Le retour du sacré
Alors que les débats sur la laïcité et le fait religieux semblent monter en puissance dans nos sociétés, la réalité nous montre que la sécularisation qui s’opère depuis plusieurs décennies n’a pas réussi à «gommer» la dimension «sacrée» qui marque de son empreinte nos actions, qu’elles soient personnelles ou professionnelles.
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Néanmoins, il convient de ne pas confondre les deux notions, car si sacré et religieux sont intimement liées, elles sont bien distinctes. La première relève du ressenti, de l’expérience spontanée alors que la seconde codifie et ritualise la première et se borne à être une élaboration sociale et normalisatrice. C’est pourquoi là où il y a du religieux, le sacré n’est jamais très loin alors que l’inverse ne se vérifie pas toujours.
Mais d’autres domaines puisent dans les rites et symboles. Dans le marketing et la communication par exemple, difficile d’occulter les références à la Chose sacrée. Pensons ici à Apple qui utilise massivement la symbolique du sacré. Il suffit de pénétrer dans un Apple Store pour le constater. De l’organisation spatiale à la mise en valeur des produits en passant par les postures adoptées par les geeks en polo qui vous accueillent à la porte, tout est fait pour vous faire comprendre que vous entrez dans un «Temple», et que vous rejoignez une communauté, celle des utilisateurs de l’environnement Mac.
On trouve de la même manière Nike et sa déesse grecque de la victoire, Niké, capable de se déplacer à grande vitesse grâce à ses ailes; Hermès, le messager des dieux et gardien des voyageurs conduisant les âmes aux Enfers tout en guidant les héros et les voleurs, mais aussi la NBC et le paon que l’on aperçoit dans le logo du groupe audio-visuel. Le volatile au plumage coloré, outre le fait d’être «l’ami des sources» car il anticipait d’un cri la pluie, incarne dans la symbolique chrétienne, la résurrection, le renouveau. Cela rend le choix de l’animal d’autant plus subtil car un média n’est-il pas censé apporter des «nouvelles» et en vérifier les sources? Dans le cas d’un produit qui nous est encore plus familier, le Toblerone, il n’aura échappé à personne qu’il représente le Mont Cervin, montagne emblématique de la Suisse et qu’un ours – subtilement dissimulé sur son flanc – représente la ville de Berne, encore une symbolique datant de 1513 et qui incarne à merveille la dimension sacramentale de cette montagne.
Les pratiques managériales et leur champ lexical ne sont pas en reste. On peut y observer également de nombreuses allusions au sacré, à commencer par le mot hiérarchie, cette colonne vertébrale du pouvoir, qui tire son étymologie du mot grec hieros, qui signifie sacré et de arkhê, pouvoir, commandement et qui servait initialement à définir les liens de subordination dans le monde ecclésiastique, encore une allusion qui ne doit rien au hasard. Qu’il s’agisse de rites de passage avec les entretiens d’embauche, annuels et/ ou d’évaluation, des grand-messes, manifestations solennelles dont les enseignes telles que Microsoft et (encore) Apple usent et abusent en mettant en scène leurs dirigeants afin de galvaniser leurs «troupes» à l’occasion de shows devenus légendaires, les mythes et symboles participent à la normalisation des entreprises en (re)créant du lien, encore un concept fort qui fait appel au latin religare, «relier» et qui donnera le mot religion.
Publicitaires, gourous de la communication et managers peuvent donc être tentés de mettre en avant des références au sacré afin de faire (re) naître en nous des sentiments tribaux et claniques d’appartenance et nous placer dans des situations de quasi-dépendance, voire d’addiction. Tel est le risque encouru si l’éthique se laisse dépasser par l’esthétique. Mais à l’heure où l’image est reine, où le storytelling fait rêver le consommateur même si nous sommes tous conscients que «le mythe n’est pas l’histoire», le contenant prime sur le contenu et la mondialisation nous éloigne petit à petit de notre propre histoire, il convient d’admettre que le sacré, n’en déplaise à certains, apparaît comme étant un élément structurant de la sphère économique et sociale et nous rappelle naturellement à notre terroir ainsi qu’à notre identité.