Dossier

«Le pouvoir représente avant tout une grande responsabilité»

Membre de la Direction générale d’UBS Suisse, Christine Novakovic livre ici sa vision du pouvoir. «Peu importe le genre, l’âge ou la nationalité, dit-elle, ce qui prime est de placer les bonnes personnes au bon endroit.»

La condition pour interviewer Christine Novakovic est de lui envoyer les questions à l’avance. Le jour J, elle arrive avec quelques minutes de retard, rayonnante et très con-centrée, malgré les journées marathon qu’elle enchaîne depuis 2011, quand elle a repris la division «Corporate & Institutional Clients» chez UBS. D’entrée, elle nous avoue qu’elle a longuement hésité avant d’accepter notre proposition. «J’ai un gros problème avec la notion de pouvoir comme vous l’entendez dans vos questions», nous glisse-t-elle calmement, en nous regardant droit dans les yeux. Entretien.

Mais vous dirigez 1400 personnes, du pouvoir vous devez tout de même en avoir?

Christine Novakovic: Oui. Bien sûr, j’ai du pouvoir. Mais il faut préciser ce qu’on en fait et comment on le définit. Souvent, le pouvoir est connoté négativement. Pour moi, il représente avant tout une grande responsabilité. Je me sens responsable des 1400 personnes de ma division. Cet état d’esprit change profondément la manière dont je dois habiter ma fonction. Pour moi, être responsable, c’est poser l’intérêt des autres avant le mien. C’est à moi de créer l’environnement qui permettra leur réussite. L’attitude et la posture sont complètement différentes.

Et comment expliquez-vous cette mauvaise réputation du pouvoir dans le milieu bancaire?

Sans doute parce que le pouvoir a souvent été mal utilisé. Certaines personnes instrumentalisent parfois le pouvoir à des fins personnelles.

Pensez-vous que votre style de conduite est ce qu’UBS recherchait en vous recrutant?

Il y a toujours une raison quand on va chercher un cadre supérieur à l’extérieur. Cela permet d’acquérir du savoir-faire mais aussi un autre style de conduite.

Donc UBS désirait modifier sa culture d’entreprise en vous recrutant?

Oui, je le crois. Quand Lukas Gähwiler (CEO d’UBS Suisse, ndlr) m’a recrutée, il m’a clairement dit que la stratégie de la banque était en train de changer, avec une nouvelle culture d’entreprise, beaucoup plus orientée client notamment.

C’était donc une culture beaucoup plus masculine avant votre arrivée?

Non (pause)... Comment dire, c’était une culture moins ouverte aux émotions et moins orientée vers les clients.

Pouvez-vous illustrer cette culture «moins ouverte aux émotions» avec un exemple?

Je ne vais pas commenter le travail de mes prédécesseurs. Disons plutôt que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Après plusieurs années de baisse de nos parts de marché, nous sommes en train de les regagner. Pourquoi? Car nous avons remis les clients au centre et nous essayons de comprendre leurs besoins. Et malgré les contraintes nouvelles demandées par les régulateurs, nous essayons de ne pas trop nous concentrer sur nous-mêmes. C’est un énorme défi. Sans parler du déficit d’image de la place financière suisse... Ces dernières années, celle-ci a perdu beaucoup de sa crédibilité. A notre avis, la seule manière de s’en sortir, c’est d’être authentique, de parler de responsabilité, d’accepter les erreurs et d’être plus humains. Cela exige beaucoup d’énergie car il faut aller à la rencontre des gens, que cela soit nos clients ou nos collaborateurs, pour comprendre leurs difficultés. Il faut affronter les situations difficiles et protéger les collaborateurs quand ils se retrouvent exposés. Cet état d’esprit n’est pas donné à tout le monde.

Vous avez parlé d’émotions. Peut-on dire que les femmes sont plus à l’aise avec les émotions?

Les femmes sont plus émotionnelles par nature, certes. Cela dit, je me méfie des clichés. Durant ma carrière, je n’ai pas pu vérifier ces comportements dits typiquement féminins et masculins en organisation. Je n’ai jamais eu de problème avec les hommes, ni avec les femmes d’ailleurs. Le genre compte moins que l’honnêteté envers soi-même. Connaître ses forces et ses faiblesses est plus déterminant. Ce qui prime, c’est de choisir la bonne personne pour la bonne fonction. Peu importe que cela soit un homme, une femme ou le meilleur ou le plus visible. C’est la situation qui doit déterminer le profil.

Donc vous vous engagez aussi dans les processus de recrutement ?

Evidemment. A mon avis, les tâches les plus importantes d’un cadre supérieur sont le recrutement et l’attribution des fonctions à chacun. En tant que leader, je dois être capable de cerner les talents et d’identifier en interne la position qui leur permettra de s’exprimer au mieux. Je suis d’ailleurs aussi d’avis que quand un collaborateur ne donne pas satisfaction, la responsabilité appartient très souvent à son supérieur hiérarchique.

Combien de votre temps investissez-vous dans le recrutement des talents?

Si l’on tient compte de toutes les dimensions RH de mon job: les entretiens d’évaluation et de développement, les feed-back réguliers et tout ce qui est lié à la motivation et au leadership, cela représente plus de la moitié de mon temps.

Avec un ou une HR Business Partner?

Une (rires), elle s’appelle Ariane Racine.

Et elle est capable de vous tenir tête?

Le rôle des RH est fondamental. Et je ne parle pas de l’aspect administratif de la fonction. Les RH sont un partenaire stratégique. Quand je modifie la stratégie de ma division et que je décide par exemple que les clients doivent être traités différemment, j’ai besoin d’autres compétences. Je dois changer ma manière de recruter et ma manière d’évaluer. Je dois donc avoir quelqu’un qui m’aide à mettre en place la bonne stratégie RH pour réaliser ma stratégie Business.

Retour au pouvoir. Vous avez dit qu’un bon chef doit être authentique et savoir montrer ses faiblesses?

Oui.

Avez-vous un exemple?

J’ai pris parfois des mauvaises décisions.

Et là vous dites ouvertement à votre équipe: «Désolée, je me suis trompée»?

Naturellement. Cela peut arriver. Je suis un être humain. D’ailleurs, les collaborateurs le savent souvent bien avant vous. Et essayer de faire porter à un autre vos propres erreurs ne mène à rien.

Mais une banque comme UBS doit être un vrai panier de crabes. Et avouer ses erreurs devant tout le monde me semble risqué si vous voulez faire carrière, non?

Attention, faire des erreurs et les avouer ne veut pas dire montrer ses faiblesses à tout le monde. Je suis persuadée que d’avouer ses erreurs est une force. Vous ne pouvez qu’apprendre de vos erreurs. On n’apprend rien de nos réussites. Rien du tout. Dès lors, si vous faites porter le chapeau aux autres, vous n’apprenez rien. Sans parler du fait que votre entourage sait très bien lire à travers les lignes. Donc non seulement vous perdez votre crédibilité mais vous perdez aussi leur loyauté, car vos collègues craindront d’être votre prochain souffre-douleur.

Et les faiblesses?

Nous en avons tous. Tout le monde le sait. Mes collègues connaissent les miennes.

Mais il ne faut pas trop en parler, dites-vous?

Si vous faites semblant de ne pas en avoir, vous vous rendez encore plus faible. Si vous con- naissez vos faiblesses, vous allez créer un tel lien avec votre équipe que les forces réunies vont plus que compenser vos faiblesses. Mais cela veut dire que vous devez être capable de vous entourer de fortes personnalités. Beaucoup de personnes ont un problème avec cela. Je crois au contraire que la seule manière d’apprendre et de grandir est de s’entourer de fortes personnalités. Seules elles sont capables de vous montrer où sont vos limites. Cela est parfois très désagréable. Personnellement, en tant que femme italienne, j’ai de la peine avec la critique (rires).

On vous croit difficilement...

Si, si, je vous l’assure. Comprenez-moi bien, c’est une chose de digérer intellectuellement ses erreurs. Mais c’en est une autre de se l’entendre dire par son supérieur. Même si je sais qu’il a raison, je bouillonne à l’intérieur. C’est finalement assez naturel, je cherche toujours à bien faire, je rêve d’être parfaite. Je ne le suis pas, malheureusement. Notez que c’est bien pire quand les gens n’osent pas vous dire la vérité en face.

Etes-vous l’incarnation du leadership des nouvelles générations?

Je vais avoir 50 ans cette année, donc je ne suis pas si nouvelle (rire).

Mais ce style de conduite est apparu après la crise de 2008/2009?

Je ne sais pas. J’ai toujours été comme cela, car c’est aussi comme cela que j’aime être dirigée.

Pouvez-vous définir votre style de conduite?

Je cherche à m’entourer de fortes personnalités. Il faut aussi être ouvert et permettre la communication, le challenge et les erreurs. Enfin, il faut que l’équipe ait du plaisir à faire son travail. Je suis responsable de cet état d’esprit. Si vous parvenez à créer un environnement de travail dans lequel les gens travaillent avec plaisir, ils seront plus performants.

Quels sont les leviers pour créer une bonne ambiance dans une équipe?

C’est une affaire d’état d’esprit. Si vous êtes toujours dans le pessimisme, ça va être difficile. Pour ma part, j’ai toujours été très ouverte et positive. Et j’adore les défis et les responsabilités. J’estime que c’est un privilège de pouvoir être dans cette position. Avec cet état d’esprit, vous aurez automatiquement du plaisir au travail. Et le plaisir est contagieux.

Donc, c’est un management par l’exemplarité?

Oui, absolument. «Walk the talk», comme disent les Anglais. Il faut être en première ligne, surtout dans les situations difficiles. Je ne suis pas la dernière qui arrive le matin, ni la première qui part le soir. Cela dit, je veille aussi à ce que mon équipe ait des horaires qui permettent un bon équilibre de vie. Mon style de conduite est basé sur la confiance. Mais la confiance vous devez d’abord l’accorder aux autres avant de l’attendre en retour. Cela m’a souvent joué des tours. Mais les fois où c’est revenu en retour ont été d’autant plus nombreuses. Cela vaut vraiment la peine de faire confiance aux gens.

Selon une récente étude, une des tendances qui impactent le leadership aujourd’hui est la montée en puissance de l’individu...

Je suis profondément convaincue que la valeur la plus précieuse d’une entreprise est son personnel.

Oui, sauf qu’ils disent tous cela...

Peut-être, personnellement, j’essaie de le vivre vraiment. Quand vous avez cette conviction, vous percevez la singularité de chaque collaborateur. Dans mon équipe, chaque collaborateur reçoit des objectifs spécifiques, avec deux ou trois objectifs très personnels, qui concernent ses faiblesses et ses forces individuelles.

Ce sont des aspects «soft»?

Oui. Rien à voir avec la banque. A-t-il suffisamment confiance en lui? A-t-il le courage de dire son avis? Et ensuite nous travaillons dessus. Donc cette tendance vers l’individualisation des pratiques me réjouit. Car très souvent, les collaborateurs sont perçus comme un facteur de coût. On parle d’équivalent plein temps (EPT) et non d’êtres humains. Je trouve cela dramatique! Nos collaborateurs sont ce qui fait la différence vis-à- vis de notre concurrence. Dans la banque, un crédit est un crédit. Que vous le prenez chez nous, au Credit Suisse ou à la Banque cantonale de Zurich, cela revient plus ou moins au même. C’est le conseiller qui fait la différence. Quand vous avez compris cela, vous gérez votre personnel différemment.

Banquière de haut vol

Christine Novakovic est responsable de la division «Corporate & Institutional Clients» chez UBS Suisse (1400 collaborateurs). Italo-autrichienne d’origine, elle étudie l’économie et le droit des affaires européen à l’université Luigi Bocconi à Milan. Entrée dans le milieu bancaire à 26 ans comme stagiaire (Dresdner Bank), elle fait une brillante carrière en accumulant les responsabilités et les promotions hiérarchiques (Citibank, Bayerischen Hypo- und Vereinsbank notamment). Passionnée d’art, Christine Novakovic, qui aura 50 ans cette année, avait été nommée «Manager de l’année» en 2003 par le magazine allemand Wirtschaftswoche.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos