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Conseils pratiques
«Le bonheur au travail, ça ne se décrète pas»
Repenser l’environnement de travail de A à Z pour offrir davantage de bien-être aux employés: tel est le but du projet «EquiLibre» des Services Industriels de Genève (SIG). Plus de 600 employés sont concernés dans les locaux administratifs du Lignon et sur le terrain.
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Photo: Valérie Bauwens
Eric Suess est releveur de compteurs. Il connaît comme sa poche les villas, les immeubles et autres bâtiments du canton, dont il collecte les consommations d’eau, de gaz et d’électricité depuis 35 ans. «Avant, mon chef organisait mes tournées au jour le jour. Tous les matins, à 7 heures, je démarrais ma journée muni de ma liste de clients et d’une pile de cartes perforées. A 15 heures, après des relevés qui m’emmenaient souvent à l’autre bout du canton, je rentrais au siège du Lignon pour déposer mes cartes et prendre ma liste du lendemain. Depuis le début de l’année 2014, je ne viens au bureau qu’une fois par semaine, afin de rencontrer mes collègues. Il n’y a plus de papier. Je n’utilise plus qu’un appareil de saisie ultraléger et performant, qui me permet d’envoyer les données à distance. J’organise mes tournées de façon autonome. L’essentiel est que ma liste de la semaine soit effectuée.»
Fini, les horaires de bureau classiques
Marie-Alice Glorieux-Pereira est secrétaire-assistante. Pour elle, fini les horaires de bureau classiques, avec pointage matin, midi et soir. «On n’est plus évalué en fonction des heures passées au bureau, derrière notre ordinateur ou en séances. On me fait confiance pour hiérarchiser mes tâches. Et tant que le travail est fait dans les temps, je m’organise comme je veux. Par exemple, il m’arrive de me libérer deux heures l’après-midi pour amener mes enfants chez le docteur. Puis je finis le travail de la journée à la maison. Mais il faut savoir placer des limites: le soir, les deux heures prévues derrière son ordinateur peuvent vite s’allonger en trois ou quatre heures!»
Les Services Industriels de Genève regroupent 1700 employés et 145 métiers différents, qui vont du monteur-électricien à l’ingénieur spécialisé, en passant par le responsable de facturation. C’est le terrain idéal pour expérimenter une nouvelle organisation du travail, baptisée «EquiLibre». Pourquoi repenser notre façon de travailler? Parce que l’intrusion du numérique a révolutionné notre quotidien, privé et professionnel. Elle a d’abord bouleversé notre mobilité. «Nous passions les deux tiers de notre temps dans les trajets», se souvient Marc Guillermin, géomètre. «Tout ce temps gagné est réinvesti en heures de travail. Nous sommes débarrassés d’un stress énorme, et c’est un plus pour l’environnement.»
Un investissement pour attirer les jeunes talents
Les nouvelles technologies nous forcent également à repenser nos manières de travailler pour rester attractif sur le marché de l’emploi. «Peut-on encore être compétitifs et attirer de jeunes talents en travaillant comme il y a 20 ans?», s’interroge Christian Brunier, Directeur général de SIG. La technologie permet aux collaborateurs d’être plus autonomes, ce qui correspond aux souhaits de la direction. «Nous devons faire évoluer notre culture d’entreprise. Donner plus de liberté aux collaborateurs, en échange d’une plus grande efficience de leur part.» Et ce qui pourrait en découler ressemble bien à du bonheur au travail. «Mais attention! prévient Christian Brunier: le bonheur, ça ne se décrète pas. Par contre, une série de conditions cadres sont nécessaires pour que les gens se sentent plus à l’aise huit heures par jour.»
«Esthétiser» la place de travail. Les anciens bureaux ont été reconfigurés sur le modèle d’un appartement design, jalonné de fauteuils, de plantes vertes et de vastes plateaux de travail. Des espaces décloisonnés permettent de se consacrer à son travail en toute liberté. Pour s’isoler, il suffit de se déplacer dans des salles délimitées par des parois vitrées. Les collaborateurs ne disposent plus de place attitrée. «Avant, j’étais enfermée dans mon bureau et je ne parlais qu’avec mes quatre collègues directes. Maintenant, je rencontre des collaborateurs d’autres secteurs. Les échanges se font de façon spontanée», témoigne Marie-Alice Glorieux Pereira. «Le travail devient un lieu de convivialité. Les gens boivent naturellement un café ensemble tout en travaillant, parlent plus facilement entre eux», se félicite Christian Brunier.
Pointer en pleine campagne
Accompagner l’accroissement de la mobilité. Comment être heureux lorsqu’on passe deux heures par jour dans les bouchons? La mobilité pose un vrai problème, social et environnemental. Pour permettre aux collaborateurs de travailler au meilleur endroit, et de la meilleure façon, le programme EquiLibre donne plusieurs possibilités. Par exemple, les géomètres de SIG, sans cesse sur le terrain, n’ont plus besoin de venir pointer au Lignon avant et après leur journée. Et un bureau a été aménagé en pleine campagne, ce qui leur évite de devoir traverser la ville pour passer de chantier en chantier.
«Depuis que nous sommes installés dans la station d’épuration des eaux de Villette, notre équipe de six géomètres se retrouve plus facilement réunie que lorsque nous étions au Lignon. Ceci parce que nous passons moins de temps sur la route. Bien sûr, nous continuons à rencontrer nos autres collègues du Lignon à l’occasion de réunions, environ toutes les deux semaines. Et l’été, nous organisons des grillades avec l’équipe de la station d’épuration des eaux, qui travaille sur le même site. L’ambiance est conviviale, et familiale!», explique Marc Guillermin.
Des horaires «à la confiance»
Favoriser l’autonomie. Smartphones, logiciels de poche high-tech, ordinateurs ultralégers: les technologies de l’information incitent les employés à rester connectés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ce nouveau mode de fonctionnement pousse chacun à travailler hors du bureau. C’est un gain pour les employeurs. «L’entreprise se doit de redonner quelque chose aux collaborateurs: des horaires à la confiance, et plus d’autonomie dans la façon de travailler», déclare Christian Brunier. «Et nos règles sont claires: les cadres ne doivent pas déranger leurs équipes le soir et le week-end.»
Le travail à l’objectif prend le pas sur les contrôles de présence. Chaque collaborateur reçoit une liste de tâches à accomplir, de dossiers à suivre. Il est libre de s’organiser comme bon lui semble pour remplir les missions qui lui ont été confiées. D’où une amélioration de l’efficacité. Christian Brunier estime à 10 % le gain de productivité des géomètres de SIG. Quant aux releveurs de compteurs, leurs listes de tournées ne cessent de s’allonger. «J’effectue deux fois plus de contrôles qu’il y a 30 ans», estime Eric Suess.
Pour relever les index, il faut se rendre dans les sous-sols des bâtiments, où sont installés les compteurs centraux. Puis, souvent, regagner les appartements, dans les étages, afin de se rendre chez les clients. «C’est un travail qui comporte une part sociale, c’est passionnant!», témoigne Eric Suess. Sa part plus contraignante: parcourir des dizaines de kilomètres dans les couloirs et les escaliers. Avec pour corollaire, une bonne fatigue physique en fin de journée.
Repenser la hiérarchie. Les bureaux décloisonnés de SIG ne font plus de différences entre collaborateurs et managers. Plus personne n’a de place attribuée, les cadres travaillent aux côtés de leurs équipes. La hiérarchie s’efface, en faveur d’un fonctionnement horizontal. Et le rôle de cadre s’en trouve bouleversé : «Le petit chef contrôleur, ça ne pourra plus exister. On se dirige vers la fin de l’encadrement intermédiaire», prédit Christian Brunier. «Un cadre, c’est maintenant un animateur de réseaux. Qui tranche, qui est là pour permettre à un projet de se réaliser.» Le bonheur au travail ne passe plus inévitablement par l’ascension hiérarchique. «Jusqu’ici, la perspective de devenir cadre, c’était une possibilité de faire évoluer les gens, de reconnaître leurs compétences ou leur ancienneté. Désormais, SIG préfère développer ses filières d’expertise : un super-ingénieur peut être aussi bien payé qu’un cadre. On le valorise pour d’autres compétences que celles de gérer des équipes.»