Rémunération

L’application de «Minder» fera-t-elle baisser les salaires des tops managers?

L’initiative Minder sur les salaires abusifs dans les sociétés cotées est entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Avec quels impacts sur les politiques de rémunération? La plupart des exigences auront force contraignante dès 2015.

Le plus grand changement introduit par l’Ordonnance Minder est la validation de l’enveloppe globale des rémunérations des hauts dirigeants par le conseil d’administration. Ce vote concernera aussi les indemnités prévues en cas de départ (les fameux parachutes dorés). L’application de l’Ordonnance Minder laisse la porte ouverte à plusieurs variantes. Ce sont les statuts de l’entreprise qui feront foi. Les sociétés cotées de Suisse sont d’ailleurs en train de les revoir. Les points sensibles: de quelle manière va-t-on voter sur l’enveloppe salariale? Et quelles seront les conséquences en cas d’un refus du conseil d’administration?

Du côté des entreprises, la priorité sera de minimiser les risques tout en respectant la loi. L’appréciation est différente du point de vue des conseils d’administration, qui veulent une forte corrélation entre la rémunération et la performance («pay for performance»). Est-ce dire que les rémunérations des tops managers vont baisser? Cela dépendra de la situation. Dans les années de croissance, il y aura suffisamment d’arguments pour relever les salaires. Les actionnaires, qui auront vu leurs dividendes augmenter, ne rechigneront pas à partager cette plus value. Mais dans les années difficiles, on peut s’attendre à une baisse des bonus. Ce sera compliqué pour un conseil d’administration de justifier des bonus élevés si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Et dès 2015, ce sont les actionnaires qui auront le dernier mot.

La structure de l’actionnariat sera décisive

La composition de l’actionnariat sera donc déterminante. Si la majorité des actions est entre les mains d’un – voire de deux – gros actionnaires, comme c’est le cas chez Swatch Groupe ou Roche, les dés seront quasiment déjà jetés pour le conseil d’administration. Mais si l’actionnariat est fortement segmenté, le conseil d’administration sera contraint de mieux argumenter les sommes allouées. Car le risque d’un refus des actionnaires sera bien réel. Un dialogue en amont avec les gros actionnaires est donc fortement conseillé, afin d’anticiper leur appréciation. Et ceci avant que le rapport annuel soit publié.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2014, l’Ordonnance exige que la plupart des modifications prévues par Minder soient mises en application lors de la deuxième assemblée générale, soit dès 2015. Une première prise de température auprès des sociétés cotées laisse entrevoir plusieurs scénarios.

• Faudra-t-il proposer un vote prospectif ou rétrospectif sur les bonus annuels? Avec un vote prospectif sur un plafonnement des bonus, l’entreprise contourne plusieurs incertitudes juridiques. Si l’enveloppe est refusée par les actionnaires, le conseil d’administration disposerait d’une année, jusqu’à la prochaine assemblée générale, afin de préparer un vote sur les salaires effectifs. Cela dit, en accordant un chèque en blanc au début de l’exercice, les actionnaires prennent le risque d’accorder des bonus élevés même si les résultats opérationnels ne sont pas à la hauteur. Ce qui ne serait pas dans l’esprit de l’Ordonnance Minder, ni dans l’intérêt des actionnaires. En cas de refus des actionnaires lors d’un vote rétrospectif, il faudrait organiser une assemblée générale extraordinaire. Ce qui serait un désastre juridique et financier. De plus, ce scénario risque d’effrayer certains tops managers. Qui seraient, du coup, tentés de quitter l’entreprise en raison des incertitudes liées au montant et à l’échéance de leur rémunération.

• Quel est le degré d’indépendance des conseils d’administration? Combien de mandats sont acceptables? L’indépendance des conseils d’administration est un vrai problème en Suisse. A ce niveau, tout le monde se connaît et donc personne ne veut déranger l’autre. Mais être administrateur ne devrait pas être un honneur, plutôt un devoir. L’Ordonnance Minder propose de limiter ces mandats d’administrateur en exigeant que chaque administrateur publie le nombre de ses mandats. Et cette nouveauté dérangerait surtout les administrateurs qui siègent dans les comités de rémunérations. On cherche donc des nouveaux visages, expérimentés et compétents. Mais ces profils sont rares. Les consultants externes ont ici un rôle à jouer. Neutres, ils seraient d’idéales courroies de transmission entre l’entreprise et les organes de révision.

Que nous réserve donc l’avenir? Tout le monde sera concerné. Les aspects juridiques seront rapidement résolus si l’Ordonnance Minder est appliquée dans le cadre présenté ci- dessus. Enfin, une chose est sûre: la pression exercée par les actionnaires et par l’opinion publique sur les conseils d’administration restera importante en cas de rémunérations disproportionnées.

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Texte: Sacha Cahn

Sacha Cahn dirige depuis janvier 2014 le département Executive Rewards chez New Bridge Street en Suisse. Une entreprise qui appartient au groupe Aon Hewitt.

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