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Les frontaliers genevois bientôt contingentés?

Après le oui suisse à l’initiative UDC pour limiter l’immigration de masse, Michel Charrat, président du groupement transfrontalier, croise le fer avec le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger.

Michel Charrat: On parle désormais de contingenter les travailleurs frontaliers. Comment va-t-on mettre en place ces contingents? Est-ce qu’on va remettre en cause le permis de travail de ceux qui sont déjà là? La Suisse, et sa formidable croissance économique, fait beaucoup d’envieux en Europe, mais comment va-t-elle continuer demain?

Yves Nidegger: Tous ces arguments-là ont été bien compris par les Suisses qui ont néanmoins eu le «mauvais goût» de dire oui à ce texte, avec une légère majorité. On ne va pas refaire le débat. Par contre, la question des frontaliers soulève, il est vrai, des interrogations qui vont au-delà de la question migratoire. L’attitude de l’Union européenne sera déterminante. Soit l’Union européenne dit: OK, les Suisses ont blasphémé contre le dogme de la libre circulation. C’est très mal mais on va tâcher de trouver une solution pragmatique sans que personne n’ait à perdre la face. On pourrait suivre l’exemple du Lichtenstein qui a déjà une sorte de clause de sauvegarde permanente. L’avantage pour l’Union et pour les frontaliers serait que les droits acquis restent. Ou alors l’Union dit: Non! Ce blasphème est intolérable, donc on casse tout. Là, effectivement, on remet tout à plat et il faudra redéfinir le statut des frontaliers.

MC: Vous allez créer des inégalités de traitement. Il y a environ 65 000 travailleurs d’origine européenne qui habitent la France et qui viennent travailler à Genève. Et vous avez environ 40 000 Suisses qui habitent la France voisine, qui sont donc aussi des frontaliers. Et ces frontaliers-là vont continuer à croître. Les problèmes de logement à Genève existeront encore sans doute pour plus d’une décennie. Comment allez- vous expliquer cette inégalité de traitement entre nos amis suisses qui ont envie de venir habiter en France alors qu’en parallèle on va réduire le nombre des frontaliers français qui viennent dans l’autre sens?

YN: Personne n’est frontalier en regard de son propre pays, je ne vois donc pas d’inégalité de traitement entre ceux qui, de nationalité différente, choisissent la France pour le loyer et la Suisse pour le salaire, tout au plus un effet d’aubaine.

MC: Genève ne construit pas. Ou disons plutôt qu’elle construit surtout des logements de haut niveau pour attirer une population de cadres. Et du côté français, les nouvelles acquisitions de propriété sont en grande majorité effectuées par des Suisses. Tant mieux, nous sommes en train de construire le Grand Genève. Mais on va bien vers une inégalité de traitement. Je vois un vrai risque pour la cohésion sociale de ces bassins de vie transfrontaliers. Et il n’est pas question que l’on joue sur l’effet frontière pour obtenir des avantages. Quand on vient en Suisse, on respecte les règles suisses. Et quand les Suisses viennent s’établir en France, ils doivent respecter les règles françaises. Allons même plus loin, si demain vous devriez faire sans les travailleurs français frontaliers, comment vous allez ouvrir les hôpitaux genevois?

YN: Vous êtes à côté de la question. La libre circulation n’est pas la faculté d’ouvrir sa porte à qui on veut. La libre circulation, c’est l’interdiction de baisser la barrière quand on trouve qu’il y en a trop. Et elle a fait travailler des non Suisses et continuera de le faire à l’avenir.

MC: Donc, j’en déduis que vous n’êtes pas favorable au système des quotas pour les frontaliers.
 
YN: Si, mais qui dit quotas, ne dit pas forcément un quota qu’on fixera absurdement bas.
 
MC: Elle sera où la limite?
 
YN: La limite sera décidée, comme le dit le texte constitutionnel «selon les besoins globaux de l’économie du pays». Cela dit, il est exact que l’initiative du 9 février n’a pas été rédigée en fonction du cas genevois, mais d’un point de vue suisse et global. Il en découle que les particularités d’un canton comme celui-ci demandent encore à être intégrées à la logique cartésienne de texte. Ce sera le rôle de la loi d’application.
 
MC: Ce sera inapplicable.
 
YN: Je ne le pense pas. Ce n’est pas compliqué de demander à l’employeur de passer par la «case» office cantonal de l’emploi avant de signer un contrat de travail.
 
MC: Avec la préférence cantonale, c’est déjà ce qui se fait.
 
YN: Sauf que la préférence cantonale n’est à ce jour qu’un mot sur un programme politique.
 
MC: C’est surtout un mot qui est mis en pratique sur le terrain. Et depuis un bon moment.
 
YN: Nous sommes là dans les réflexes sociologiques. Certains disent que les DRH français sur Genève n’engagent pratiquement que des Français alors que d’autres estiment que les DRH suisses appliquent la préférence nationale. Chacun va apprécier cela différemment.
 
MC: Sans vouloir généraliser, de notre point de vue, les DRH ne sont pas tendres avec nous.
 
YN: C’est une appréciation subjective, car dans la réalité l’employeur – et j’en suis aussi un – engage le plus motivé, le moins cher, le mieux formé et celui qui se plaindra le moins.
 
MC: Celui qui se plaint le plus ne sera pas forcément un frontalier.
 
YN: Cela dépend. Il y a dans le génome français quelque chose qui peut parfois pousser fortement à la plainte, même si on fait des efforts...
 
MC: Merci pour le génome.
 
YN: (Rires). Je suis français moi-même, ma mère est française. J’ai de la famille à Paris.
 
MC: Oui, je l’imagine bien. Il y a peu de Suisses qui n’ont pas une famille en France. Donc pourquoi diviser la famille et la couper en morceaux? Vous êtes terrible vous, avec un bagage familial comme le vôtre, cela m’interroge.
 
YN: Je pense ainsi en tant que politicien suisse...
 
MC: Vous défendez surtout votre pré carré.
 
YN: (Silence). Je défends ce que j’estime devoir défendre.
Mais revenons au statut des frontaliers de demain. Habiter sur France avec un salaire suisse et une caisse maladie qui marche des deux côtés de la frontière est un effet d’aubaine merveilleux. Qui s’en priverait?
 
MC: Mais cet effet aubaine, vous oubliez que les Suisses l’ont aussi. Dans le cadre de la Coordination européenne de la Santé, tout ceux qui sont assurés Lamal peuvent être soignés de l’autre côté et remboursés.
 
YN: Non, en cas d’urgence seulement, pour le reste la Lamal met des limites territoriales au remboursement.
 
MC: Vous êtes en dehors des réalités. Vous avez aujourd’hui des Genevois résidant à Genève et qui vont prendre des soins en France avec leur assurance Lamal. Il faut en être conscient. Tout comme vous avez des frontaliers français qui vont dans l’autre sens. Il faut admettre que cette libre circulation va dans les deux sens et qu’elle est largement profitable à tout le monde.
 
YN: Revenons au sujet. Faut-il une libre circulation sans limite ou avec une limite. C’est la seule chose que les Suisses ont votée. Ils veulent pouvoir tirer le frein à main si besoin.
 
MC: Mais ce volant d’ajustement dont dispose l’économie suisse aujourd’hui, vous allez lui l’enlever!
 
YN: Non, on va le limiter. 
 
MC: Vous ne parlez plus en tant qu’employeur? 
 
YN: La situation de l’employeur suisse est idéale aujourd’hui. D’un côté, il a la possibilité d’engager qui il veut, quand il veut, en prenant les meilleurs et les moins chers. Et de l’autre côté, les délices du droit suisse font qu’on peut résilier un contrat de travail en un claquement de doigt. Je vous rejoins donc quand vous dites que la Suisse profite de ce volant économique. Quand l’économie genevoise engage des frontaliers, l’Etat n’a pas à assumer le service après-vente en cas de résiliation, assurances sociales et chômage. Mais il doit le faire pour les résidents genevois qui restent sur le carreau parce qu’ils ne trouvent plus d’emploi.
 
MC: Et pas seulement pour les entreprises, pour l’Etat aussi. Il y a 800 millions d’impôts payés à la source.
 
YN: C’est juste, nous avons conclu avec vous un accord tout à fait léonin qui fait qu’on vous restitue des miettes et qu’on garde l’essentiel.
 
MC: Vous nous remboursez 3,5 pour cent de la masse salariale.
 
YN: Oui et c’est honteusement avantageux pour Genève. On est bien d’accord.
 
MC: Ah! Je suis content de vous l’entendre dire. Les conseillers d’Etat genevois apprécieront moyennement par contre (sourire).
 
YN: Mais en privé, ils l’admettent.
 
MC: Un autre sujet qui nous préoccupe est l’augmentation des complications administratives. L’administration genevoise va-t-elle sur- monter cette épreuve? Certains directeurs cantonaux estiment que non. Comment feront les employeurs s’ils doivent attendre six mois pour obtenir un permis de travail?
 
YN: Cela peut se régler en trois semaines. Oui, il y aura du travail supplémentaire. Mais la création du dossier sera à charge de l’employeur. Et au niveau administratif, il faut prendre en compte la globalité des choses. Le contrôle après coup, comme l’envisagent les syndicats avec des bataillons d’inspecteurs du travail, serait monstrueux aussi.
 
MC: Trois semaines pour obtenir un permis? Je ne peux pas vous croire. A l’heure actuelle, il faut compter trois mois, mais ce n’est pas si grave car on peut commencer à travailler sans permis. Allez-vous maintenir cette possibilité à l’avenir?
 
YN: Aujourd’hui, vous pouvez effectivement commencer un travail avant d’avoir votre permis de travail. Car le droit de travailler est acquis de par les traités. Donc le temps de traitement administratif est celui d’une administration qui a autre chose à faire. Mais le jour où vous devez avoir votre permis pour commencer à travailler, l’attitude de l’administration sera différente.
 

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