Compétences

Les compétences du futur dans la coopération internationale

Avec le changement climatique, la géopolitique instable, ou encore la décolonisation de l’aide, le secteur de la coopération internationale (1) est en pleine transformation. Les compétences transversales comme la collaboration et la pensée systémique deviennent cruciales et gagneront en importance d’ici 2030. Une étude récente de ETH Nadel s’est penchée sur cette évolution.

L’intelligence artificielle prend un poids de plus en plus important dans nos processus de travail au quotidien et dans nos pratiques professionnelles. Fascinante (ou inquiétante) par ses capacités toujours plus poussées, l’IA pourrait rendre obsolètes bien des domaines d’expertise, mais ne remplace pas encore certaines caractéristiques humaines. Parmi elles, les soi-disant «soft skills» qui ont trait à notre façon d’interpréter et d’interagir avec le monde, avec des cultures différentes et des personnes d’environnements hétérogènes. Ces «attitudes» sont par ailleurs souvent oubliées dans les parcours d’apprentissage des professionnelles et professionnels – que ce soit durant les études, au travail ou dans la formation continue. L’accent est encore souvent mis sur le savoir-faire et l’expertise spécialisée. Dans le secteur de la coopération internationale, qui fait face à un monde hautement complexe, ces attitudes jouent un rôle de plus en plus important dans la poursuite des objectifs de développement durable de l’ONU.

Une recherche sur les compétences du futur

Quelles sont les compétences décisives pour répondre, à l’avenir, aux besoins de la coopération internationale? En collaboration avec Nadel (institut de l’EPFZ spécialisé dans la coopération et le développement), le centre de compétences cinfo a mené une étude auprès de 230 femmes et hommes experts du secteur, liés pour la plupart au contexte suisse.

Les questions suivantes ont été explorées:

  • Comment la coopération internationale évoluera-t-elle d’ici 2030?
  • Quelles compétences seront nécessaires pour y faire face?
  • Comment les individus peuvent-ils développer ces compétences?

Un futur complexe et incertain

Les expertes et experts interrogés·es sont largement d’accord sur les tendances majeures impactant la coopération internationale à l’horizon 2030. On y retrouve le changement climatique, les déplacements humains et les migrations, la pénurie d’eau, les relations entre la paix, l’humanitaire et le développement (nexus), les inégalités croissantes, la fragilité, la localisation ou décolonisation et les changements technologiques.

Certaines tendances sont liées à des thématiques spécifiques, tandis que d’autres indiquent un changement fondamental dans les relations entre les acteurs du secteur (notamment entre «donateurs» et «bénéficiaires» ou entre le secteur privé et les organisations à but non lucratif). Ces résultats dessinent un monde de plus en plus interconnecté, complexe, incertain, ambigu et volatile.

Du savoir-faire au savoir-être

Jusqu’aux années 1970 et dans la plupart des secteurs, les employeurs demandaient à leur personnel des connaissances thématiques, la capacité de résoudre des problèmes et des compétences analytiques, ainsi que des aptitudes en communication et en organisation personnelle.

La donne a changé: les professionnels·les de la coopération internationale doivent se préparer à des emplois qui n’existent pas encore, à des technologies qui n’ont pas encore été inventées, et à des solutions à des problèmes sociaux que presque personne ne prévoit. Ils et elles doivent être en mesure de comprendre les systèmes complexes qui caractérisent notre monde en constante évolution. Un expert interviewé dans l’étude mentionne que «le monde ne récompense plus les gens pour leurs connaissances, mais pour la manière dont ils les utilisent, comment ils agissent dans le monde et à quel point ils peuvent s’adapter de manière flexible».

Les expertes et experts interrogés citent ces quatre champs de compétences comme étant les plus essentielles pour l’avenir:

  • La collaboration, la coopération et le travail d’équipe, dus à la multiplication des acteurs, y compris du secteur privé.
  • L’adaptabilité et la flexibilité, liées par exemple aux interconnexions croissantes entre la coopération au développement, l’humanitaire et la promotion de la paix.
  • La pensée critique, primordiale face à la numérisation, le rôle du secteur privé et la localisation du secteur de la coopération.
  • La pensée systémique ou la prise en compte de la «vision d’ensemble» mise en relation avec la géopolitique et les tendances systémiques.

Les résultats de l’étude de cinfo et Nadel convergent vers un constat, déjà porté par l’initiative des «Inner Development Goals» (objectifs de développement intérieur), selon laquelle «nous manquons de capacités intérieures pour faire face à un environnement et à des défis de plus en plus complexes».

Les attitudes s’apprennent elles aussi

Heureusement, les attitudes, bien que partiellement liées à la personnalité individuelle, aux prédispositions psychologiques ou à la socialisation peuvent être développées grâce à divers mécanismes. Ces derniers englobent l’éducation formelle, la formation continue, ainsi que des initiatives axées sur la mise en pratique, comme le coaching et le mentorat. Une profonde connaissance de soi-même et une sensibilisation accrue aux aspects plus subtils de l’intolérance et du racisme sont des premiers pas dans la bonne direction.

Les conclusions tirées de l’étude fournissent des recommandations qui ciblent à la fois les professionnelles et professionnels du secteur et les employeurs. Parmi ces recommandations:

  • L’apprentissage expérientiel: les professionnels·les devraient privilégier (et les employeurs encourager) l’apprentissage pratique sur le terrain en s’engageant dans le bénévolat ou les mouvements sociaux, en cherchant des échanges interculturels, et en occupant différents rôles et postes dès le début de leur carrière.
  • Une remise en question: les organisations dans la coopération internationale doivent se demander régulièrement pourquoi elles font ce qu’elles font pour mieux identifier et promouvoir les compétences nécessaires.
  • Les échanges entre pairs et le mentorat: en plus de déléguer des tâches, les professionnels·les expérimentés·es doivent assumer leur propre responsabilité et agir en tant que mentors pour les plus jeunes. Les employeurs devraient promouvoir les échanges entre membres d’équipe de différents milieux culturels.
  • Les formations formelles: les employeurs doivent offrir des formations internes ou externes, en élargissant ces opportunités aux compétences sociales et personnelles essentielles.

Dans les années à venir, il faut que l’enseignement des attitudes soit valorisé au même niveau que les compétences traditionnelles, comme le savoir théorique et les «hard skills». Cependant, il faudra un certain temps pour modifier la conception simpliste des compétences professionnelles, car ce changement touche aux relations à autrui et aux émotions, bien au-delà de la simple dimension cognitive.

(1) La coopération internationale intègre le secteur humanitaire, la promotion de la paix et la coopération au développement.

Apprendre au contact des autres

Il est important de se confronter tôt aux réalités du travail de la coopération afin de développer des attitudes adaptées. Cette observation a été soulevée lors d’une rencontre du Centre écologique Albert Schweitzer (CEAS) et de cinfo à Genève. «Les Européens qui débarquent au Sénégal avec leur propre sens de la ponctualité ou de l’hospitalité, par exemple, se trouvent parfois tout à fait désorientés lorsqu’ils sont confrontés à des partenaires avec un autre sens des priorités dans les relations à autrui. Si ces individus ne savent pas s’adapter, ils ont du mal à saisir la situation contextuelle dans le pays où ils envisagent d’apporter leur aide», déclare Moussa Kebe, responsable de projet pour CEAS au Sénégal. Boris Compaoré, son homologue burkinabé, renchérit: «La façon d’interagir avec les gens n’est pas quelque chose qu’on apprend sur les bancs de l’école. Mon propre mentor, après ma formation d’ingénieur terminée, m’a dit: «Tu verras, maintenant tu vas réellement apprendre ton métier. Car c’est au contact avec la réalité du travail, de sa complexité, qu’on développe les compétences nécessaires.»

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Loraine Ding est Knowledge Management Lead chez cinfo.

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Irenka Krone est la co-directrice de cinfo, le Centre d’information, de conseil et de formation pour les professions de la coopération internationale.

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Kimon Schneider est Senior Lecturer chez Nadel EPFZ.

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Moussa Kebe est responsable de projet pour CEAS (Centre Ecologique Albert Schweizer) au Sénégal.

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Boris Compaoré est responsable de projet pour CEAS au Burkina Faso.

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