L’entreprise ne peut pas garantir à elle seule le bonheur de l’homme
Directeur général de l’hôpital Riviera-Chablais, Pascal Rubin analyse ici l’équilibre délicat entre les intérêts individuels et collectifs dans la gestion d’une entreprise.
Photo: 123RF
«De nos jours, pour être efficaces et épanouis, les collaborateurs doivent être motivés et stimulés. S’ils se sentent appréciés et reconnus, ils contribuent davantage à la réussite de l’entreprise. «Un collaborateur «heureux» travaille mieux», entend-on souvent. Cet état de fait ne peut pas être contesté, mais comment l’entreprise contribue-telle au bonheur du collaborateur? Ne demandons-nous pas trop à l’entreprise dans cette société occidentale de plus en plus orientée sur la qualité de vie et les loisirs.
L’entreprise offre avant tout un travail à ses collaborateurs. Il n’est pas inutile de rappeler que l’origine du mot travail vient du latin tripalium, qui était un instrument de torture. Or, aujourd’hui, même si les conditions de travail se sont largement améliorées, le travail garde ses spécificités et ses contraintes. En effet, un collaborateur se verra fixer des exigences par son employeur (horaires de travail, code vestimentaire, activité, etc..). Dans le cadre d’une relation avec ses supérieurs et ses collègues, il risquera d’être confronté à des relations difficiles voire conflictuelles. Il pourra ressentir réellement ou subjectivement une charge de travail le conduisant à un épuisement professionnel. L’entreprise doit bien sûr tout mettre en œuvre pour réduire ce risque, tout en rappelant que chaque collaborateur dispose, certes de droits, mais aussi de devoirs.
Quand on analyse les statistiques d’absence du lieu de travail, on constate qu’elles sont en constante augmentation cette dernière décennie, alors que les conditions de travail n’ont cessé de s’améliorer. On peut s’interroger sur les causes. Est-ce l’entreprise qui augmente la pression face à son collaborateur ou est-ce le collaborateur, plus individualiste, qui résiste plus difficilement aux contraintes qui sont fixées par son employeur?
Même si l’entreprise porte sa part de responsabilité sur le bonheur du collaborateur, n’oublions pas le fait que le temps travaillé sur toute une vie se réduit puisque à la fois l’espérance de vie augmente et la durée du travail baisse. A l’Hôpital Riviera-Chablais, dans le cadre du projet de fusion des Hôpitaux de la Riviera et du Chablais, et dans la perspective du déménagement prochain sur le nouveau site de Rennaz, nous avons considéré que l’amélioration des conditions de travail était un facteur essentiel. Nous avons donc élaboré une nouvelle convention collective de travail. Elle intègre des améliorations notables comme par exemple, la sixième semaine de vacances dès 40 ans, un plan favorisant la retraite anticipée ou un congé maternité/adoption de 5 mois. Toutes ces améliorations ont un coût pour l’établissement, mais nous avons estimé que le jeu en valait la chandelle. Force est de constater que le résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances. Certainement que la majorité silencieuse de nos collaborateurs est satisfaite de ses conditions de travail et accepte les changements avec enthousiasme, mais une partie significative les vit mal. Cela se traduit par une augmentation de l’absentéisme notamment, pour des raisons d’épuisement professionnel.
Mais ce qui est le plus frustrant est la difficulté pour une direction à convaincre, faire comprendre ou faire accepter sa vision et ses actions. Prenons par exemple, les horaires de travail des soignants. Dans la perspective du déménagement sur Rennaz, la direction a affirmé sa volonté de revenir à des horaires en 8h30, sachant qu’aujourd’hui, ils sont en 12h30. Elle considère que ce type d’horaires a beaucoup d’avantages pour la prise en charge des patients, mais aussi pour la santé des collaborateurs. Cette détermination n’a pas été comprise par nos collaborateurs et il a fallu plus d’une année de négociations pour construire des horaires tenant compte des conditions cadres fixées par la direction, mais aussi des désirs affichés par les collaborateurs, qui souhaitent travailler un maximum d’heures en un minimum de jours, pour bénéficier ensuite de longs congés. Vous me direz que le point positif est la démarche participative de la base. Mais le sentiment qui prévaut quand même est que le résultat final est plutôt l’addition d’intérêts individuels en mettant quelque peu de côté l’intérêt collectif.»
Personnellement, je rêve d’une entreprise où chaque collaborateur prend la mesure au quotidien du sens qu’il a à réaliser sa tâche. Il donnera ainsi le meilleur de lui-même. L’entreprise doit le traiter équitablement et respectueusement. Elle doit lui marquer au mieux et au plus juste sa reconnaissance. Le collaborateur ainsi reconnu sera reconnaissant et pourra consacrer le maximum d’énergie à trouver l’équilibre adéquat entre sa vie professionnelle et sa vie privée.