Santé au travail

Les effets des nouvelles méthodes de travail sur le bien-être des employés

Dans un environnement de travail flexible (temps, lieux et outils tech), la perception des collaborateurs des politiques RH influence positivement leur bien-être. Le rôle du manager de proximité et des conditions de travail est aussi clé.

Entre effets de mode et mythes sur la flexibilité introduite dans les organisations, le bien-être au travail est un sujet controversé. Comment le définir, quels enjeux représente-t-il et quels sont les impacts de ces modalités flexibles de travail sur ce bien- être? Voici quelques questions auxquelles ma thèse a tenté de répondre.

Me basant sur différentes disciplines (management, sociologie, philosophie, psychologie), ce travail de recherche approfondi et scientifique de quatre ans a tenté une synthèse des déterminants et conséquences du bien-être, et discute des résultats empiriques – mené dans plus de onze organisations participantes suisses de différents secteurs – sur le lien entre des pratiques de travail flexible (dont le fameux télétravail) et le bien-être au travail. Il vise à produire un cadre réflexif, des clés d’analyse et des propositions claires pour agir sur le bien-être au travail dans diverses organisations et différents secteurs.

4 dimensions du bien-être au travail

En Suisse, une enquête menée en 2022 a révélé que la propor- tion de personnes actives en qui se sentent émotionnellement épuisées avait dépassé les 30% pour la première fois depuis 2014 (Santé Psy, 2022). Pourtant, s’il y a bien un sujet sur lequel les chercheurs et chercheuses ne s’entendent pas, c’est la définition du bien-être au travail. Après deux années de revue de littérature, un semi-confinement, et des lectures à n’en plus finir, j’ai dessiné les contours de ce concept. Le bien-être au travail est considéré, dans ma recherche, comme multidimensionnel. J’ai choisi d’étudier quatre dimensions: la santé physique (la fatigue) et psychologique (le stress), ainsi que la satisfaction et l’engagement au travail. Ce choix s’inscrit dans une approche intégrative, et parce que des études empiriques démontrent que certaines pratiques RH (dites de haute performance) auraient tendance à augmenter l’engagement des employés, mais également à favoriser le stress et la fatigue (Grant et al., 2007). Ainsi, je souhaitais investiguer l’impact des pratiques flexibles sur ces différentes dimensions.

En parallèles, l’implémentation des environnements flexibles de travail (horaires flexibles, télétravail, utilisation des TICs – technologies de l’information et de la communication) a subi une accélération majeure depuis la pandémie. Selon un rapport du McKinsey Global Institute, la pandémie a déclenché des changements dans le monde du travail, dont l’implémentation massive du télétravail, qui devrait désormais être pratiqué par 20 à 25% des travailleurs dans les pays développés pendant trois à cinq jours par semaine, soit une proportion quatre à cinq fois plus élevée qu’avant la pandémie (McKinsey & Company, 2023). Dans ma thèse, une enquête a démontré qu’avant la pandémie, deux tiers des employés d’une organisation suisse du secteur public n’avait jamais pratiqué le télétravail.

Les dimensions suivantes des pratiques de travail flexibles étudiées dans ma recherche:

  • Flexibilité en termes de temps
  • Flexibilité en termes de lieu
  • Utilisation des TICs
    • Accès aux connaissances organisationnelles à distance
    • Accès facile aux collègues et aux superviseurs grâce à l’utilisation des TICs
  • Adéquation de la place à la maison.

Les résultats démontrent que le secteur privé avait déjà mis en place ces pratiques de travail flexible auparavant, et que selon les données d’une enquête passée en 2021, la perception de l’accessibilité des pratiques flexibles était plus présente dans les organisations privées et parapubliques, que publiques. Un des facteurs qui expliquerait cette différence, est la présence de davantage de ‘bureaucratie’ dans le secteur public, facteur diminuant l’accès aux pratiques de travail flexibles (Giauque 2023). En outre, les résultats de ma recherche démontrent que, dans le secteur public, l’ancienneté est un facteur de désengagement et de fatigue au travail. Selon les données de ma recherche, les employés·es du secteur public se sentent significativement moins engagés dans leur travail, en 2021, comparativement aux secteurs privés et parapublics. Il n’y aurait pas de différence significative concernant les autres dimensions du bien-être.

Bien-être et environnements flexibles

Globalement, les résultats montrent un impact positif de ces pratiques sur les différentes dimensions du bien-être dans toutes les organisations étudiées. Ma thèse relève l’importance non des politiques RH mises en place, mais la perception des acteurs d’avoir accès à ce genre de pratiques. De nombreuses théories et études démontrent que, ce qui compte pour les employés, ce sont les pratiques mises en œuvre et la manière dont ils les perçoivent (Van De Voorde & Beijer, 2015). Cela souligne l’importance d’étudier les perceptions des employés des pratiques RH plus que les politiques en place (Paauwe & Boselie, 2005).

En outre, les résultats soulignent l’importance des rôles de managers de proximité qui favoriseraient la conciliation de la vie professionnelle-personnelle de leurs collaborateurs. Autre point important, les collaborateurs sont sensibles aux messages véhiculés lorsque de telles pratiques sont mises en place dans leurs organisations. Lorsqu’ils comprennent que le but est de réduire les coûts organisationnels, alors il y a un impact négatif sur leur engagement. À l’inverse, lorsque l’organisation met en avant, et ce de manière cohérente, la mise en place de la flexibilité pour leur bien-être, alors cela favorise les résultats escomptés.

Et si on en revenait aux conditions de travail?

En plus de la flexibilité, mon travail de recherche a inclus également les conditions de travail comme déterminants du bien-être des collaborateurs. En période de télétravail ou hors télétravail, l’autonomie, le soutien des collègues et des supérieurs, et un climat de travail favorisant la conciliation vie personnelle-vie professionnelle sont des facteurs clés. D’ailleurs, les résultats démontrent que les employés du secteur privé se sentent plus autonomes comparativement aux employés des autres secteurs.

Enfin, je soulignerais l’importance d’une approche multini- veaux des déterminants du bien-être au travail:

  • Caractéristiques individuelles
  • Caractéristiques des conditions de travail
  • Caractéristiques organisationnelles
  • Pratiques RH
  • Facteurs externes (sociaux, politiques, juridiques, économiques)

La littérature est unanime sur le fait que le bien-être dépend de ces différentes caractéristiques. Lors d’une intervention dans une organisation, il est essentiel d’avoir une perspective multidimensionnelle pour attaquer la question du bien-être au travail. De plus, les recommandations pratiques pour les organisations à ce sujet peuvent se résumer ainsi. Les messages véhiculés autour de l’implémentation du travail flexible sont tout aussi importants que leur disponibilité pour les employés. La posture des cadres de proximité est essentielle lors d’un changement organisationnel, comme l’implémentation de nouvelles pratiques. L’importance est encore une fois à la communication, et ma thèse met en évidence les relations humaines comme facteur clé du bien-être au travail.

Performance et bien-être: un cercle vertueux

Contrairement à certaines idées reçues, se concentrer sur le bien-être au travail n’est pas antinomique avec la performance individuelle ou organisationnelle. Au contraire, les problèmes de santé ont un large éventail de conséquences: notamment la rotation du personnel, les conflits interpersonnels et l’épuisement professionnel (Danna & Griffin, 1999), et des performances organisationnelles moindres (Peccei, 2004). Ces conséquences ont un coût important pour les organisations. Au contraire, le fait d’avoir des employés en bonne santé mentale s’inscrit dans un cercle vertueux, car ils ont tendance à être plus créatifs, flexibles et altruistes (Biétry & Creusier, 2013).

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KR

Karin Renard a effectué une thèse de doctorat à l’IDHEAP sur les liens entre les nouvelles méthodes de travail et le bien-être des employés.

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