités, la progression du populisme sont quelques-uns des facteurs qui rendent notre monde plus volatile, incertain, complexe et ambigu1. La reconnaissance (enfin!) des frontières écologiques au-delà desquelles nous courons le risque d’un collapse général rend nécessaire une transformation complète de l’économie et de la société. Une durée de 20 ans est régulièrement citée, notamment face aux enjeux climatiques, ce qui est très court. A ces facteurs externes aux organisations s’ajoutent les attentes des nouvelles générations en termes, par exemple, de sens, d’éthique, de reconnaissance et d’autonomie, amplement discutées ces dernières années. Nous pensons que nous allons assister à une remise en question forte des stratégies et des attitudes compétitives pour retrouver une valeur historique de coopération développée par l’économie sociale du 19ème siècle.
Réseaux et partage
Notre entreprise de formation et de placement direct, fondée en 1984, est guidée depuis sa naissance par des valeurs de coopération et de partage. Ces valeurs ont rapidement permis de faire face aux premières difficultés de taille. Personne ne croyait alors qu’une entreprise puisse être sociétale, donc avoir une raison d’être qui soit le bien commun, tout en ayant un modèle économique viable.
Nous avons lancé à la fin des années 80 une coopération avec les autres entreprises similaires nées pendant cette période, pour faire reconnaître nos spécificités. Ce réseau est devenu avec le temps une fédération nationale avec la reconnaissance qui y est associée. Cette fédération organise des échanges de bonnes pratiques par des séminaires réguliers. La mutualisation régulière d’expériences positives et d’échecs nous a permis d’éviter de nombreuses erreurs et de s’inspirer des idées de nos collègues.
Notre management interne basé sur la confiance et l’autonomie a pour but d’assurer une coopération idéale entre nos collaborateurs. Nous voulons stimuler l’intelligence collective et un fonctionnement agile. C’est cela qui permet au soussigné d’être directeur à temps partiel! La coopération est ainsi un ingrédient du «management libérateur» qui rend le temps partiel parfaitement opérationnel pour de nombreuses fonctions, porteur de sens, efficace et attractif pour les jeunes talents.
Combien de visiteurs à réalise se sont aussi étonnés des bureaux qui mélangent toutes les fonctions et tous les niveaux hiérarchiques, des apprentis aux directeurs, dans un même open space avec le même bureau, au centimètre près? Le co-working devient très tendance pour les entrepreneurs indépendants. Comme de nombreuses autres entreprises, nous avons expérimenté cette organisation des espaces en interne depuis longtemps et nous sommes en train d’aller encore plus loin dans cette vision. La cafétéria par exemple devient actuellement un espace de co-working en dehors des repas.
Un exemple de coopération innovante
Plus récemment, nous avons mis sur pied un programme innovant de formation dans le domaine du digital. Il s’adresse à des personnes sans diplôme, sélectionnées en fonction de leurs aptitudes à se former comme développeur web (notamment).
C’est une idée originale que l’entreprise sociétale Simplon.co à Paris propose de mutualiser à travers le monde. Simplon et réalise partagent une raison d’être: contribuer à l’accès au marché de l’emploi pour des personnes non diplômées; et des valeurs similaires: partager pour un impact sociétal maximum dans un esprit entrepreneurial orienté sur l’innovation.
Au lieu de passer des heures à discuter de nos intérêts particuliers, partant d’une posture de méfiance typique des relations concurrentielles, nous avons coopéré de manière très efficace pour adapter en quelques mois un premier programme à Genève. Cette formation a démarré en novembre 2018 avec 25 participants.
Durant le développement de l’ingénierie de la formation de ce programme, nous avons aussi pu compter sur l’aide de nombreuses entreprises du digital et de l’Université de Genève. Plus que tous les autres secteurs économiques, les entrepreneurs du digital ont compris qu’il fallait changer de modèle relationnel avec leurs clients comme avec leurs collaborateurs. Les pratiques les plus innovantes en matière de gouvernance d’entreprise (holacratie2) et de travail collaboratif (Linux Foundation) proviennent d’ailleurs du monde digital et essaiment lentement dans le reste de l’économie.
A nouveau, cette manière de procéder s’est montrée efficace, motivante et très propice à l’innovation. Un tel groupe de travail permet de stimuler une intelligence collective «inter entreprise/organisation», qui permet à réalise d’aller plus loin et plus vite qu’avec nos ressources internes.
Ces exemples concrets montrent que notre entreprise de 98 collaborateurs, qui forme plus de 450 personnes par an, pratique avec succès la coopération, la mutualisation, la co-construction et le co-working. Pour faire face à un avenir incertain, pour être agile et innovant, pour attirer les talents des nouvelles générations, les valeurs de coopération, de co-construction, de mutualisation semblent offrir de belles perspectives à toutes les entreprises.
Propriété intellectuelle et égo
Il y a toutefois de nombreux freins et la coopération n’est pas une nouvelle panacée. Les questions de propriété intellectuelle, des égos insurmontables, des exigences élevées en compétences relationnelles (soft skills), des croyances profondes sur les vertus sans limite de la compétition, ne peuvent être occultées.
Nous espérons que la recherche en management accordera plus d’attention à la coopération à l’avenir. Un programme Interreg franco – suisse3, auquel réalise est associée, s’intéresse actuellement à «l’innovation ouverte et prospective». L’hypothèse est que les entreprises de l’économie sociale et solidaire ainsi que celles du digital, par leurs valeurs de coopération et de co-construction, sont plus innovantes que celles qui sont guidées par des valeurs de méfiance et de stricte compétition. C’est un pas intéressant dans ce sens et près de nous.
Les principes de coopération sont nés avec la création de la société des équitables pionniers de Rochdale, en Angleterre, en 1844. La Suisse commence à redécouvrir les coopératives et à reconnaître plus globalement la dimension pionnière de l’économie sociale et solidaire. La coopération nous semble être un vieux principe plein d’avenir.