Droit et travail

Les limites au pouvoir de donner des directives

Horaires et lieu de travail, tâches hors périmètre contractuel ou vêtements inappropriés au travail: comment les régler?

Dans toutes relations de pouvoir, il y a de la place pour les ordres. Chacun sait pourtant – personne n’ignore plus qu’obéir à un ordre n’est pas toujours une protection contre les sanctions – que la thématique du pouvoir est consubstantielle à celle des limites qui doivent lui être fixées. Le droit du travail n’échappe pas à cette logique. Bien sûr, le principe reste que l’employeur peut établir des directives générales et donner des instructions particulières et que le travailleur les observe selon les règles de la bonne foi (art. 321 d CO). Peu à peu cependant, des limites ont été tracées par la jurisprudence et la doctrine, ceci notamment à l’enseigne de la protection de la personnalité (art. 328 CO; cf. aussi art. 6LTr et 82 al.1 LAA). L’employé n’est pas tenu d’obéir à des instructions illicites (art. 20 CO) ou arbitraires.

Le pouvoir de donner des directives est le corollaire du lien de subordination employeur-employé ainsi que du fait que l’employeur supporte les risques de l‘entreprise. Les directives ne sont pas soumises à une forme particulière. Dans les entreprise industrielles cependant, les directives portant sur la santé à la prévention des accidents doivent faire l’objet d’un règlement d’entreprise (art. 37 et 38 LTr).

Types de directives

Les directives données doivent être en relation immédiate avec l’exécution du contrat de travail. La doctrine distingue habituellement trois types de directives: celles relatives aux objectifs de l’entreprise; celles portant sur l’exercice de la profession et celles concernant le comportement des employés. La possibilité d’édicter des règles de conduite en dehors de l’entreprise est soumise à des limites très sévères. On précise que dans le cadre du travail intérimaire le droit de donner des directives est partagé entre la société de placement et son client.

Les limites du contrat et de 328 CO

Les limites au pouvoir de l’employeur de donner des directives découlent d’abord de la vocation même de ces dernières. En effet et sauf circonstances particulières, les directives ne pourront concerner d’autres tâches que celles prévues par le contrat de travail. Aussi l’employeur veillera à ce que les injonctions soient fondées sur les exigences du travail effectué et ne soient pas entachées d’attitudes discriminatoires ou tracassières. Le fait d’imposer des critères vestimentaires ou d’interdire le port d’habits de religion lorsque cela n’est nullement justifié par l’exercice de l’activité en question est une atteinte au droit de la personnalité. Un refus de l’employé serait alors licite et si dans la foulée un licenciement est prononcé, celui-ci serait abusif.

L’article 328 CO permet de même au travailleur de s’opposer à toute directive qui concernerait sa vie privée. Ainsi dans le cas d’une banque privée qui reprocherait à tel collaborateur de fréquenter des établissements publics mal vus à ses yeux. On peut tout au plus imaginer des instructions licites en dehors de l’entreprise pour prévenir un conflit d’intérêts dans le cas où une activité concurrentielle d’un employé serait pointée du doigt.

Directive ou congé-modification

Le contrat de travail ne peut être modifié de manière unilatérale sur un élément important. Ainsi une modification de l’horaire ne peut faire l’objet d’une directive, sauf s’il s’agit d’aménagements de peu d’importance, portant sur quelques minutes par jour par exemple. Il en va de même du déplacement du lieu de travail d’une filiale à l’autre, alors que le contrat de travail prévoit expressément à quel endroit le travailleur est occupé. Le devoir de fidélité de l’employé peut l’amener à devoir accepter le déplacement en question si l’on peut raisonnablement l’exiger de lui. On tiendrait alors ici notamment compte des éventuelles contraintes de la vie familiale de l’employé.

S’il veut imposer le changement de lieu, l’employeur doit recourir au congé-modification, lequel peut être abusif si les motifs avancés par l’entreprise ne sont pas sérieux. Les clauses «de mobilité», lesquelles prévoient le droit de l’employeur d’exiger un changement de lieu dans le cadre de son pouvoir d’énoncer des directives, ne valent que pour autant que le changement soit acceptable pour le travailleur. Une entreprise qui s’autoriserait à affecter un travailleur à n’importe quelle succursale du groupe ne serait pas compatible avec l’article 27 alinéa 2 CC.

Il n’est pas davantage possible de déplacer un employé à un poste de travail moins qualifié que ce que prévoit le contrat sans raison inhérente aux compétences professionnelles ou à l’organisation de l’entreprise, même selon le Tribunal fédéral, sans diminution de salaire et même s’il ne s’agit que d’occuper le travailleur jusqu’au terme de son contrat de travail.

Sanctions

Une sanction disciplinaire pour non-respect d’une directive doit être proportionnée et doit pouvoir être autant que possible déterminable à l’avance. Il n’est en effet pas admissible que l’employeur exerce un pouvoir disciplinaire général selon son bon vouloir, sans un minimum de prévisibilité.

Art. 321 d CO

1 L’employeur peut établir des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation ou son ménage et leur donner des instructions particulières.
2 Le travailleur observe selon les règles de la bonne foi les directives générales de l’employeur et les instructions particulières qui lui ont été données.

L'auteur

Alexandre Curchod est avocat au barreau (Lausanne). Il est spécialiste FSA en droit du travail et Vice-Président de Tribunal de prud’hommes. Il est par ailleurs chargé de cours à l’Université de Fribourg ainsi qu’à la HEIG-VD. www.centralex.ch.

Etude de cas: Une pénalité fortement revue à la baisse

Arrêt du Tribunal fédéral du 21 décembre 2012 (4A_595/2012)

L’affaire

L’employé condamné était cadre auprès du plaignant depuis le 13 juillet 2008. Le contrat de travail prévoyait pour la durée des rapports de travail ainsi que durant une période de six mois après la fin des rapports de travail une clause de prohibition de concurrence assortie d’une pénalité équivalent à six mois de salaire. L’employé donne sa démission fin février 2009 pour le début avril de la même année. Environ trois semaines avant la fin des rapports de travail, il crée, avec un partenaire, une société concurrente à son employeur actuel. Ce dernier lui réclame alors le versement de la pénalité (un montant de 85'000 francs) et dépose plainte contre son ex-employé.

Le tribunal de district (See-Gaster) et le tribunal cantonal de Saint-Gall n’ont accepté que partiellement les motifs de la plainte. La réduction de la pénalité semblait évidente puisque la plaignante avait reçu une lettre de démission indiquant des motifs valables. La clause de prohibition de concurrence ne couvrait donc plus que les trois dernières semaines des rapports de travail. Les juges ont estimé que la participation de l’employé à la nouvelle société concurrente n’avait que partiellement lésé les intérêts du plaignant. Le fait d’avoir lancé la société concurrente seulement trois semaines avant la fin des rapports de travail explique cette clémence. Mais le tribunal n’a pas souhaité non plus supprimer la pénalité. La responsabilité de l’employé étant tout de même partiellement engagée. En tant que cadre, il bénéficiait d’un accès privilégié à plusieurs données sensibles. Son ex-employeur lui avait accordé sa confiance, une confiance dont l’ex-empolyé a tiré profit. De plus, il aurait dû attendre la fin des rapports de travail pour lancer sa nouvelle société. Le tribunal a donc décidé de réduire la pénalité de 85'000 à 25'000 francs. Le plaignant a fait recours au Tribunal fédéral, qui a confirmé ce verdict.

Conséquences pour la pratique

Un juge peut selon l’article 163 al. 3 du CO réduire des pénalités prévues dans des contrats de travail ou des clauses de prohibition de concurrence. Dans cette affaire, l’employeur aurait mieux fait de n'exiger qu’une partie de la pénalité à son ex-employé, car il aurait pu prévoir que les chances que le tribunal lui donne raison étaient d’entrée plutôt réduites.

Texte écrit par Yvonne Dharshing-Elser. L'auteur est avocate auprès de la société OBT SA à Zurich. Elle conseille des PME sur des questions de droit du travail. yvonne.dharshing@obt.ch

 

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