A la recherche du sens au travail
Comprendre la finalité et les retombées de son activité professionnelle – en d’autres mots en comprendre le sens - s’avère difficile dans un marché du travail de plus en plus volatile et déstructuré. Une recherche initiée à l’Université de Lausanne met en évidence la manière dont le sens au travail contribue à la motivation et au bien-être des employés.
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S’il est vrai que nous sommes avant tout des Homo Sensus, cherchant à donner sens à notre existence à travers nos activités, pourquoi en irait-il autrement de l’activité professionnelle? Comment expliquer la passion et la conviction que femmes et hommes investissent dans leur travail? Comment font-ils pour préserver leur santé et leur motivation malgré les exigences et les pressions du monde professionnel?
Nous travaillons pour davantage qu’un revenu matériel: cette affirmation paraît évidente, presque triviale. Ainsi, bien que souvent réduit à sa dimension hédonique approchée par des mesures de satisfaction, le bien-être au travail se nourrit également d’une composante eudémonique qui relève du sentiment d’avoir un sens au travail, d’y réaliser son potentiel et d’y construire des relations enrichissantes. (1)
Or cette recherche légitime de sens au travail semble être mise à mal par la confrontation de deux tendances qui caractérisent le travail dans les sociétés post-modernes. On remarque d’une part un changement du profil des travailleurs, avec une augmentation du niveau de qualification et des attentes grandissantes envers le travail comme un moyen d’expression de soi et de contribution à la société. D’autre part, un marché du travail volatile et déstructuré, de nouvelles formes d’organisation du travail et la numérisation croissante contribuent à la prolifération de tâches professionnelles routinières et dépouillées de leur potentiel créatif, aux intitulés abscons et aux finalités abstraites, dont l’utilité sociale est pour le moins difficile à saisir pour ceux qui les effectuent. (2)
Dans une étude récente (voir encadré ci-dessous), nous avons cherché à mettre en évidence la fonction du sens au travail comme un rempart face à la souffrance et à l’aliénation. Cette recherche, qui porte sur une population de 458 adultes répartis selon différents niveaux hiérarchiques et actifs dans les secteurs privé et public, explore deux questions essentielles: 1. Quelles sont les caractéristiques du travail qui contribuent au sens? 2. Quelle est l’influence du sens sur le bien-être au travail?
Les résultats montrent tout d’abord que le sens au travail résulte d’un sentiment de cohérence, celle entre ses valeurs propres et celles de son organisation. De plus, les individus qui reportent le plus haut degré de sens sont ceux qui bénéficient d’opportunités suffisantes pour développer leurs compétences, qui perçoivent un soutien social et qui estiment que les méthodes de travail promues par leur organisation ne contreviennent pas à leur éthique personnelle.
D’autre part, les résultats mettent en évidence le rôle médiateur du sens sur la relation entre les expériences négatives au travail et le burnout. Autrement dit, la capacité à percevoir une direction claire et une finalité globale de son travail protège les individus face aux tracas professionnels quotidiens qui, s’accumulant, pourraient conduire vers le désengagement ou l’épuisement.
Au vu de ces résultats, il nous paraît clair que le travail ne saurait être réduit à sa fonction instrumentale – le fait de gagner un salaire - et que la satisfaction professionnelle ne devrait pas être uniquement évaluée au regard des conditions d’emploi. Au-delà de leurs tâches traditionnelles de gestion du personnel, les praticiens des RH modernes jouent un rôle crucial et stratégique pour entendre les valeurs et idéaux des collaborateurs, leur communiquer clairement les objectifs fondamentaux de l’organisation et ainsi développer les conditions propices à l’émergence d’un sens collectif, porteur de motivations individuelles et de performances organisationnelles.
(1) Massoudi, K., Urbanaviciute, I., Hofmann, J., & Gander, F. (2020). Des vulnérabilités aux vertus : Une approche positive du bien-être au travail. In J. Masdonati, K. Massoudi, & J. Rossier (Eds.). Repères pour l’orientation. Lausanne: Antipodes.
(2) Toscanelli, C., Fedrigo, L., & Rossier, J. (2019). Promoting an ethical work context and access to sustainable careers in the framework of the fourth industrial revolution. In Potgieter, I., Ferreira, N., Coetzee, M. (Eds.). Theory, research and dynamics of career wellbeing: Becoming fit for the future. Cham, Switzerland: Springer Nature.
Sens et contre-sens
Les résultats présentés ci-dessus font partie d’une thèse de doctorat en psychologie effectuée par Cecilia Toscanelli et co-dirigée par le Docteur Koorosh Massoudi, de l’Université de Lausanne, et le Professeur Hans De Witte de l’Université de Louvain. Cette thèse investigue le bien-être au travail comme résultant des interactions entre les conditions objectives de travail et les attentes subjectives des travailleurs. Ainsi, outre les facteurs classiques de risque pour la santé comme la charge ou le manque de soutien, nous explorons également les indicateurs positifs du bien-être comme l’engagement et le sens, qui font de l’activité professionnelle une véritable occasion d’expression de soi et de contribution à la société. Si vous désirez partager vos expériences de sens et de contre-sens au travail, vous pouvez participer à l’étude en répondant à un questionnaire, d’une durée approximative de 15-20 minutes, disponible en ligne ici.
Chroniques «La recherche en actions»
Les chroniques regroupées sous l’intitulé «La recherche en actions» sont rédigées par des enseignants et chercheurs liés aux programmes de formation continue MRHC (Management, Ressources Humaines et Carrière) issus du partenariat entre les 4 universités de Suisse Romande.
Pour toute information complémentaire: mrhc@unige.ch
Coordination des chroniques «La recherche en actions»: Nadine Bagué, responsable pédagogique des Programmes de Formation Continue en MRHC.