L’art de la négociation complexe
Rappel de quelques fondamentaux pour réussir ses négociations, sans assujettir l’autre partie à une dépendance ou position dominante.
Photo: Carlos Esteves / Unsplash
Lundi dernier, une de mes clientes a négocié dans la même journée avec un notaire pour un compromis immobilier, puis avec un commandant de police pour une intervention avec des personnes en situation non-régulière, puis avec un fonctionnaire pour un diagnostic réglementaire! Toute personne chargée d’affaires humaines et/ou business passe une bonne partie de son travail à négocier. Certaines études estiment «jusqu’à 80% de son temps»!
Les RH savent d’ailleurs qu’établir un rapport de coopération avec les partenaires sociaux se construit toute l’année, pour faciliter ensuite les négociations en vue d’évolutions des conditions de travail. Cela est d’autant plus important dans le monde actuel qui devient VICRA (Volatil, Incertain, Complexe, Risqué et Ambigu).
Avec cette évolution sociétale, différents paramètres complexifient les négociations:
- la multiplication des parties prenantes
- la judiciarisation des conflits et la prolifération des lois
- la confusion entre revendication et négociation
- la prolifération des enjeux dissimulés
- les positions irrationnelles
- le recours à des pressions et parfois à des menaces
- les délais de plus en plus courts
- … et parfois des méthodes déloyales, voire dolosives
Historiquement, la négociation a toujours existé: du troc de nos ancêtres aux conventions entre tribus. Au XXe siècle, les négociations étaient basées souvent sur des rapports de force. Des recherches ont démontré quelques bons principes pour des négociations à satisfaction mutuelle. La négociation «raisonnée» de Harvard (Ury et Fisher) a été une évolution notoire avec ces 4 principes:
- séparer le problème de la personne;
- se concentrer sur l’intérêt et non la position;
- coopérer pour trouver plusieurs options;
- établir des standards objectifs pour s’accorder.
Comme RH (mais aussi comme manager, leader, policier, commercial), négocier nécessite de nombreuses compétences en action: votre appétence au conflit, votre empathie, votre assertivité, votre résilience, votre intuition (comprendre vite l’essentiel sans vouloir tout comprendre), votre agilité à changer de tactique sans changer votre stratégie, votre maîtrise du stress et des émotions (les vôtres et celles des autres) et l’alignement de vos intérêts avec vos enjeux… pour n’en citer que quelques-unes.
En interaction, déjouer les profils opposants, user de techniques d’affirmation, comprendre et influencer les dynamiques collectives, employer la technique MADA (Mouvement Alternatif de Décentrage et d’Association), comprendre le fond en recadrant la forme… sont autant de capacités à mettre en œuvre pour éviter que la négociation ne devienne une arène d’altercations.
La semaine dernière, avec un DG que j’ai accompagné sur l’évolution de son entreprise vers un management collaboratif, nous avons fait le bilan: dépasser les résistances, comprendre les intérêts collectifs, prendre en compte la conjoncture économique nous a obligé à finement réfléchir en systémique durant 2 ans. Le résultat est probant: taux d’absentéisme divisé par deux, commission du personnel dans une attitude proposative, performance augmentée de 8%. On est loin des freins et blocages latents qui bloquent les changements en entreprise! Cette expérience montre également comment les compétences de négociateur se jouent sur la notion de transformation, avec différents niveaux interdépendants, dans un système orienté sur un OCP (Objectif Commun Partagé).
L’art de la négociation ne se mesure donc pas seulement sur un accord achat-vente, ou un contrat; il permet aussi de négocier un changement, une prime, le subventionnement d’une formation continue, la consolidation d’un partenariat…. En fait, la vie est négociation!
Rappel des fondamentaux de la négociation
Par expérience, il est peut-être bon de rappeler quelques fondamentaux pour réussir ses négociations et sans assujettir l’autre partie à une dépendance ou position dominante.
Premièrement, une négociation se prépare. Le président américain Richard Nixon disait: «Il faut toujours être prêt à négocier, mais ne jamais négocier sans être prêt.» Cartographier les acteurs directs et les influenceurs, construire une matrice des rapports de force, choisir une stratégie, bâtir une tactique, prévoir des scénarios hypothétiques…
Deuxièmement, il est nécessaire de forger une relation stable avec ses interlocuteurs, quel que soit leur profil. Autrement dit, «personnaliser la négociation avant de la rationnaliser». Je me souviens d’un directeur, qui allait être congédié par son conseil d’administration (CA), qui voulait négocier son plan social. De l’autre côté, les membres du CA lui en voulaient d’avoir mené l’entreprise au bord du dépôt de bilan. Mon travail d’intermédiaire fut de permettre une confrontation constructive en bâtissant une confiance forte avec chaque partie, dans un contexte de colère, de rancœur, de déception… et en soutenant, par mon intervention, leur relation et en jouant le paratonnerre. Ce fut le prix à payer pour que les termes de leur négociation n’entachent pas la réputation de l’entreprise ni ne la mette en faillite.
Troisièmement, se construire des alliances, déjouer les ultimatums, les mensonges et les menaces, tout en gardant la relation est primordial. Maintenir la collaboration en recadrant la forme, en absorbant les débordements émotionnels peut permettre de négocier avec des profils difficiles, voire opposants. Même si nous ne sommes pas tous fait pour être négociateur du FBI, avoir de la «performance relationnelle» est un atout majeur.
Quatrièmement: «Écouter, écouter vraiment, écouter au-delà des positions, écouter avant d’argumenter». Comme Confucius le rappelait au 5e siècle avant J-C, «Si l’homme a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle». En négociation, écouter profondément et poser des questions calibrées (comme dit Chris Voos) est au cœur même de la communication.
Établir un processus avec une convention, des principes, un fil rouge, des étapes est indispensable en négociation complexe. Sinon, le risque est que les jeux d’influences deviennent des stratagèmes de manipulation. Définir les règles du jeu avant d’aborder le fond. Par exemple, lors du renouvellement d’une CCT, 5 séances liminaires ont été nécessaires entre les membres de la commission paritaire. Ce cinquième principe est aussi une manière de «contenir» la négociation vers une destination, plutôt que de se perdre sur des écueils d’une mer qui peut devenir mouvementée.
Autant il est nécessaire de dépasser les positions, autant il est primordial de concilier les intérêts en créant des options à valeurs mutuelles. Je suis toujours étonné de voir que les techniques «d’options doubles» et de «package liant» sont si peu connues, même dans les Hautes écoles de Gestion. En effet, il est vraiment important à notre époque d’innover, de créer des accords basés sur des novations et pas seulement des compromis qui «coupent la poire en deux». L’exemple des producteurs de plantes à Madagascar qui s’allient avec des entreprises pharmaceutiques pour se partager les royalties sur les effets thérapeutiques de certaines essences montrent qu’un accord synergique est bien plus fort qu’une simple division des efforts consentis.
In fine, l’art de la négociation est primordial pour toute personne qui doit gérer des situations à forts enjeux. Cet art s’apprend, s'entraîne, se consolide. Les RH, tout comme les managers, les leaders, hommes ou femmes, sont encouragés à renforcer leur manière d’être en négociation, pour aborder les transactions complexes de notre époque avec une intelligence relationnelle, systémique et processuelle. Car les défis qui s’ouvrent maintenant sont démonstratifs d’années de transformation sociétale que nous devons concilier de manière collective et humaniste!