Femmes et carrière

«Le top management est un monde encore très masculin»

Comment gérer son rôle de femme et de mère tout en conservant sa place dans l’entreprise, s’y épanouir et même y évoluer? Le casse-tête est complet. Pour tenter de trouver des solutions, la société PageGroup a lancé le projet «Women@page», un programme d’accompagnement des femmes dans leur carrière. Entretien avec Esther Roman, directrice régionale de la formation et du développement pour l’Europe et l’Afrique au sein de PageGroup.

Esther Roman, selon vous, peut-on aujourd’hui en Suisse être une mère, travailler à temps partiel et envisager un plan de carrière?

Oui, sans hésitation, je pense que c’est tout à fait possible. A titre personnel, je suis convaincue qu’en Suisse ou ailleurs, le choix de poursuivre une carrière ou non devrait venir de la femme. Ce qu’on constate aujourd’hui c’est qu’il y a trop de contraintes externes qui empêchent ce libre choix. En plus des contraintes structurelles telles que les places en crèche, il existe aussi une barrière culturelle qui empêche une maman d’envisager sereinement une carrière professionnelle ambitieuse, en même temps qu’assurer un rôle de mère. Le vrai challenge tient au changement des mentalités.

Dans le programme Women@page, une série de mesures ont été expérimentées durant les 6 premiers mois de l’année 2013 à travers le monde. Quelles sont les attentes majeures d’une maman qui revient dans l’entreprise après son congé maternité?

Nous avons constaté que la plupart des femmes veulent revenir en entreprise, s’assurer de la possibilité d’évolution de leur carrière, même avec un taux d’occupation à temps partiel. Dans l’entretien pré-congé maternité, nous nous focalisons sur la transition, le passage des dossiers et la période d’absence. L’entretien post-congé maternité a lui pour but de bien réintégrer la maman dans son environnement professionnel sans la moindre difficulté.

Les femmes ont-elles d’autres attentes?

Oui, et elles concernent principalement les postes à responsabilités. Notre objectif est de supprimer toute crainte que pourrait avoir une femme de se voir privée d’une progression dans sa carrière du fait de son nouveau rôle de maman. Nous leur offrons notamment des possibilités de Home Office et divers processus flexibles.

En Suisse, le taux de temps partiel chez les femmes est l’un des plus hauts d’Europe. On constate également que la grande majorité des femmes privilégient leur famille à leur carrière, sans distinction du niveau de formation. Peut-on dire que la Suisse n’est pas prête culturellement à favoriser les carrières de femmes?

C’est une question très délicate. En Suisse ou dans d’autres pays, le problème tient plutôt au soutien apporté par le législateur. Quelles mesures sont mises en place pour permettre à une maman de mener de front sa carrière et son rôle de maman? Je fais allusion par exemple aux places disponibles en crèches, à la durée moyenne d’attente pour avoir une place, etc. En Allemagne par exemple, il faut parfois attendre une année complète pour avoir une place en crèche! C’est donc un frein énorme, puisque la maman doit retarder son retour au travail.

La difficulté pour l’entreprise est donc de mettre en place des dispositifs pour que le choix du retour vienne de la maman et ne soit plus dicté par quelque facteur externe lié au système. D’autant que d’autres solutions existent comme le télétravail, etc.

Quelles branches sont les plus à la pointe dans l’accueil et l’épanouissement des femmes en entreprise?

Nos résultats ne permettent pas de répondre avec précision à cette question. Notre programme est destiné avant tout au secteur des services. Et dans ce secteur, il y a encore beaucoup de travail à effectuer! Notre travail consiste à entretenir des rapports avec nos partenaires et nos candidats. Cet entretien des bonnes relations nécessite un suivi constant. Après un congé maternité ou une interruption d’activité, il peut être difficile pour les mamans de retrouver leur poste tel qu’elles l’ont quitté, car il faut reconstruire le portfolio de clients, reprendre les relations avec les candidats et s’intégrer de nouveau dans leurs équipes.

A quels investissements, en % du chiffre d’affaires (CA), une entreprise doit-elle consentir pour améliorer les conditions de travail des femmes dans une entreprise?

Cet indice n’a pas été mesuré de manière précise en lien avec le chiffre d’affaires. En revanche, toutes les initiatives que nous avons menées depuis le début de l’année ont nécessité de gros investissements. A ce stade, nous sommes en train de boucler le budget 2014 des initiatives pour l’Europe. Et je peux vous assurer qu’il s’agit d’un investissement conséquent. Nous sommes convaincus de l’impact que peut avoir ce programme sur la stabilité des collaborateurs de notre entreprise et sur la place des femmes au sein de Page Group. La productivité de nos collaborateurs est clairement améliorée. En outre, l’équilibre hommes/femmes nous apportera une multitude de points positifs en terme de CA et de qualité de travail.

Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur de cet investissement?

Le programme Women@Page a été lancé en Europe cette année seulement et le budget 2014 qui y sera consacré n’est pas encore fixé.

Quels sont ces principaux investissements qui permettent aux femmes de mener une carrière et d’avoir une vie de famille ?

Nous avons mis en place le programme «Parental kit» dans plusieurs pays. Il s’agit d’un guide pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Ce guide informe des droits dont bénéficient les parents et donne des précisions sur le cadre légal du pays en question. En complément de ces informations pratiques, nous y présentons les avantages que procurent Page Group aux collaborateurs qui souhaitent devenir parents. Il faut mentionner aussi les entretiens pré et post congé maternité, l’organisation logistique et les équipements destinés au Home office.

Comment jugez-vous l’importance de l’implication du management opérationnel dans le programme Women@page?

C’est sur ce point que nous travaillons le plus. Nous pouvons mettre en place toutes les mesures possibles pour favoriser l’équilibre hommes/femmes dans l’entreprise, mais si le top management (masculin à 99%) n’est pas convaincu, les efforts resteront vains. Pour y remédier nous avons mis en place un projet de «mentoring» qui permet à chaque collaboratrice d’avoir un «mentor» qui les accompagne dans leur carrière. Le mentor est un cadre de notre groupe. Le but du mentoring est de faire évoluer le senior management sur la question de la promotion des talents féminins.

C’est une approche «win-win». Cela met en lumière les comportements auxquels les femmes sont confrontées en entreprise au quotidien. Nous organisons également des événements de networking: les Page Group women’s nights (notamment à Genève le 5 novembre 2013). Une personnalité féminine du monde économique est invitée et participe à une conférence avec des collaborateurs et des partenaires (candidats et clients). Les invités sont majoritairement des directeurs de ressources humaines de grandes entreprises et des collaborateurs. L’idée est de permettre aux décideurs (les DRH) d’échanger sur le thème et de faire ainsi évoluer le débat.

Etes-vous en faveur d’une politique de quotas pour améliorer la situation? Et pourquoi?

Personnellement, je suis plutôt contre. L’idée d’accéder à un poste ou d’obtenir une promotion parce que je satisfais aux critères d’un quota ne me plaît pas vraiment. Si je parviens à progresser dans l’entreprise, je trouve plus gratifiant de savoir que c’est pour mes compétences et la qualité de mon travail. A mon avis, les entreprises devraient se fixer des objectifs – pas nécessairement quantitatifs – pour promouvoir les talents féminins en leur sein.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
Plus d'articles de Lionel Auzet