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Travailler ensemble
L’expertise et la compétence
L’entreprise semble être devenue le lieu du conflit interpersonnel! Déclaré, ouvert. Ou bien larvé et non-dit, parce qu’indicible. Avec son funèbre cortège de peurs ou d’angoisses, de stress et de surmenages, d’épuisements ou d’écoeurements professionnels, de dépressions ou pire... lesquels détruisent toute la valeur économique et sociale censément produite par une activité laborieuse décente! Pourquoi? Quels poisons coulent désormais dans ses couloirs comme dans ses fibres optiques? Quelle détestable magie a remplacé la collaboration fructueuse de travailleurs pugnaces et fiers de leurs ouvrages, par la dépression individuelle et la guerre interne collectivisée?
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Photo: 123RF
Tous, nous avons des croyances. Certaines peuvent être puissamment venimeuses. Par exemple: l’entreprise est un lieu de compétition, une arène où seuls les plus forts – les survivants donc – créent une valeur ajoutée utile et féconde. Ou encore: tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort (merci Nietzsche). Cette force-là – qui autorise la destruction de l’autre et justifie sa souffrance – serait l’arme absolue de la création de valeur. Dans les faits, elle se révèle n’être qu’une pitoyable arme fatale, pour ses bourreaux comme pour ses victimes, destructrice des personnes autant que de toute valeur ajoutée.
Ensemble, en commun, de concert
La croyance la plus toxique cependant est aussi la plus discrète, se flattant même d’être vertueuse. Le culte rendu à cette idole, nommée «Compétence», contamine désormais recrutements et formations, promotions et décisions. Connaissons-nous le sens exact de ce mot? Il semble que ce soit jadis Cicéron qui l’inventât et qu’ensuite Julius César en fît un usage courant. Il est constitué du verbe «petere», qui voulait dire: chercher, réclamer, solliciter, postuler, briguer, atteindre, attaquer, assaillir... Une pétition, en quelque sorte. Son préfixe «cum», discret autant qu’imparable, en impose le vrai sens et détermine sa puissance! «Cum» veux dire «avec» et confère la dimension collective, partagée, de chacune de ces actions résolues. Ensemble! En commun, de concert, concomitamment!
C’est là que le veau d’or de la «Compétence» idolâtrée par notre monde distrait se casse le nez sur une solide réalité: la qualité d’être compétent est l’aptitude vérifiée à travailler avec les autres, la capacité réelle à collaborer, ainsi que la détermination à partager son travail – comme les fruits de celui-ci – avec les autres! Est donc incompétent, celui qui, malgré son savoir et son éventuelle expertise, est inapte à travailler positivement, fructueusement, avec les autres!
Plutôt que de persévérer à perdre du temps avec des CV approximatifs, avec des définitions de fonctions illusoires ou encore avec d’inefficaces tests de personnalité, l’entreprise qui veut gagner et servir son client doit changer. Cessons de recruter des experts incompétents, dans une démarche aussi sécuritaire que suicidaire. Mieux, cessons d’en fabriquer, en ne promouvant seulement ceux qui savent travailler avec les autres, comme ils savent aussi les faire travailler ensemble. Soyons les promoteurs résolus des in-experts compétents et favorisons désormais, pour la développer sans limite, l’in-expertise compétente. N’en déplaise aux incompétents!
Identifer l’in-expert compétent
Certains métiers comme certaines fonctions peuvent favoriser le développement de l’expertise incompétente. Un grand «patron» d’hôpital, chirurgien éminent, m’a récemment confirmé son inconsciente mais redoutable et néfaste expertise incompétente. Il n’est pas rare de voir, au sein d’un comité de direction ou d’une assemblée exécutive, un ou deux experts incompétents. Avec les meilleures des bonnes intentions, ils peuvent en arriver à paralyser toute décision utile et collective, toute création efficace, tout changement réel, toute audace positive... Un professeur d’université ou de collège peuvent aussi prendre ce mauvais plis et tenir leur belle érudition pour une science absolue, qu’il convient d’imposer aux autres. Alors que faire? Comment identifier l’expert incompétent? L’expert croit savoir. Et parce qu’il croit savoir, il ne peut plus rien apprendre. Notamment des autres. L’in-expert compétent quant à lui, sait écouter, dans cette simple et sereine humilité intellectuelle qui préserve de l’arrogance. Il se reconnaît donc à la qualité de ses silences comme à la pertinence bienveillante de ses questions.