Construire un département RH

Les trois enjeux d'une prise de fonction réussie

Les trois premiers mois de vie d’un-e DRH en organisation sont souvent décisifs. C’est là qu’il ou elle impose sa patte, parvient à créer des alliances et plante les graines de sa réussite future. Les conseils d’un DRH routinier des prises de fonction à haut risque.

En politique, le rituel des 100 jours est entré dans les mœurs. Ce sont les trois premiers mois durant lesquels le candidat passe à l’action et se confronte aux réalités du terrain. Pour un DRH en entreprise, cette période est également décisive. De plus en plus recruté-es sur un programme, ils ou elles doivent prouver au CEO qui les a engagés leur capacité à peser sur une culture d’entreprise. Les enjeux sont nombreux. HR Today a demandé à Laurent Choain, DRH du groupe Mazars (audit, comptabilité et fiscalité), de sélectionner trois enjeux majeurs et de nous les décrypter. Lui-même est un routinier des prises de fonctions dans des environnements économiques en profonde mutation (voir aussi l’encadré).

Avant de livrer son analyse, il prévient être «totalement opposé» à la posture du «DRH Business Partner». Une posture qui sous-entend que la Fonction RH, «seconde du business», ne doit tirer ses propres objectifs que des objectifs commerciaux de l’entreprise. Selon lui, «la crise de 2008/2009 a montré que cette posture est un échec». Il estime au contraire que la fonction RH doit être une fonction stratégique. La nuance? Au lieu d’être en appui d’une performance de court terme, une fonction stratégique travaille sur des processus longs et pérennes de développement des ressources. Et les trois points d’entrée stratégiques de la fonction RH sont la gestion des carrières; l’organisation du travail et l’impact sur l’écosystème de l’entreprise (employer branding, interventions dans des conférences, image véhiculée via le site internet, attraction de ressources nouvelles). «Indépendamment de l’opérationnel, nous devons être capables d’anticiper, d’avoir une vision stratégique. Mais si on cale l’organisation du travail sur le business du jour, cela ne fonctionne pas». Ce cadre posé, Laurent Choain estime qu’il y a trois enjeux majeurs qu’un DRH doit prendre à bras le corps durant les 100 premiers jours de son mandat. Les voici avec son analyse.

Comprendre l’historique de l’entreprise

«Il faut commencer par comprendre les paramètres clés du business modèle de votre nouvelle organisation. J’ai été chasseur de tête, tôt dans ma carrière. Mon job était de comprendre en une heure les leviers opérationnels de l’organisation pour laquelle on recrutait. Il faut cerner si le pouvoir est centralisé ou décentralisé, si l’organisation travaille en projets ou en process. Quand j’ai commencé à travailler avec Kempinski et son nouveau président, nous devions faire face à une entreprise moribonde, totalement endettée, où aucun professionnel à succès n’aurait envisagé de venir faire carrière. Nous avons choisi de reconstruire nos équipes de direction avec des grands professionnels, mais en rupture de job, pour des raisons liées aux vicissitudes humaines et professionnelles. Des gars à qui on a décidé de donner une seconde chance, avec un vrai projet de long terme dans une industrie souvent court-termiste. Cela a très bien fonctionné. La réflexion sur le modèle économique implique donc parfois de changer de direction, de prendre des risques et de faire des paris sur l’avenir. Quels sont les sujets qui vont compter dans le futur? Comment jouer avec nos faiblesses? Ces questions doivent être posées sur la table rapidement, ouvertement. Cela ne se détaille pas par email. Il faut mettre les gens ensemble. Le business, ce n’est qu’une aventure humaine.»

Gestion des talents et des carrières

«La gestion des carrières des dirigeants, c’est la clé. Vous créez une relation de confiance, et un vrai dialogue sur leur mode de leadership. La mobilité est aussi un élément clé de la gestion des carrières. Dans un grand groupe, la gestion des talents est toujours stratégique, mais elle est trop souvent multi-locale, pas réellement internationale. Les premiers obstacles à une politique de gestion des talents sont souvent les managers locaux. Ils s’opposent en général à ce que la Fonction RH du groupe vienne faire la loi sur ce sujet. C’est pour cette raison que nous avons opté chez Mazars, comme chez Kempinski, pour une gestion globale des talents, en responsabilisant les dirigeants sur le terrain. Cela ouvre les options de mobilité quasi illimitées pour les talents tout en rassurant les managers locaux puisqu’ils ont aussi la possibilité de puiser dans ce pool de talents au niveau mondial. Mais ce n’est pas un travail d’imposition, c’est un travail permanent de conviction.»

Formation et développement

«Les Anglo-Saxons font une différence entre education et training. «Training is for today, education is for life.» Dès les premières semaines d’une prise de fonction, il faut savoir à quoi sont consacrés les budgets de formation. En général, 80 pour cent des budgets forment les gens dans leur poste actuel, sans se soucier de leur employabilité future. Si vous avez de l’expérience, du flair et du courage, vous oserez poser la question du futur de votre organisation et de l’employabilité interne et externe des collaborateurs. L’éducation, c’est l’enjeu N°1. Le groupe Mazars est actif dans les services d’audit, l’expertise comptable, la fiscalité et le conseil aux entreprises. Nous sommes donc dans de l’intangible, avec une très forte concurrence sur le marché du travail. Nous vivons en ce moment une période de renouvellement de notre leadership. Le choix que nous avons fait, c’est un projet collectif d’executive education. Pourquoi? Car nous préférons disposer d’une communauté de leaders qui partagent les mêmes valeurs qu’une collection de leaders individuels. Je conseille enfin de lire le livre de Vineet Nayar: Employees First, Customers Second. Tout est là.»

Un habitué des projets d'envergure

DRH du groupe Mazars (audit, expertise comptable, fiscalité) qui compte 13000 collaborateurs dans le monde, Laurent Choain est un spécialiste des réorientations stratégiques. Il participe actuellement au développement international du groupe Mazars dans le monde, une société fondée en 1940 par Robert Mazars près de Rouen (France) et qui a démarré sa croissance internationale en 1995 en fusionnant avec de grands acteurs français, anglais, hollandais, américains... En 2013, Mazars est présent en direct dans 71 pays. Laurent Choain est un habitué des projets organisationnels d’envergure. De 1997 à 2005, il participe au relancement du groupe Kempinski Hotels & Resorts (aujourd’hui plus de 100 hôtels dans le monde). Il reprend ensuite le poste de DRH au Groupe Caisse d’Epargne, devenu en 2009 un groupe de 125000 personnes après la fusion avec les Banques Populaires. Laurent Choain parle vite et saute sans hésitation d’un sujet à un autre. HR Today l’a rencontré en avril 2013 à Prangins (canton de Vaud), où il intervenait lors d’une conférence sur la génération Y.

Les clés pour réussir un démarrage selon Yves Emery et François Gonin*

• Créer des partenariats solides, notamment avec les chefs de service et les représentants du personnel. «Mouiller» les membres de la direction dans les opérations concrètes qui légitiment les choix retenus.
• Informer, informer et toujours informer: la direction, les chefs de service, les cadres, le personnel, les représentants du personnel.
• Développer les processus et outils de GRH en impliquant systématiquement la hiérarchie, procéder par essais pilotes pour s’assurer de l’adéquation des outils.
• Avoir toujours en point de mire les objectifs poursuivis, l’utilité des outils développés: il s’agit d’aider l’organisation et les cadres à mieux atteindre leurs objectifs, et non pas de faire de l’art pour l’art.
• Former la hiérarchie aux outils de GRH développés, l’évaluer progressivement sur la mise en œuvre, après avoir ancré ses nouvelles responsabilités de GRH dans la description de poste.
• Maintenir le cap, valoriser les succès, créer une dynamique positive, ce qui suppose un système de pilotage de la GRH.
• Ne pas se laisser «miner» par les blocages et retours en arrière, garder l’enthousiasme jusqu’au bout... tout en restant réaliste! Il s’agit d’avoir les compétences nécessaires et de faire preuve de courage.

* Tiré de Yves Emery et François Gonin (à gauche): Gérer les ressources humaines, chapitre 15 (Passer à l’action: développer et mettre en œuvre un projet), éd. Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, page 532.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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