Conseils pratiques

La crise sanitaire, accélératrice de changements dans le monde RH

C'est une évidence, la crise sanitaire a bouleversé le monde du travail et, de ce fait, accéléré les changements de fond à l'oeuvre ces dernières années dans le domaine des RH. C'est l'une des conclusions du livre blanc publié par Loyco qui paraîtra cet automne sous forme digitale: «Le monde change: les RH aussi?»

Ce livre blanc retranscrit la substance des échanges de pratique et de vision sur l’évolution de la fonction RH entre 10 responsables RH d’organisations suisses romandes et de trois experts thématiques. Ceci à deux instants et sous deux formats assez symptomatiques des changements que nous traversons: une chaleureuse retraite montagnarde d’automne, juste avant que ne déferle la première vague du fameux virus; et un atelier digital en juin 2021, alors que nous commençons enfin à avoir le recul nécessaire pour observer les transformations opérées depuis lors.

Accompagner les changements

Le premier séminaire, tenu en 2019, avait pour objectif de débattre du rôle des RH face aux grands changements sociétaux actuels et aux transformations qu’ils engendrent au sein des organisations. Il en a émergé clairement que la responsabilité des RH, et donc son défi, est double: préparer et accompagner les changements auprès des collaboratrices et collaborateurs d’une part, et repenser leur propre positionnement et mode de fonctionnement d’autre part.

La crise sanitaire a confirmé la grande pertinence des thèmes choisis alors et a accéléré les changements à l’œuvre, ceci notamment sur quatre thématiques: l’agilité, l’importance du leadership humain, le management basé sur la confiance et la digitalisation.

Une gestion agile des Ressources humaines

La crise sanitaire a plus que jamais testé l’agilité des organisations. Les RH en ont été à la fois témoins, facilitatrices et actrices. Les entreprises ont dû répondre rapidement, s’adapter, se réinventer, notamment en instaurant le télétravail pour certaines du jour au lendemain, en réarticulant les horaires et les plannings, adaptant leur business modèle, etc. Et il a été du rôle des RH d’expliquer, communiquer, accompagner. Elles ont par ailleurs dû faire preuve d’un maximum de cette agilité elles-mêmes. En effet, dans ces temps mouvementés, les processus ou les règles n’étaient plus adaptés. Les lois mêmes ont dû changer dans l’urgence. Certain.e.s collaborateur.rice.s ont par exemple adoré les avantages du télétravail, alors que d’autres en ont fortement souffert. Les solutions ont dû être individuelles, le soutien personnalisé. Souplesse et sur mesure sont alors devenus les outils les plus fiables pour trouver des solutions adaptées à chaque personne et à son environnement familial.

Pour Isabelle André, Head of Swiss HR Transactional Expertise Center chez Richemont Group, «il faut continuer à réinventer nos modes de travail et repenser les processus RH. (...) Pour faire face aux prochaines crises, qui ne manqueront pas de se produire, il nous faut rester agiles.»

Un leadership de l’humain

Par ailleurs, pour Maxime Morand, fondateur de provoc-action et intervenant du premier séminaire, les RH devront à l’avenir incarner toujours davantage un leadership centré sur l’humain et influencer les autres leaders de l’organisation dans ce sens. Il propose même un changement de champs lexical pour marquer la sortie d’une vision matérialiste et utilitariste de l’humain dans les organisations: ces «ressources» humaines, ces «compétences». Il préfère parler de l’humain... «en ressources». Dans la même veine, pour Stéphanie Dabrowski, Head of Talent chez Loyco, les RH des nouvelles organisations devront faciliter l’instauration d’une culture de la bienveillance et du soutien peer-to-peer pour que les membres des équipes prennent soin les un.e.s des autres.

Or, la crise a démontré que les tentatives de «remettre l’humain au centre» par les RH depuis plusieurs années font entièrement sens au niveau managérial. «Trop de poids était (auparavant) accordé au salaire et aux avantages matériels», constate Isabel Mann, Directrice RH à la Fondation de Vernand, qui a participé au séminaire. Soudain, l’importance des fonctions RH s’est à nouveau imposée comme une évidence et l’aspect «relations humaines» du métier a retrouvé toute son importance. Les situations personnelles ont dû être prises en compte dans leur ensemble, y compris la situation familiale, l’état de santé, les caractéristiques de logement etc. pour que chacun.e puisse continuer à travailler dans des conditions acceptables. «Les RH constituent un contre-pouvoir aux dynamiques de stan- dardisation, et cette crise l’a bien mis en lumière», ajoute Emmanuelle Grosclaude, Kinetic HR Consultant, qui a participé à notre workshop.

Une culture de la confiance et de la responsabilité

L’un des autres changements de fond dans les organisations adressés lors de la retraite est celui de l’affaiblissement du paradigme du management hiérarchique basé sur le contrôle, alors qu’un nouveau paradigme gagne progressivement du terrain, basé sur l’autonomie et la confiance. Selon Christophe Barman, cofondateur de Loyco, l’autonomie est l’un des trois facteurs clés de la motivation des collaborateur.rice.s. Rien de tel pour garantir l’engagement que la liberté d’identifier les problèmes, tester des solutions, organiser son temps et ses priorités, porter sur ses épaules la responsabilité des succès comme des échecs. Or, le rôle des RH pour initier et accompagner ce changement de culture managériale est crucial.

Il se trouve que les mesures de protection mises en place par nos gouvernements pour faire face à la pandémie, en imposant le télétravail, ont éloigné physiquement les équipes de leurs chef.fe.s et donc accéléré cette transformation des cultures organisationnelles. Plus possible de se rassurer sur le fait qu’un.e collègue travaille simplement par le constat de son présentéisme. Emmanuelle Grosclaude constate un fossé profond entre les équipes et managers qui étaient prêts et ont «surfé sur la vague», et ceux pour qui le choc a été violent.

Il a été et est toujours du ressort des RH de jouer ce rôle essentiel identifié lors de la retraite: former, coacher, pour accompagner ce changement de culture. Et notamment pour renforcer la confiance en eux des managers, afin qu’ils puissent être rassurés sur le fait qu’en partageant une partie de leur pouvoir, en relâchant le contrôle, leur rôle continue d’avoir du sens.

Digitalisation

Enfin, les récents événements ont encore accéléré la digitalisation galopante de notre société, l’un des sujets cœur de notre workshop montagnard. Digitalisation des outils, des processus, des modes de communication, mais surtout l’arrivée de l’intelligence artificielle, avec toutes les tâches humaines qu’elle peut remplacer et la transformation du marché du travail qui s’ensuivra. Encore une fois, les RH se doivent de communiquer, rassurer, former, pour accompagner ces transformations. Elles ont également l’obligation d’anticiper et de penser les métiers du futur, pour guider les collaborateur.rice.s vers les compétences à haute valeur ajoutée qui leur permettront de faire concurrence aux machines.

Dans leurs propres processus également, les RH adopteront des outils de l’IA pour être plus efficaces, et parfois peut-être plus justes, pour autant qu’elles en aient conscience et adressent les potentiels par le biais de ces technologies.

Un réseau RH pour renforcer la résilience

On l’a vu sur ces quelques axes, les crises comme celle que nous vivons sont des accélérateurs de changement. Dans ce contexte, les RH ont un rôle essentiel à jouer dans les organisations, et elles peuvent parfois se sentir seules et démunies face à ces défis. C’est pourquoi, selon Robert Tanner, DRH de la Police genevoise et également présent lors de notre séminaire, il serait bénéfique de renforcer le réseau d’échange et d’entraide entre RH au niveau fédéral et cantonal. «Une communauté qui ne s’active pas uniquement à créer des opportunités de réseautage toute l’année, mais qui est un véritable soutien pour les professionnels des ressources humaines. Une plateforme de dialogue, d’entraide et de partage d’expériences qui est efficace en tout temps, et particulièrement lors des situations d’urgence. En d’autres termes, la communauté RH devrait s’organiser pour mettre en place une cellule de crise qui dépasse la frontière de l’organisation.»

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Isaline Thorens est cheffe de projet en gouvernance participative chez Loyco (prestataire de services RH).

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