«Maîtrise et Lâcher-Prise»

L’aviation: une passerelle vers le leadership d’attention

Pour assurer performance et sécurité durables, l’aviation développe depuis des années une rigueur et un ensemble de procédures. Adaptées à l’entreprise, certaines méthodes pourraient s’avérer tout autant bénéfiques. 

Les missions aériennes et les activités en entreprise présentent des similitudes: rôles et responsabilités, obligation de résultat, pression du temps, gestion de la fatigue et du stress. Si l’aéronautique a trouvé une raison d’être à systématiser les procédures, à développer la collégialité dans le cockpit – le teamwork –, à formaliser et sécuriser les communications verbales et visuelles et surtout former aux facteurs humains, il n’y a aucune raison qu’un comité de direction, une équipe de bloc opératoire ou un groupe projet ne mettent à profit les mêmes mécanismes.
 
En 2008, passionnée d’aviation, je* découvre la voltige aérienne à bord du mythique Bücker Jungman. De son observation in situ, j’ai décidé de modéliser l’entier des phases et spécificités de cette discipline ainsi que les stratégies de performance du pilote, les rendant accessibles et transférables au monde de l’entreprise. Le dénominateur commun des outils proposés réside en la qualité d’attention portée aux différentes facettes du management.
 

Montons à bord

L’aviation a fait ses preuves en matière de performance et de fiabilité. Dans son rapport de sécurité 2014, l’Organisation de l’aviation civile internationale estime que l’année 2013 affiche le taux d’accidents le plus bas depuis le début des mesures: en moyenne 2,8 accidents par million de départs.
 
Comment en sommes-nous arrivés là? À la fin des années 1970, l’étude de catastrophes aériennes permet de révéler que les erreurs humaines sont au cœur de la plupart des accidents. La collision de Tenerife en 1977 est emblématique. Deux Boeing 747 se percutent sur la piste. L’un est en train de décoller alors que l’autre est toujours au roulage. Le choc fait 583 morts. Parmi les facteurs évoqués dans les rapports d’enquête: les erreurs de compréhension entre le contrôle aérien et les pilotes (mauvais anglais, stress), et surtout des problèmes internes au poste de pilotage. Le copilote et l’ingénieur de vol du Boeing au décollage n’ont pas osé remettre en cause leur commandant – tyrannique notoire – lorsque celui-ci a cru à tort avoir l’autorisation de décoller.
 
Autre exemple, le vol United 173 en approche de Portland en 1978. Un voyant indique une défaillance de sortie du train d’atterrissage, le commandant de bord décide de ne pas atterrir et de rester en l’air pour tenter de résoudre le problème. Obnubilé par celui-ci, il ne prend pas en compte les informations du mécanicien de bord à propos du peu de carburant restant. Finalement, l’avion s’écrase en panne sèche, tuant 10 personnes.
 
Pour éviter que de tels drames ne se reproduisent, la NASA développe à la fin des années 1970 le concept de CRM, pour Cockpit Resource Management, ensuite appelé Crew Resource Management. De concept, le CRM devient formation, dispensée aujourd’hui de manière obligatoire au sein de toutes les compagnies aériennes. Ces cours, sous forme d’ateliers, visent à systématiser les actions de chacun, à améliorer les relations d’autorité, la résolution des problèmes, la prise de décision, ou encore la gestion du stress et de l’erreur. La communication est fondamentale, que ce soit entre les pilotes, avec le reste de l’équipage ou avec tous les acteurs nécessaires à la bonne conduite du vol. Si le pilote s’en prend à l’un de ses membres d’équipage lors du briefing prévol, doutons que celui-ci le prévienne en cas d’odeur suspecte à l’arrière de la cabine. De tels comportements peuvent mettre en péril l’opération!
 
Outre le volet communication, il y a le volet répartition des rôles et responsabilités. Finie l’époque où le commandant de bord était le seul maître à bord après Dieu. Au-delà de l’ancienneté et de la hiérarchie, les tâches sont désormais divisées entre PF (pilot flying) et PNF (pilot non flying) ou PM (pilot monitoring). Les rôles et les responsabilités sont clairement définis à l’avance et s’échangent d’un vol à l’autre. Le PF est aux commandes, il contrôle l’appareil. Le PM, comme son nom l’indique, s’occupe de monitorer le déroulement du vol. En plus des communications radio et des check-lists, il vérifie surtout les actions ou l’absence d’action du PF. Les situations sont analysées et les décisions prises à deux. Qu’il soit PF ou PNF/PM, le commandant de bord reste le responsable légal de l’avion, de son équipage et des passagers. En particulier, son expérience exige qu’il reprenne la main lors des pannes importantes.
 

Premiers transferts dans le médical

Face à ce même défi de fiabilité, il est un secteur qui a vite compris l’intérêt de transposer ce modèle de leadership partagé, de communication simplifiée au service de la performance et du client: le milieu médical. Une formation de type CRM a été introduite en 2004 aux Hôpitaux Universitaires de Genève en gynécologie obstétrique, puis en 2009 dans le Département de chirurgie. En chirurgie, la moitié des erreurs sont commises au bloc opératoire. Aux HUG, le cours CRM est proposé à tous les professionnels impliqués, sensibilisant notamment aux ambiguïtés et aux erreurs d’interprétation liées à la communication orale. Des check-lists ont également été introduites, réduisant la mortalité opératoire. Pour l’anecdote, la formation CRM aux HUG a été développée en collaboration avec Swiss International Airlines.
 
Piloter un système performant en ayant à cœur d’anticiper et de manager les risques, c’est accepter l’erreur comme opportunité d’apprentissage. Dans le monde de l’aviation, les investigations menées après un accident n’ont pas pour but de blâmer, mais d’éviter que les erreurs ne se reproduisent. Les enquêtes débouchent sur des rapports et des recommandations, avec à la clé de nouveaux équipements ou de nouvelles normes. Il existe aussi des procédures volontaires. Aux Etats-Unis, l’ASRS, Aviation Safety Reporting System, permet aux pilotes de rapporter de manière confidentielle ou non des erreurs ou des problèmes potentiels. Ce principe de déclaration volontaire et anonyme existe aussi en Europe: le GVQ en France (j’ai vécu) ou le SWANS suisse (Swiss Aviation Notification Systems) permettent par exemple aux individus et équipes de proposer des orientations et/ou des solutions afin d’améliorer notamment la sécurité et l’efficience de l’aviation.
 

De la métaphore au terrain

En entreprise, un cas récurrent est la déficience au niveau de l’anticipation, pouvant mettre en péril la mise en œuvre de projets concrets, du niveau décisionnel au niveau opérationnel. S’inspirant de la préparation mentale des pilotes de voltige, la méthode nommée «Maîtrise et Lâcher-Prise» permet d’instaurer des rituels et routines faisant sens afin de réduire de manière significative les zones de flou, souvent génératrices d’inefficience.
 
Un cas parlant est celui d’un directeur des ventes d’une grande entreprise suisse qui misait principalement sur sa capacité réactive, mais pour qui la planification restait une tâche difficile, déstabilisant sa confiance en lui ainsi que celle de ses équipes. Grâce aux outils issus de la métaphore de l’aviation, il a pu développer un modèle personnalisé de planification de ses actions, ventes et conduite, lui procurant par la même autorité intérieure, plaisir, performance, crédibilité et leadership.
 
Cet exemple de self-management (attention à soi), nous amène à la qualité des liens du collectif (attention à l’autre), condition sine qua non de la performance et du succès. Ainsi, la qualité d’attention présente dans le cockpit est transposée à tous les acteurs de l’entreprise. On y retrouve calme, maîtrise, collaboration et perspective.
 
Pour cela, il est indispensable de faire un point régulier sur les talents et compétences du collectif afin de les mettre à jour si nécessaire et les harmoniser. Plutôt que d’envisager cette étape comme une contrainte, grâce à la transposition des différents outils de l’aviation au management (CRM etc.), elle devient une opportunité génératrice de flow au travail. De la même manière que les pilotes doivent régulièrement mettre à jour leur licence de vol, le professionnel fera un check-up régulier afin d’être dans le plaisir de la performance. A ce titre, et issue de cette passerelle, la méthode développée, nommée «Simulateur de talents©» est bien plus qu’un assessment. Elle permet en effet, par un entraînement spécifique, d’asseoir les fondations entrepreneuriales pour faire face aux défis et gagner en autonomie et responsabilité.
 

De Sénèque à Saint-Ex

Les liens entre aviation et entreprise sont nombreux. Le sujet fera prochainement l’objet d’un livre plus approfondi de la part des auteurs. Toutefois, au-delà des procédures, des check-lists et de la systématisation qui sont l’ADN de l’aviation, soulignons que l’aviation doit également son succès à la passion et à la discipline des pilotes. Un monde dans lequel plane ce juste équilibre que sont, l’attention, le bon sens et l’humilité où «la vérité de demain se nourrit de l’erreur d’hier» (Antoine de Saint-Exupéry).

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Constance Rivier, co-directrice du cabinet de conseils, coaching et formation, Life Dynamic International SA créé en 1983.

Plus d'articles de Constance Rivier
Charles Super est journaliste RP et pilote privé.
 
Plus d'articles de Charles Super