Débat

Lanceurs d’alerte: faut-il renforcer la législation?

Pour: Zora Ledergerber

Les abus et les délits doivent être mis à jour. Sur ce point, tout le monde s’accorde. Les avis sont par contre plus partagés quant au «comment» ces dysfonctionnements doivent être rendus publics et sur la protection à accorder aux lanceurs d’alerte. Sachant le prix que paient les entreprises pour ces dysfonctionnements, le fait que ces questions fassent encore débat m’étonne. En moyenne, les fraudes, la corruption, les détournements de fonds et les autres délits du genre coûtent environ 5 pour cent du chiffre d’affaires annuel, selon une étude de l’Association of Certified Fraud Examiners (ACFE). Cela représente un million de francs de perte pour un chiffre d’affaires de 100 millions. Les lanceurs d’alerte pourraient réduire considérablement ces montants. Selon la même étude, 40 pour cent de tous les délits ont pu être mis à jour grâce aux whistleblowers (lanceur d’alerte en anglais, ndlr), à condition que ces derniers soient protégés.
 
Les lanceurs d’alerte jouent aussi un rôle important dans les organisations publiques. On pense notamment à la récente affaire de corruption au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Dans ce cas, l’affaire a été révélée grâce à un coup de fil anonyme à un journal local, et cela malgré l’existence d’un système d’alerte au sein du Seco. Bien que leur utilité pour l’économie suisse soit reconnue, les lanceurs d’alerte ne sont pas suffisamment protégés par la législation. Le message du Conseil fédéral sur la révision partielle du Code des obligations pour une meilleure protection en cas de «signalement d’irrégularités par le travailleur» va donc dans le bon sens.
 
Malheureusement, les chances qu’une telle révision passe la rampe semblent assez maigres. La peur des abus et de favoriser une culture de la délation est encore forte. Les expériences menées dans d’autres pays montrent pourtant que ces dérives sont rares, sinon inexistantes. Fait réjouissant: la révision en cours incite les entreprises à mettre en place ce genre de dispositif. Cela encouragerait les collaborateurs à signaler ces dysfonctionnements en interne d’abord, ce qui est une bien meilleure solution que des fuites dans la presse.
 
La révision en cours compte pourtant deux lacunes importantes: elle rendrait très difficile le fait d’annoncer une fraude aux médias, peu importe la gravité du délit constaté. Cette lacune aurait des conséquences négatives pour les médias, qui n’auraient pour ainsi dire plus le droit de reprendre ce type d’information (même si l’information aurait un intérêt public évident). L’autre conséquence: les délits graves ne seraient pas divulgués. Ce qui ne va pas dans le sens de la volonté du législateur. La révision ne protège pas suffisamment non plus les lanceurs d’alerte contre un licenciement, même si les faits dénoncés s’avèrent être véridiques. La question de la protection des lanceurs d’alerte demeure donc irrésolue avec la révision proposée. On pourrait même arguer que la situation des whistleblowers serait empirée.
 
 

Contre: Hans-Ulrich Bigler

Les rapports de travail doivent être des rapports de confiance. Ce principe n’est pas seulement la définition officielle telle qu’elle ressort du droit des obligations. Il s’agit avant tout de la réalité vécue dans les PME. Dans 99 pour cent de ces entreprises, patrons et employés travaillent main dans la main. Le climat de travail est – dans la majorité des cas – très ouvert et un employé est tout à fait en droit de critiquer une personne ou un processus. Souvent, les cadres encouragent ces feed-backs critiques à l’interne. Ce serait donc une erreur de faire de l’exception une règle. De plus, ces cas concernent avant tout les grandes organisations et les institutions publiques. Des cas de fraude communiqués vers l’extérieur ont déjà eu lieu en Suisse, notamment dans le canton de Zurich. Ce serait donc injuste que les PME paient le prix fort pour les dysfonctionnements de quelques- uns.
 
La nouvelle législation, qui est actuellement discutée au Parlement, donne la priorité aux canaux d’alertes internes. Une dénonciation ne doit être admise que si elle est d’abord communiquée à la direction de l’entreprise, puis aux autorités compétentes et enfin au grand public via les médias. Si cet ordre est respecté, on accorde une chance aux employeurs de réparer le tort causé. Ce qui est une solution raisonnable.
 
Mais le diable se cache dans les détails. Premier problème: le devoir de fidélité de l’employé envers son employeur devient le devoir de fidélité «au bon déroulement des choses». Qu’entendent-ils par là? Personne ne le sait vraiment. Nous sommes tous tenus de nous comporter d’une manière responsable et éthique. Cependant, un contrat de travail entre un travailleur et son patron implique un devoir de fidélité mais aussi un devoir de protection. Etendre la législation à des domaines si vagues nuira aux deux parties.
 
Deuxième problème: la notion de fraude, dont un employé serait en droit d’informer sa hiérarchie, n’est pas clairement définie. Une fois l’employeur informé, et passé un certain délai, l’employé serait en droit de s’adresser aux autorités publiques, voire même aux médias. Mais que faire si, derrière le soupçon, aucune preuve n’est mise à jour? Que faire si le collaborateur qui lance l’alerte n’est pas satisfait de la réaction de son employeur? Ces questions importantes restent sans réponse.
 
Troisième problème: cette nouvelle législation va générer des coûts. Car il faudra mettre en place un système d’alerte répondant à des exigences d’indépendance et qui doit suivre une procédure, documentée et précise. Toute cette procédure représente de nouvelles charges fixes pour les entreprises. Ces coûts vont peser sur les organisations et les collaborateurs.
 
Finalement, ce n’est pas la révision proposée qui est inadaptée. Le problème, c’est de faire d’une exception une règle, qui devra être supportée par ceux qui ne sont pas concernés par ces cas. Les scandales révélés par les whistleblowers n’ont jamais concerné les PME. Il est donc logique que les PME ne doivent pas en payer le prix. Dans ces petites entreprises règne un climat de confiance. Ce qui permet de créer une atmosphère décontractée, flexible et par conséquent propice à l’innovation. C’est une force de notre économie. Une force que nous risquons de perdre sans nous en rendre compte.
 

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Zora Ledergerber est propriétaire et directrice de Integrity Line Sàrl. Elle conseille les entreprises qui souhaitent mettre en place des systèmes d’alertes anonymes. Elle est également consultante chez Transparancy International.
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Hans-Ulrich Bigler est le directeur de l’Union suisse des arts et métiers. Cette  organisation représente 250 associations professionnelles, qui chapeautent environ 300 000 entreprises.
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