La posture difficile des patrons de PME qui gèrent seuls leur personnel
En Suisse, plus de 250 000 entreprises emploient moins de 10 personnes et n’ont pas les moyens d’engager un responsable des ressources humaines. Cette fonction revient très souvent au dirigeant. Mais quels sont leurs casse-tête RH les plus courants? Et comment font-ils pour s’en sortir? La posture est difficile.
Pierre Louart: «Les patrons de PME restent obsédés par la création de bons produits et par le soin apporté à leur clientèle. Ils savent très bien organiser et stimuler le travail. Mais ont besoin de soutien quand il faut mettre en place des plans de formation.» Photo: iStockphoto
Aucune étude suisse n’a encore été menée sur ce sujet, mais tous les témoignages recueillis lors de la préparation de ce dossier sont convergents: après la clientèle et la trésorerie, c’est la gestion du personnel qui préoccupe le plus les patrons de PME. L’enjeu est de taille. Dans une entreprise de 10 collaborateurs, une erreur de casting peut causer des dégâts irréparables. Pareil avec les rémunérations. Accordez une hausse de salaire à l’un plutôt qu’à l’autre et vous risquez de plomber l’état d’esprit de toute votre structure. Alors comment font-ils pour éviter ces erreurs? Et quels sont les ressources externes auxquelles ces dirigeants-es font le plus souvent appel? Notre enquête.
Pour mémoire, une PME en Suisse est une société qui compte moins de 250 collaborateurs. Selon un rapport du Secrétariat d’Etat à l’économie de 2007, il n’y aurait que 1000 entreprises en Suisse qui dépassent cette taille. En revanche, plus de 260 000 micro-entreprises emploient moins de 10 collaborateurs. Ces petites PME représentent donc plus d’un quart de l’emploi en Suisse. Dans ces petites structures, c’est en général le patron lui-même qui se charge de la gestion du personnel. Le profil du dirigeant aura donc une influence déterminante sur la qualité de sa gestion du personnel.
Selon Marc-André Vilette, auteur d’un Dossier HRM sur les ressources humaines en PME, il y a deux types de patrons: le premier est soucieux «d’assurer la pérennité de sa société et ne considère pas la croissance comme une fin en soi», alors que le second est «motivé par la croissance et n’hésite pas à prendre des risques». Dans les deux cas, la gestion du personnel intéresse peu. Ils considèrent les RH comme une perte de temps et d’argent; ils préfèrent investir leur énergie dans la technique et la vente et se méfient de la délégation.
Un constat sombre qui est nuancé par son confrère Pierre Louart, professeur à l’Ecole universitaire de management de Lille (IEA) et auteur d’un des rares ouvrages sur le sujet*: «Il faut relativiser cette incompétence des patrons de PME en termes de gestion RH». Selon lui, le niveau de formation des entrepreneurs s’est considérablement amélioré depuis une vingtaine d’années. «Aujourd’hui, les gens qui créent des entreprises ont des vrais projets, avec des objectifs techniques sérieux et sont tout à fait conscients des enjeux RH qui les attendent.»
Des patrons de PME très impliqués émotionnellement
Un autre reproche souvent entendu à propos de ces patrons/ responsables du personnel, est leur difficulté à prendre du recul par rapport à des situations très émotionnelles. Là aussi Pierre Louart relativise: «Je préfère des patrons de PME qui ont des soucis et des émotions qu’un DRH d’une grande société qui se mure derrière ses papiers dans son bureau. Personne n’est parfait. Du point de vue humain, mieux vaut un patron émotionnel qu’un DRH contrôleur de gestion. Le rôle du responsable RH n’est pas de baisser la masse salariale. Un bon DRH doit connaître les personnes de son entreprise et le travail qu’elles effectuent.»
Les défis RH d’une PME évoluent avec la taille de l’entreprise (voir aussi l’encadré). Selon Anoucha Galeazzi, partenaire chez HR Top, pour une société qui propose des prestations RH aux PME, «les premiers soucis concernent le paiement des salaires et la tenue de l’administration. Il faut ensuite disposer de contrats de travail en règle. Dès cinq collaborateurs, les questions d’équité commencent à poindre du nez. Il faut donc prévoir un règlement qui clarifie les notions de vacances, de congé non-payé et de formation.»
Selon Pierre Louart, «ces patrons de PME restent cependant obsédés par la création de bons produits et par le soin apporté à leur clientèle. Ils savent très bien organiser et stimuler le travail. Mais ont besoin de soutien quand il faut mettre en place des plans de formation. La mobilité est une autre difficulté. Les possibilités de progression de carrières sont rares en PME.»
Harmoniser les outils et les rendre plus digestes
Plus la taille de la société augmente, plus il faut harmoniser les pratiques. Anoucha Galeazzi: «A partir de 20 collaborateurs, les PME ont souvent plusieurs outils en place qu’ils sont allés chercher à droite et à gauche. Notre rôle est d’harmoniser tous ces outils, de les rendre plus digestes pour les collaborateurs et surtout de les imprégner des pratiques et des particularités de la société». A ce stade, la motivation du personnel devient un enjeu déterminant.
Selon Sandy Wetzel, directeur de l’Y-PARC à Yverdon-les- Bains, dans une structure qui abrite plus de 100 PME, le gros défi de ces patrons est d’attirer des profils de spécialistes et de maintenir l’intérêt des collaborateurs en place depuis le début. «Ils commencent à réfléchir aux rémunérations et à l’ouverture de l’actionnariat. C’est là aussi qu’ils se mettent à avoir une vision dans le temps.» Laurent Farinelli, patron de la start-up genevoise Fasteris, active dans le séquençage de l’ADN, témoigne: «Au début, nous avions tous le même salaire. Mais après quelques années, il a fallu ajuster les rémunérations en fonction des diplômes de chacun et de la création de valeur.
«Dès 50 collaborateurs, il faut commencer à mettre en place les premiers processus, poursuit Anoucha Galeazzi: analyse des besoins; recrutement; intégration; évaluations annuelles; développement des compétences et licenciements.» Et c’est à partir de ce stade de maturité que les PME commencent à engager des responsables RH. Le ratio reconnu étant 1 responsable RH pour 100 collaborateurs. Enfin, qu’en est-il des ressources extérieures sur lesquelles s’appuient ces PME avant d’avoir pu mettre en place une structure propre? Le premier partenaire externe sera très souvent un fiduciaire. Il permettra de régler les salaires et surtout d’optimiser les questions fiscales. Puis viennent les courtiers en assurances et tous les prestataires de service pour des litiges juridiques (Centre patronal, Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, Fédération des entreprises romandes). Il existe ensuite quelques acteurs locaux de prestataires de services RH, comme HR Top, cité dans cet article, ou HRplus en Valais.
Pour aller plus loin, Pierre Louart propose la création de structures régionales qui permettrait de créer un environnement propice aux synergies entre PME. «Ces échanges sont importants. Les salariés n’aiment pas déménager. Par contre cela ne les gêne pas de changer d’entreprise. L’idée serait de créer une dynamique inter-régionale. Comme c’est par exemple le cas dans la région de Gênes, au Nord de l’Italie, où plusieurs PME ont décidé de coopérer et de s’échanger les collaborateurs.»
* Pierre Louart et Marc-André Vilette: La GRH dans les PME, éd. Vuibert, 2010, 416 pages
Les besoins RH des start-ups
Une étude menée en 2010 par la société de conseil en ressources humaines HR Top auprès d’un échantillon de PME installées sur l’Y-PARC d’Yverdon-les-Bains révèle quelques détails intéressants sur les besoins RH des sociétés en démarrage. Le premier défi est le recrutement. Les sociétés interrogées avouent des difficultés à trouver du personnel maîtrisant plusieurs langues, bien qualifié et/ou prêt à venir s’établir à Yverdon-les-Bains. Les profils commerciaux et techniques sont les plus difficiles à trouver. Au niveau de la formation, les start-ups souhaiteraient avoir des outils pour assurer le suivi des collaborateurs. Ils indiquent aussi avoir besoin de soutien lors des réorganisations internes, afin de réduire les chocs liés aux grands changements et apporter plus de stabilité dans l’organisation. L’intégration culturelle semble aussi poser des problèmes: un soutien RH pourrait leur permettre de mieux intégrer les expatriés et/ou les étudiants qui viennent en stage. Les questions de politique salariale figurent également parmi leurs préoccupations. Comment rester concurrentiel sans faire exploser la masse salariale?