Le système dual, une fierté nationale qui doit être réformée
Tout le monde s’accorde à dire, y compris à l’étranger, que le système de formation dual suisse est une «petite merveille». Mais face à la numérisation et à l’académisation, il doit être repensé.
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C’est l’une des fiertés nationales en Suisse: la formation duale fait non seulement partie de l’ADN helvétique, mais elle est aussi enviée, voire copiée, à travers la planète. Et vu notre taux de chômage des jeunes bien inférieur à celui de nombreux autres pays, on nous pardonnera volontiers ce cocorico. En ouvrant très tôt aux futurs salariés la porte du marché du travail – par le biais de la formation en entreprise –, l’apprentissage joue le rôle d’intégrateur social. L’un des autres atouts majeurs du système dual, c’est qu’il «colle à l’évolution de l’économie», fait remarquer Antoine Chappuis, responsable formations auprès du Centre Patronal. «Certes, il y a 2-3 ans de décalage. Mais globalement, le tissu entrepreneurial forme les professionnels dont il a besoin. En Suisse, on ne forme pas à être chômeur.»
Les jeunes Suisses ne s’y trompent pas: environ deux tiers d’entre eux choisissent la voie de la formation professionnelle après l’école obligatoire, selon le Secrétariat d’Etat à la formation (SEFRI). En 2015, le certificat fédéral de capacité (CFC) représentait quelque 58% de tous les diplômes décernés à l’issue du secondaire II, soit 63 366. Une part à laquelle il faut ajouter celle des attestations de formation professionnelle (AFP), soit 5% (ou 5917 diplômes). Actuellement, les apprentis peuvent faire leur choix parmi près de 230 formations professionnelles différentes (CFC et AFP confondus). Dans 90% des cas, l’apprentissage est effectué à la fois en entreprise et en école professionnelle, contre 10% en mode «pure école». Il faut néanmoins souligner qu’en Suisse romande, cette part est beaucoup plus importante (plus de 24%). A titre comparatif, ajoutons que la maturité gymnasiale ne représente qu’environ 17% des diplômes du secondaire II, contre 13% pour la maturité professionnelle.
Passerelles à mettre en avant
Qui dit pourcentage élevé d’apprentissages dans le système de formation suisse dit entreprises prêtes à jouer le jeu. Pour les patrons, l’un des avantages principaux réside dans la rentabilité de cette main-d’œuvre à la fois bon marché et productive (voir l’encadré en page 20). Former soi-même la relève, c’est aussi s’assurer que ces collaborateurs collent avec la philosophie de la société. Et s’éviter de futures dépenses de recrutement et d’on-boarding. Reste qu’à l’image de la guerre des talents qui sévit sur son marché du travail, la Suisse connaît une véritable guerre des apprentis. Selon le dernier baromètre de l’apprentissage du SEFRI, le pays comptait 7000 places vacantes au 31 août 2017 (pour 90 000 places attribuées).
Selon plusieurs responsables de la formation professionnelle en entreprise interrogés de façon informelle, l’un des défis majeurs en matière de recrutement des apprentis est l’intérêt accru des jeunes – et de leurs parents – pour la voie académique. De plus en plus de bons élèves se laisseraient séduire par les sirènes du gymnase, les entreprises formatrices devant ensuite se contenter des jeunes en difficulté scolaire. «Cette question de l’académisation est un vieux débat», nuance Frank Sobczak, directeur de la formation auprès de la FER-Genève. «Mais il est vrai que la mondialisation encourage les jeunes à obtenir des diplômes reconnus à l’étranger. Dans ce contexte, il est d’autant plus important de promouvoir le système de passerelles (entre les formations professionnelle et académique, ndlr.).» Ce système «est bien fait, mais malheureusement pas assez mis en avant.»
Apprendre au long de la vie
Reste que la principale préoccupation actuelle des milieux de la formation est à chercher du côté de la numérisation. Alors que les machines sont à même de remplacer des tâches humaines de plus en plus nombreuses et perfectionnées, «comment amener au mieux les élèves qui sont plus à l’aise dans les métiers manuels à développer des compétences abstraites?», s’interroge Oriane Cochand. La directrice du Centre professionnel du Nord vaudois constate parallèlement que certains métiers ont déjà bien su négocier le virage numérique et «bénéficient d’une nouvelle aura en intégrant les nouvelles technologies». Elle cite en exemple les professions de polymécanicien et de médiamaticien, qui suscitent un intérêt croissant auprès des jeunes. De l’avis d’Antoine Chappuis, il faudrait justement encourager cette évolution des métiers au rythme de la numérisation. Le hic? Les plans de formation ne sont révisés que tous les 4-5 ans à l’échelle fédérale, «ce qui est trop lent».
Le responsable du Centre Patronal souligne par ailleurs l’importance que revêt «plus que jamais» le fait de continuer à se former tout au long de la vie. Un avis partagé par le SEFRI et les partenaires de la formation professionnelle: adoptée fin 2018, la stratégie fédérale Vision 2030 – qui a pour but de s’adapter aux évolutions du marché du travail et de la société telles que numérisation, mobilité professionnelle croissante et évolution démographique – mentionne justement comme première ligne d’action l’orientation de la formation professionnelle tout au long de la vie.
La préoccupation des parents
Dans plusieurs interviews accordées récemment à des médias romands, Laurent Alexandre, auteur de l’ouvrage «La guerre des intelligences», estime que toutes les personnes sans compétence particulière pourraient à l’avenir se faire «laminer» par l’intelligence artificielle. Selon lui, la formation duale helvétique est une «petite merveille», mais elle doit être adaptée afin de développer les facultés multidisciplinaires et transversales des jeunes, ainsi que leur esprit d’innovation. Dans le même ordre d’idée, Frank Sobczak est convaincu que le système de formation obligatoire suisse doit être revu en profondeur, en mettant en avant l’apprentissage collaboratif, la gestion de projet en interaction, l’entrepreneuriat et la confrontation à la réalité virtuelle. Le responsable de la FER-Genève ne peint pas pour autant le diable sur la muraille: «La peur de la numérisation, c’est celle des parents. Les jeunes, eux, ils vivent déjà avec.»