Depuis, en fait, l’avènement de l’entreprise moderne que l’on situe dès les premières décennies du siècle dernier avec la survenue d’experts du travail dans les bureaux des méthodes et l’émergence de la forme d’organisation par bureaux.
Saluons à cet égard le travail de l’historienne allemande Sabine Donauer qui, dans sa thèse défendue en 2014, montre comment et à travers quels «styles» la catégorie de l’émotion se présente depuis un siècle environ1. Dans les années 1930 – 40 par exemple, tant dans les apports scientifiques que dans le langage et les pratiques de l’entreprise, s’impose une dimension psychologique avec notamment la notion d’«inclination» («Neigung») personnelle comme marqueur au niveau académique et celle d’«individualisation» au niveau des pratiques. Une concentration sur la sphère privée des individus s’installe d’ailleurs résolument vers la fin de cette période. Ce que montre aussi l’auteure, c’est que les années 1970 et les RH compris comme «Relations humaines» ne constituent nullement une rupture avec le passé, mais une continuation logique s’accentuant pour aboutir aux RH entendues comme «Ressources humaines» – paradigme dominant encore aujourd’hui. Les «styles» de prise en compte des émotions varient dans le temps, mais ils répondent depuis plus d’un siècle à un véritable régime. C’est à plein régime que fonctionne l’émotion aujourd’hui!
On pourrait croire, à lire certain·e·s critiques contemporain·e·s des pratiques managériales, que le laisser-aller du management à la psychologisation – cette tendance à faire porter la charge de la preuve sur les seuls individus au lieu de s’intéresser aux questions d’(in)organisation du travail –, ne serait à l’oeuvre que depuis le tournant des années 1970 – 80. Or, une fois encore, il n’en est rien. Il traverse le siècle dernier jusqu’à nous pour former ce «style» caractéristique depuis les années 1990 avec des modalités aux fins d’adaptation, telles que le «bonheur au travail» par exemple. Ce faisant, les responsables RH s’écartent toujours plus de l’intérêt pour le travail – pourtant la base du «métier», s’il en est – sur lequel pèsent depuis des lustres des menaces, aujourd’hui proférées par les thuriféraires de l’idéologie du digital.
Saluons le travail de thèse de Nicola Cianferoni3 qui, à travers une enquête, analyse les rapports concrets de groupes au travail dans le cas de la grande distribution et montre combien l’économie politique s’incarne de façon très concrète dans ces rapports.
Des travaux académiques qui, avec d’autres, produisent force connaissances dont les responsables RH auraient avantage à découvrir pour revenir à leur première préoccupation: l’analyse et l’organisation concrète du travail. Cela fait trop longtemps que trop d’entre eux.elles s’évertuent à s’en éloigner au profit de questions processuelles ou de questions supposément stratégiques, quand ce n’est pas de développement personnel au goût de manipulation et d’infantilisation. D’où sans doute la réputation de gardeschiourmes qui leur colle à la peau. La fonction RH ne vaut-elle pas mieux?