«La motivation à se former ne prédit pas systématiquement le transfert des acquis»
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Votre recherche montre que le transfert des acquis d’une formation en organisation est «le résultat d’interactions multiples entre les caractéristiques individuelles et organisationnelles». C’est-à-dire?
Dorina Dervishi: Une forte motivation à se former ou un soutien organisationnel perçu favorable, considérés séparément, ne se déclinent pas nécessairement en un vrai transfert des acquis sur le lieu de travail. En d’autres termes, la motivation, en tant que caractéristique individuelle, ne prédit pas toujours le transfert, à elle seule. D’autre part, les facteurs organisationnels n’ont pas d’effet mécanique sur le transfert. Ce sont les interactions entre ces caractéristiques qui vont affaiblir ou renforcer la motivation à transférer ses connaissances au sein de l’organisation. Par exemple, dans un contexte présentant des conditions organisationnelles peu favorables, certains individus réussissent à mobiliser des ressources personnelles qui leur permettent de transférer des acquis de formation. D’autres, face aux mêmes conditions, seraient affaiblis dans leur motivation à transférer et ne réussissent pas leur transfert. La motivation à transférer les apprentissages est donc régulée à travers la perception du soutien organisationnel. Cette régulation est le résultat d’interactions multiples entre caractéristiques individuelles et organisationnelles, d’où la nécessité d’adopter un regard systémique dans l’évaluation ou l’accompagnement du transfert des acquis.
A la suite d’une formation, le collaborateur amène souvent «une nouvelle vision et façon de travailler, ce qui peut créer des décalages et des incompatibilités avec la hiérarchie ou les collègues». Avez-vous un exemple?
Dans un contexte organisationnel peu souple, le collaborateur qui souhaite amener une nouvelle vision ou renouveler des pratiques au travail, peut être confronté à une certaine fermeture de la part de son entourage professionnel. Cela peut venir d’une différence de points de vue, d’une incompréhension des nouvelles idées ou de la formation, ou encore d’une divergence entre les priorités des uns et des autres. Si l’ouverture à la nouveauté et à la diversité des idées fait défaut, cela peut provoquer des incompatibilités au sein des équipes. De plus, si les propositions faites sont constamment remises en question ou peu acceptées, ou ne font tout simplement pas sens pour les personnes qui prennent les décisions, ce décalage peut devenir un obstacle. Clarifier les attentes et les besoins des collaborateurs et des employeurs devient donc essentiel.
Pour apporter de la valeur à l’organisation, le collaborateur fraîchement formé a «besoin de valorisation et de reconnaissance», écrivez-vous. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Les participants de cette étude mettent l’accent sur le besoin de valorisation et de reconnaissance, notamment en ce qui concerne les efforts mobilisés pour effectuer la formation et dans l’application de celle-ci au travail. Ce besoin est fortement lié à leur identité professionnelle et au rôle qu’ils occupent ou souhaitent occuper au sein de leur organisation. En d’autres termes, ce besoin couvre des aspects symboliques ou identitaires, comme la légitimité ou la crédibilité au sein des équipes, le positionnement dans l’entreprise, le sens accordé aux tâches et responsabilités, ou encore l’envie d’amener une nouvelle façon de travailler. Ces besoins identitaires semblent être plus importants que les conditions organisationnelles d’ordre matériel ou logistique. Afin de pouvoir y répondre, nous mettons l’accent sur l’importance d’instaurer un sentiment de sécurité psychologique. Un environnement «sécurisé» favorise les échanges bienveillants et permet aux individus de s’exprimer sans craintes particulières par rapport à l’image de soi. Indirectement, cela permettrait de se sentir valorisé et reconnu, ce qui peut renforcer la motivation à transférer, et par conséquent, la contribution aux résultats organisationnels.