Droit et travail

Les plans d’intéressement sont-ils considérés comme des salaires?

La récente polémique autour des bonus du secteur bancaire semble avoir relégué au second rang le plan d’intéressement. Les différents modèles des plans d’intéressement sont importants pour la fidélisation des collaborateurs. Ils exigent cependant d’être soigneusement rédigés et méritent une réglementation interne sans équivoque. Nos conseils. 

 

La refonte actuelle du système de rémunération par bonus mobilise tellement les esprits qu'on a tendance à oublier le plan d'intéressement, qui peut représenter une partie importante de la rémunération des cadres supérieurs. Le plan d'intéressement permet de motiver et fidéliser les collaborateurs, ainsi que d'aligner les intérêts des employés avec ceux des actionnaires. La question est alors de savoir dans quelle mesure les collaborateurs peuvent bénéficier des normes protectrices du droit du travail suisse. D'autant que la doctrine sur ce point n'est pas toujours unanime et la jurisprudence relativement peu abondante. 

Il faut d'abord clarifier s'il s'agit d'une gratification ou d'un salaire

Dans le cadre des plans d'intéressement, une entreprise offre à ses collaborateurs la possibilité d'acquérir des actions ou des options sur des actions de l'entreprise. Pour déterminer dans quelle mesure le droit du travail protège les prétentions liées aux plans d'intéressement, il faut clarifier si le plan d'intéressement présente les attributs de la gratification proprement dite (art. 322d CO) ou du salaire (art. 322 CO). Cette différenciation est importante, car contrairement aux dispositions applicables aux salaires, la gratification peut valablement être soumise à des conditions, fluctuations et incertitudes. 

Pour différencier si le plan d'intéressement est qualifié de gratification ou de salaire, nous proposons de cumuler les quatre critères suivants: la volonté réelle des parties, l'appréciation de l'employeur des prestations fournies, la régularité de versement et le caractère accessoire du plan d'intéressement par rapport au salaire. Ce dernier point exige une prudence particulière chez les «start-ups», qui, pour attirer les jeunes talents malgré la modicité du salaire de base, offrent des plans d'intéressement généreux. 

L'application des autres normes protectrices du droit du travail pour les plans d'intéressement, implique également de distinguer la différence entre l'employé et l'investisseur, puisque un employé peut très bien porter ces deux casquettes. Le Tribunal fédéral a récemment considéré qu'un travailleur était un investisseur. Il était un spécialiste des placements avec un salaire élevé, mais il avait financé lui-même ses positions dans le plan d'intéressement à un prix qui n'était pas spécialement avantageux, en acceptant le risque de l'investisseur. Si l'employé adopte le comportement d'un investisseur, il ne bénéficie pas de toutes les protections, offertes de manière impérative par le Code des obligations. 

Si l'attribution d'actions ou d'options est qualifiée de gratification ou qu'elle intervient dans le cadre d'une activité d'investisseur, les restrictions suivantes sont admissibles: 
a)  le blocage du droit de disposer des actions ou options pendant plusieurs années, sans que cela ne constitue une restriction de la liberté de résilier le contrat de travail. 
b)  la déchéance du droit d'exercer les options qui ne viennent à échéance qu'au-delà de la fin des rapports de travail ou de la résiliation de ceux-ci.

Les clauses de déchéances soulèvent plusieurs problèes

Ces clauses de déchéance soulèvent plusieurs problèmes en rapport avec le droit du travail, en particulier en cas de fin des rapports de travail. La clause la plus classique prévoit la déchéance de tous les titres de participation promis mais non encore octroyés en cas de résiliation du rapport de travail avant une date déterminée. Mais il y en a d'autres. Comme celle qui prévoit que le travailleur rend à l'employeur les titres de participation, ou l'équivalent de leur valeur, si le rapport de travail prend fin avant une date déterminée. La définition de la déchéance est souvent assouplie dans les plans d'intéressement pour les cas où le contrat prend fin avant l'échéance du délai de blocage, pour des motifs tels que la retraite, l'invalidité ou le décès du travailleur. Il peut en être de même lors de restructurations majeures dans l'entreprise, cessation d'activité, changement de contrôle, etc. 

Pour ces raisons, il est utile de spécifier dans les règlements internes des plans d'intéressement un maximum de renseignements au sujet des clauses de déchéance ainsi que par rapport aux clauses de blocage. La différence entre l'expectative et le droit devrait 
également être clairement soulignée.

Pour régler les questions de régularité de versement, nous proposons de prévoir des clauses de réserve dans les règlements internes, puis de les renouveler lors de chaque octroi, en indiquant que les actions/options sont versées selon le bon vouloir de l'employeur et qu'il peut les supprimer en tout temps. Nous conseillons également de faire référence, dans les documents internes, aux comportements qui permettent de déterminer si un employé se comporte comme investisseur, ce qui va diminuer la protection conférée par le droit du travail. 

Enfin, les termes et le langage utilisés dans les plans et leur règlements devraient être clairs et sans équivoque. Cela aiderait à mieux différencier la volonté réelle des parties et diminuerait les malentendus et les litiges potentiels entre les employeurs et employés. 

Références

Rochat Florian, Plan d'intéressement de collaborateurs: Conflit en droit du travail, Zurich 2005 

Von Planta Andreas, Les plans d‘intéressement: aspects du droit commercial, Centre du droit de l‘entreprise de l‘Université de Lausanne, Lausanne 2001 

Wyler Rémy, Droit du travail, Berne 2008 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Imrich Pöthe a travaillé pendant plusieurs années en gestion RH dans des sociétés multinationales de l'arc lémanique. Il est en train d'achever son Master en Droit du travail européen et international. Il a 
notamment rédigé un mémoire intitulé: Gratification et plan d'intéressement en droit suisse. 
Contact: ipothe@bluewin.ch 

Plus d'articles de Imrich Pöthe