Conseils pratiques

Le harcèlement sexuel sur la place de travail en Suisse: quel bilan?

En partenariat avec HR Today et avec le soutien financier du Fonds national suisse de recherche scientifique (FNS), l’Université de Lausanne lance une grande enquête sur le harcèlement sexuel sur la place de travail. Nous publions ici un premier état des lieux, avec un appel aux témoignages pour approfondir l’enquête.

Même si les cas de harcèlement sexuel restent une exception, une étude de 2008 mandatée par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) et le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG)1 a démontré qu’en Suisse romande, 18 pour cent des femmes et 7 pour cent des hommes se sentent harcelé-e-s sur leur lieu de travail au moins une fois au cours de leur vie active. Cette question constitue donc un enjeu pour bon nombre de services des ressources humaines.

Des répercussions à plusieurs niveaux

Le harcèlement sexuel a une influence négative sur l’ambiance au travail et augmente considérablement le désir des personnes qui y sont confrontées de quitter leur poste de travail. A ces conséquences professionnelles s’ajoutent bien souvent des répercussions sur la vie privée et la santé des personnes: sentiment de honte, culpabilité, dépression, troubles du sommeil et de l’appétit, détresse psychologique sont fréquemment constatés.

La détérioration du climat et de l’ambiance au travail à la suite d’un cas de harcèlement sexuel, peut également entraîner des tensions, des conflits et une démotivation parmi les collaborateurs. Il est alors fréquent d’observer des démissions ou des problèmes de santé physique ou psychologique chez ces derniers et une baisse importante de la productivité et de la qualité du travail de tout un service.

Il est alors nécessaire pour les entreprises de parer à l’absentéisme, aux départs des employé-e-s – touchés directement ou indirectement par ces comportements – ou encore à leur démotivation et au déclin de leur productivité. L’ensemble des mesures à prendre représente un coût important, tant économique qu’humain, qui pourrait être réduit par une prévention efficace au sein des organisations, comme le demande la loi.

Des préjugés comme obstacle dans la prévention au harcèlement sexuel?

En Suisse, la loi sur l’Egalité entre hommes et femmes (LEg2) exige des employeurs la mise en place de mesures visant à prévenir les comportements de harcèlement sexuel. Or, aujourd’hui, ces dites-mesures ne sont pas encore systématiques, exception faite des grandes entreprises et des administrations publiques.

La persistance de nombreux préjugés peut être une explication à la passivité des entreprises face à ce phénomène pourtant fréquent et important. Aujourd’hui demeure l’idée que les comportements et les plaisanteries à connotation sexuelle ne sont pas aussi graves qu’il n’y paraît et peuvent même être bénéfiques pour l’ambiance au travail.

Les personnes touchées sont encore souvent considérées comme étant responsables du harcèlement sexuel auquel elles sont confrontées. Ainsi, nous entendons souvent dans de pareils cas: «Ces personnes l’ont bien cherché», «Elles aiment ça», «C’est un complot».

De tels préjugés ont comme conséquences une sous-estimation du nombre de cas, mais également une dévalorisation des répercussions qu’ils peuvent avoir sur les personnes touchées et plus généralement, sur l’entreprise.

A cette discréditation du harcèlement sexuel sur le lieu de travail s’ajoutent de nombreuses idées reçues distinguant les hommes et les femmes, les premiers étant pensés comme les seuls instigateurs de harcèlement et les secondes comme les uniques victimes de ce phénomène.

Or cette approche, opposant les hommes-auteurs aux femmes-victimes, n’a comme conséquence que la création d’une vision réduite du phénomène, ne rendant pas compte de son ampleur réelle et freinant la mise en place d’une prévention adéquate.

Qui harcèle qui, comment et pourquoi?

Les préjugés encore très présents et la sous-estimation du harcèlement sexuel sur le lieu de travail nous obligent aujourd’hui à reconsidérer le phénomène. Afin de développer une vision complète de ce dernier et d’aboutir à une bonne compréhension de ses antécédents et de ses répercussions, il est aujourd’hui essentiel de replacer le harcèlement sexuel sur le lieu de travail au centre des préoccupations.

Financée par le Fond National Suisse  de la recherche scientifique (FNS), le programme de recherche «Harcèlement sexuel sur le lieu de travail: qui harcèle qui, comment et pourquoi» vise trois buts. 1. Une meilleure et plus complète compréhension du phénomène en Suisse. 2. Un développement objectif et constructif de cette question. Et 3. Une conceptualisation précise favorisant la création d’un dispositif de prévention ciblé, efficace et complet.

Ce projet, administré depuis l’Université de Lausanne par la Professeure Franciska Krings, est plus généralement intégré dans le Programme national de recherche no60 «Egalité entre hommes et femmes» (www.nfp60.ch) et a pour objectif de saisir et analyser les raisons intrinsèques à la persistance des inégalités de genre.

Ce projet tend à intégrer différents aspects du harcèlement sexuel sur le lieu de travail qui ont, jusqu’à présent, été ignorés. Ainsi les hommes et les femmes sont considéré-e-s dans cette recherche comme pouvant être à la fois auteur-e-s et victimes du harcèlement sexuel.

Un accent particulier est également mis sur le rôle du contexte organisationnel (p. ex. climat, règlement, sentiment de justice etc.) dans l’émergence ou la prévention de tels comportements et sur les facteurs culturels existants entre les différentes régions linguistiques en Suisse.

Au final, le programme de recherche est constitué de quatre volets.

  1. Etude du risque et de la prévalence du harcèlement sexuel sur le lieu de travail en Suisse italienne. Cette partie est maintenant terminée et vise à compléter des études analogues menées antérieurement en Suisse alémanique et romande, pour lesquelles les résultats sont déjà connus (Strub & Schär Moser, 2008)
  2. Entretiens avec les victimes de harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
  3. Enquêtes anonymes pourtant sur les auteurs potentiels.
  4. Etudes de cas dans les entreprises.

Les résultats de ce projet ont comme objectif de constituer une base solide et utile aux entreprises et aux particuliers, sur laquelle pourront se construire des mesures de prévention du harcèlement sexuel efficaces et complètes.

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Audrey Mouton est doctorante FNS et assistante de recherche au Département de comportement organisationnel de HEC Lausanne.

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