La nouvelle normalité
Alors que l'activité économique reprend son cours après plusieurs semaines au ralenti, Olivier Deslandes interroge la normalité d'avant et donne une vision prospective d'une nouvelle normalité, teintée d'intelligence collective et d'apprentissage individuel.
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Ces dernières semaines, ce sont les cris d’alarme sur la pénurie de produits et matériaux essentiels qui ont poussé certaines entreprises à spontanément aider et mettre leurs compétences au service des hôpitaux. De merveilleux prodiges se sont déroulés.Lorsque l’intelligence collective se concentre sur la résolution d’un intérêt supérieur, elle peut transcender l’essence même d’un objet banal pour le transmuter en or.
Une marque d’équipements sportifs a su réinventer un masque de plongée de loisir en un masque de réanimation. C’est de la convergence spontanée de particuliers et d’entreprises qu’une réflexion supérieure a émergé, et chacun en apportant sa valeur ajoutée, son expertise et sa passion a pu in fine contribuer à sauver des vies. C’est en entendant les appels au secours qu’un niveau supérieur d’humanité et de génie combinés a donné vie au sens le plus profond que l’on puisse donner à la collaboration.
Seulement, l’intelligence collective a besoin de liberté pour être fertile. C’est en poursuivant des chemins absolument improbables et en croisant des parcours fort différents que l’alchimie se produit. Cette mixité d’expérience, de formations, de moyens, d’ambition dans une unicité de vision caractérise parfaitement ce qu’apporte la diversité à toute organisation.
Faut-il être à la lisière de l’agonie de nos sociétés pour enfin comprendre que la complexité du monde ne se résout pas grâce à une pensée homogène et simpliste d’un retour à un status quo?
Beaucoup l’ont dit avant moi, mais dans la quiétude d’une société plus centrée sur nos conforts individuels, leurs messages étaient donc inaudibles car ils remettaient en cause la rassurante routine de la normalité de notre monde.
Les crises ont nul besoin d’être aussi extrêmes pour que la société puisse bénéficier d’une plus large bande passante de réflexion et d’action. Le monde n’a pas besoin d’être confronté à sa fin pour qu’ensemble nous comprenions, enfin, ce que créer de la valeur peut signifier. Mais puisque nous avons été plongés dans le chaos, emparons-nous de cette chance de ne pas retourner dans la normalité, car elle était l’essence même de notre problème.
Cessons alors dès aujourd’hui de tolérer et d’accepter ces modèles désespérants qui nous tirent vers l’arrière et qui continuent à survivre par la seule force de nos lâchetés quotidiennes.
Cessons les nominations au sein des conseils d’administration qui depuis des décennies ne changent pas de modèle: un carnet d’adresses et une personnalité respectable qui ne fasse pas de vagues, d’où la terrifiante absence de femmes dans ces conseils hautement stratégiques.
Pourfendons l’infinie étroitesse de jugement de ceux qui recherchent des nouveaux talents dans leurs organisations et qui, figés par la peur et l’immensité de leur ignorance, sont incapables de recruter des expertises d’autres industries. «Je veux plus du même», sans comprendre l’étroitisation de cette démarche qui verticalise le savoir-faire au détriment de l’innovation. Une biologiste, un ingénieur ou une physicienne feraient d’excellents financiers par leur rigueur scientifique, leur capacité d’apprentissage et leur réelle compréhension des risques... seulement il est plus rassurant de s’abandonner à la paresse d’une «expérience du secteur exigée».
Dénonçons la veulerie des managers qui rêvent de pousser leurs produits dans tous les pays du monde, mais qui cauchemardent à l’idée de travailler physiquement avec des collègues d’autres origines ou cultures.
Evacuons des entreprises les sordides petits chefs ou collègues qui se complaisent dans d’hideux comportements de destruction et d’emprise mentale. Laissons l’intelligence collective se développer hors d’inutiles carcans toxiques.
La normalité d’avant se pare de rassurants atours, car elle suggère une moindre incertitude économique, mais elle est érigée sur une base morale bien corrompue. La nouvelle normalité est à construire sur ce que nous aurons su apprendre de nous-mêmes, de nos choix inappropriés, sur nos lectures et apprentissages durant ce confinement et qui aura fait de nous des humains supérieurs.