Les RH sont des bâtisseurs de cohérence humaine
Les RH sont des administratifs sans vraie valeur ajoutée pour l’organisation. Vraiment? Nous avons observé le travail quotidien de six cadres RH et avons constaté une toute autre utilité de la fonction RH. Ils sont les promoteurs des valeurs et les bâtisseurs de la cohérence des comportements au sein de leur organisation. Enquête inédite.
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Un bâtisseur de cohérence humaine, est-ce que ça vous parle? Le terme pourrait paraître pompeux ou fumeux, pourtant il reflète l’essence de nos observations. Nous avons suivi six cadres RH dans le but de comprendre comment ils se profilent en tant que partenaire stratégique (lire aussi ci-contre). Nous avons débattu des résultats avec eux au cours de séances collectives. Leur réponse est unanime: être partenaire stratégique est une nécessité incontournable, mais c’est un objectif difficile à atteindre.
La première difficulté rencontrée est structurelle. Comment devenir partenaire stratégique quand on n’a pas de prise directe sur le déroulement des activités principales d’une organisation? Le deuxième défi est de se détacher de la réputation qui colle à la peau des RH: «Vous êtes des administratifs!» Nos participants nous ont dit avoir dû se battre pour convaincre leur supérieur de devenir membre de la direction. La troisième barrière est personnelle. Certains de nos responsables RH manquaient de confiance en eux, d’énergie pour lutter, ou ne voyaient pas comment assumer ce rôle stratégique.
Mais alors que faire? Jeter l’éponge? Bien sûr que non! Derrière toutes ces initiatives pour devenir partenaires stratégiques se dessine en filigrane un autre rôle, celui de bâtisseur de cohérence. Les spécialistes RH observés ne réalisent que partiellement qu’ils jouent ce rôle et, de ce fait, ne se positionnent pas en tant que tel. Pourtant, cette fonction cruciale pour l’organisation pourrait souligner l’importance stratégique des RH. Elle ne contredit donc pas le concept de partenaire stratégique: elle le renforce. Finalement, dans la pratique, ce rôle semble plus naturel à jouer pour un RH et structurellement plus légitime. Serait-ce en réalité une opportunité à saisir? Nous vous proposons de revisiter quelques techniques d’action déployées par nos participants qui illustreront ces propos.
Une vision transversale de l’entreprise
Prenons tout d’abord l’exemple de projets formels qui impliquent traditionnellement des RH, comme les descriptions de poste. Un participant nous a dit: «J’apporte une expertise technique et une vision transversale aux directeurs pour qu’ils puissent statuer sur des définitions et hiérarchies de métiers. J’amène une cohérence dans leurs visions.» Les projets transversaux sont une stratégie régulièrement utilisée par nos participants: «Nous nous engageons dans des projets transversaux qui nous permettent d’investir des réseaux internes.»
Un autre a tenté de transformer la culture de son entreprise en commençant par son comité de direction: «Aujourd’hui, nos cadres ne sont pas très participatifs. Nous voulons faire évoluer la situation et favoriser une culture collaborative. Mon directeur m’a demandé de coacher notre comité de direction dans ce sens. Durant nos séances, j’incite par exemple à pratiquer la critique constructive.»
Il y a également la prise de décisions RH capitales pour l’organisation: «Nous allons discuter de la masse salariale 2016. Nous avons identifié un domaine prometteur, stratégiquement clé, mais malheureusement déficitaire à court terme. J’ai étudié différentes solutions pour être en mesure d’accepter le dépassement du budget de la masse salariale pour ce domaine.»
Définir des lignes de conduite
Ces exemples indiquent que nos responsables RH recherchent une cohérence structurelle et fonctionnelle. Ils s’efforcent de soutenir les besoins économiques de l’entreprise. Ils tentent également de construire une cohérence entre les diverses pratiques RH (voir Barette, 20051, et Gratton, 20022), pour le concept de cohérence verticale, horizontale et temporelle). Mais en fin de compte, ils définissent des lignes de conduite qui déteignent sur le comportement quotidien des employés.
Nous avons également observé que la cohérence humaine se construit à travers de nombreuses actions informelles. Cela commence dans l’exécution de tâches RH quotidiennes a priori non stratégiques. Revenons à une après-midi passée avec une participante. Celle-ci enchaîne les discussions. Premier acte: une employée demande à la voir, car elle ne comprend pas sa fiche de paie. Notre participante lui rappelle le cadre légal et les règles de l’entreprise. Rencontre suivante: remise du certificat de travail à un employé sur le départ. La RH évoque en quoi son comportement a été particulièrement apprécié. De retour à sa place de travail, elle informe sa collègue de l’évolution d’une situation épineuse dans un département. Elle lui décrit le déroulement d’une réunion qui a eu lieu à ce sujet. Les deux femmes sont d’accord: le directeur a fait preuve d’une attitude adéquate. De par leur connaissance et leur compréhension de leur environnement organisationnel, nos participants sont capables de discerner ce qui est bon ou pas et posent des limites. Ils sont appelés à faire office de gardiens du temple, des valeurs à défendre et des comportements à adopter.
Nous avons également observé nos participants prendre en permanence le pouls de leur organisation. Cela leur permet de comprendre le système, ses besoins. «Je laisse traîner mes oreilles à chaque étage du bâtiment», nous a confirmé un participant. Ils construisent ainsi au fil des ans un positionne- ment unique: «J’ai l’impression que nous veillons sur l’historique de la société, de son développement humain»; «Nous suivons les employés depuis le moment de leur engagement.» Certains prenaient également le pouls de leur environnement organisationnel en s’affiliant à des associations ou en participant à des événements. Pour quelles opportunités? L’une d’elles consiste à jouer ce rôle de courroie de transmission en remontant avec doigté à la hiérarchie la réalité des employés, les risques et opportunités externes. L’autre est de se distinguer comme coach privilégié, car formé et informé quant aux aspects humains de l’organisation.
Et vous, comment décrivez-vous votre poste? Pensez-vous être un partenaire stratégique, un technicien RH? Et si vous élargissiez votre horizon: «Je suis le promoteur des valeurs, le bâtisseur de la cohérence des comportements qui amènera cette organisation au succès.» Et si vous vous imprégniez de cette définition – ou même, défi supplémentaire, si vous formalisiez auprès de vos collègues ce nouveau rôle? En quoi cela transformerait-il votre travail?
1 Barette, J., 2005. Architectures des ressources humaines: perspectives théoriques et pistes de recherche. Relations industrielles / Industrial Relations, vol. 60, no 2 – ISSN 0034-379X
2 Gratton, L, 2002. La stratégie à visage humain. Ed. Village Mondial, Paris
Le projet de recherche: Analyse de l’activité des cadres de la fonction RH
L’objectif de ce projet était de comprendre la réalité et les enjeux du métier de RH ainsi que d’étudier les différents moyens et stratégies déployés par les uns et les autres pour renforcer leur position de partenaire stratégique et faire face à la pression qui pèse sur la fonction RH. Ce projet, coordonné à la HEIG-VD par le Prof. François Gonin, a été mené en collaboration avec l’Université de Neuchâtel (Prof. Laure Kloetzer).
Notre équipe de projet se composait de François Gonin, professeur, Isabelle Agassiz, collaboratrice scientifique senior, HEIG-VD; Laure Kloetzer, professeure, Université de Neuchâtel; Valérie Bauwens, experte en analyse des pratiques de travail, innovation et coaching, partenaire Strategos. Six cadres RH ayant suivi ou suivant le MAS Human Capital Management ont participé à l’étude.
Notre projet s’est déroulé en trois phases. Nous avons tout d’abord réalisé un entretien individuel avec chaque participant afin de mieux comprendre ses responsabilités et son environnement professionnel. Nous avons ensuite observé chaque participant pendant une journée entière sur son lieu de travail. Nous avons finalement rencontré les participants lors de trois réunions collectives. Nous leur avons présenté quelques données récoltées. Nous avons ensuite analysé plus en détail leurs activités en utilisant la méthode de l’instruction au sosie. Dans le cadre de ce jeu de rôle, nous avons prétendu devoir nous substituer à eux pour la réalisation d’une tâche précise. Ils nous ont ainsi transmis toutes les informations nécessaires afin que personne ne remarque la substitution. Cette transmission organisée est aussi une occasion de réfléchir seul et en groupe à sa propre expérience et d’en prendre conscience.