L’objet de notre discussion est «Le Principe de Lucifer» par Howard Bloom. Lucifer est celui qui porte la lumière. Dans la mythologie judéo-chrétienne, il est rejeté pour devenir le prince des démons aux enfers à cause de son orgueil démesuré. Le postulat de l’auteur est assez simple: c’est moins la sélection entre les individus qui importe, mais celle qui s’opère entre les groupes. Bloom définit le groupe en partant de la biologie (du monde animal au monde humain) et revisite l’histoire de l’humanité à la lumière de l’hypothèse suivante: le groupe a deux puissances, celle de vouloir grandir toujours davantage et celle de montrer aux autres (groupes) qu’il va les détruire s’il se trouve mis en danger. Grandir et tuer: telle serait donc la vocation luciférienne du groupe.
Un seul exemple: lors de la guerre dans les Balkans (Serbie-Croatie-Kosovo), j’étais heurté par les exactions des vainqueurs qui, après la bataille, violaient les femmes du groupe vaincu. La sauvagerie des individus me désespérait. De fait, selon Howard Bloom, tout groupe vainqueur ensemence les femelles du groupe vaincu (y compris chez les animaux). Une règle naturelle de la logique de groupe! Cela veut donc dire que la volonté propre du groupe traverse et transforme la volonté d’une personne: ce n’est pas un individu libre qui viole, c’est un groupe de violeurs qui affirme l’existence victorieuse du groupe.
Depuis lors, j’ai commencé à observer avec plus d’attention les groupes et les positionnements de ceux-ci. Sans me départir de ma croyance naïve en la vertu potentielle de tout être humain, j’ai ajouté un indice de discernement: comment cet individu est-il biaisé et transformé par les groupes auxquels il appartient? Quelle puissance de groupe agit au travers et par-delà cet homme ou cette femme?
Certes, appartenir à un groupe nous protège, nous forme et nous élève. Cela peut aussi nous obliger à nous plier à sa manière d’être et d’agir. Le mimétisme sécrété par notre appartenance peut nous subjuguer insidieusement, même malgré nous. Le groupe peut nous enfermer et réduire notre libre arbitre.
En tant que leader des humains d’une organisation, je dois prendre en compte la violence potentielle des groupes, qu’elle soit au sein de l’entité dans laquelle je travaille, ou qu’elle soit à l’extérieur. Repérer les allégeances croisées, leur vigueur affichée ou sournoise font partie du job. Attention aussi aux pseudo-solidarités qui sont parfois mortifères!
J’ose donc vous inviter, non pas à vous farcir le pavé d’Howard Bloom, mais d’exercer, ces prochaines semaines, votre curiosité et votre perspicacité. Faites l’inventaire des groupes autour de vous, analysez leurs logiques, décrivez leurs pouvoirs en partie édifiants, et parfois expansifs et destructeurs. Observez leur force exclusive lorsqu’un individu à l’intérieur ou à l’extérieur de la «tribu» défie ou dénonce des pratiques discutables.
Appliquez vos réflexions à tous les domaines: les pays et leurs histoires de guerre, les groupes ethniques en mouvement, les religions et les idéologies totalitaires, les élites et les clubs fermés, les structures plus ou moins occultes. Défiez les sociétés qui exigent une allégeance plus ou moins conditionnelle. Même la fraternité peut être exclusive et délétère. N’hésitez pas à repérer les courants (même philosophiques), les modes (même vestimentaires et managériales) qui sont autant de groupes en devenir, créant des identités rassurantes et potentiellement perverses.
Oui au groupe à la condition expresse qu’il tolère (du latin tolere = porter) des personnes avec des personnalités libres! Et bienvenus dans un monde si peu angélique...
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