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«La dimension de création d’une œuvre me semble pertinente tant pour les individus que pour le management et la GRH»

Dans le cadre de son MAS RH des Universités de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg, Stéphane Bonzon a rédigé un mémoire intitulé: «Sens du travail chez les fondateurs­-dirigeants de startups technologiques»

Quelles sont les spécificités du sens au travail pour un entrepreneur qui crée une startup technologique?

 

Stéphane Bonzon: Les résultats semblent indiquer que ces entrepreneurs construisent, dans l’environnement incertain de leur startup, quelque chose de l’ordre d’une ressource psychologique propre à les amener à se dépasser et à faire face aux vicissitudes de l’aventure entrepreneuriale. Ils évoquent en effet un quotidien qui semble ne leur offrir ni rationalité du travail, ni charge de travail équilibrée. Ils rapportent des conditions de travail difficiles et un salaire systématiquement en-­dessous de leurs attentes. Dans ces conditions, la dimension de création d’une œuvre apparaît comme un élément central de l’élaboration du sens de leur travail. Elle permet d’inscrire chacun des actes de ces entrepreneurs dans quelque chose de plus
vaste, qui les prolonge et les dépasse,
tout en leur offrant de capitaliser leur
engagement. Cette dimension de création d’une œuvre appelle de plus
amples investigations, mais elle peut
notamment déjà être rapprochée des
travaux du célèbre psychiatre viennois
Viktor Frankl, pour qui la réalisation d’une œuvre constitue une des sources du sens de la vie. A ce titre, l’engagement dans un tel projet entrepreneurial contribuerait au moins autant au sens de la vie qu’au sens du travail. Cette dimension de création d’une œuvre me semble pertinente tant pour les individus en quête de sens, sur le plan du développe­ ment de leur carrière, que pour le management et la GRH des organisations qui font face aux exigences de sens de leurs collaborateurs. Je rapproche cette dimension de la culture projet et de l’intrapreneuriat, et plus globalement de l’esprit d’entreprendre nécessaire à l’individu pour la gestion de sa propre carrière comme pour la création de valeur indispensable au développement de l’organisation.

Vous dites notamment que l’entrepreneur technologique «ne souhaite pas forcément avoir un impact sur le monde». Qu’entendez-vous par là?


 

L’idéologie technicienne présente souvent la science et les technologies comme les premières forces de transformation de la société. A ce titre, les startups peuvent être considérées comme le meilleur moyen de changer le monde. Or, les résultats de cette recherche suggèrent que ces entrepreneurs identifient assez clairement la contribution sociale de leur produit, mais celle-­ci n’est pas nécessairement un objectif pour eux. Des bénéfices secondaires de leur création peuvent profiter à la collectivité sans que cela figure à leur agenda. Leur démarche m’est apparue comme plus personnelle.

Le grand public imagine souvent les startups technologiques comme un moyen de s’enrichir. La réalité que vous décrivez semble moins rose?


Globalement, les startups sont plus nombreuses à échouer qu’à réussir. Mais il y a les startups, et il y a ceux qui les créent. En attendant de réussir ou d’échouer, ces entrepreneurs se donnent corps et âme à leur projet et leur quotidien m’est apparu très dur. Non seulement, le plus souvent, au final ils ne s’enrichissent pas, mais ils ne gagnent généralement pas grand­'chose tout au long de l’aventure. D’autant qu’ils réinvestissent beaucoup dans la startup, notamment pour s’entourer des compétences nécessaires à son développement. A cela s’ajoute un stress énorme, de longues heures qui dé­ bordent sur les soirées et les week­ends. La charge mentale est immense et ces entrepreneurs peinent à trouver du répit tant les sphères personnelle et familiale de leur existence se trouvent envahies par le travail. Les préoccupations financières et la crainte de l’échec, parallèles à un vécu émotionnel soumis à de fortes variations, complètent le tableau. Alors en effet, leur quotidien n’est pas toujours rose, mais tout cela semble compensé par le fait qu’ils travaillent à créer leur œuvre.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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