Débat

Limite d’âge pour les comités de direction et les conseils d’administration?

Récemment, un candidat à la présidence du conseil d’administration de la société Comet (fabricant de matériel électronique) n’a pas été retenu. Il avait 67 ans. Est-ce une bonne décision? Faut-il imposer une limite d’âge aux membres de direction et aux administrateurs·trices de société? Un avocat et un conseiller en personnel en débattent.

Pour: Urs Egli

L’avenir appartient aux jeunes. Cette formule n’est pas creuse: les jeunes pensent différemment que les seniors. Ils sont plus optimistes, orientés vers l’avenir et prennent volontiers des risques. Plus on vieillit, plus on perd cette attitude. Le passé a tendance à enfermer l’avenir et le bilan l’emporte sur les opportunités futures. Bien sûr, les seniors ont plus d’expérience et de sagesse. Une entreprise a besoin des deux. Elle a besoin d’énergie pour avancer et d’expérience pour éviter les pièges. Pourquoi donc ces deux forces ne sont-elles pas représentées dans les organes dirigeants?

Dans un monde idéal, les dirigeants renonceraient à leur
 pouvoir de leur plein gré. Ils accepteraient de partager leur sagesse avec l’entreprise sous la
forme de conseils, de coaching
ou en siégeant dans un conseil de
sages. Mais, hélas, cela ne se passe pas ainsi dans la réalité. Celui ou celle qui s’est hissé dans un poste à pouvoir a souvent un ego surdimensionné. Ces personnes se retirent rarement d’elles-mêmes. Elles ont besoin d’un coup de pouce.

On pourrait rétorquer que les propriétaires – les actionnaires – s’en occuperont. Dans les sociétés anonymes pu- bliques, les administrateurs sont dans une position dominante par rapport à la masse des petits actionnaires, qui ont tendance à voir les choses sur le court terme. Les conseils d’administration et les directions générales forment donc des cercles fermés, des corporations, dans lesquels les jeunes (et les femmes) n’ont que très peu voix au chapitre.

Imposer une limite d’âge dans les conseils d’administration et les directions générales de sociétés anonymes publiques (ce ne serait pas nécessaire dans les PME privées) changerait la donne. Et de manière durable. Si vous savez que la limite est fixée à 65 ans, vous pensez différemment. Vous lâchez prise en amont et vous faites de la place pour les générations qui vous suivent. Il y a une vie après la carrière. Professionnelle aussi. Travailler moins, mais travailler mieux. Rappelons ici une vieille histoire: les vestales – prêtresses de la Rome antique – passaient leurs dix premières années à étudier, les dix suivantes à exercer leur pouvoir et les dix dernières à éduquer les jeunes vestales. Voilà une belle parabole pour notre société de la connaissance, qui dépend de la transmission des savoirs de génération en génération.

Les limites d’âge existent déjà d’ailleurs: dans les administrations publiques. Dans ces organisations, le plus haut fonctionnaire et le juge le plus ancien ont 65 ans. Cela fonctionne très bien. Enfin, soyons francs: personne ne se réjouit de devoir travailler dur au-delà de l’âge de la retraite.

 

Contre: Christoph Hilber

Âge = expérience = sagesse – des vertus essentielles pour un CEO ou un administrateur. Les profils plus jeunes sont probablement adaptés au secteur IT, mais dans le secteur industriel, l’âge reste un avantage certain. Et peu importe l’ancienneté, ce qui prime dans ces fonctions sont le sens des responsabilités et les compétences techniques et personnelles.

J’admets volontiers qu’il y aura toujours des cas où le dirigeant s’estime irremplaçable, voire indéboulonnable, même au-delà de sa date de péremption.
Cela dit, vouloir régler ce problème par une loi ou un énième
 règlement n’est pas la solution. 
D’autres alternatives existent.

Les actionnaires: si les propriétaires de l’entreprise sont in
satisfaits, ils peuvent licencier le 
dirigeant. C’est le cas aujourd’hui 
déjà. De plus en plus d’actionnaires – ou de groupes d’action
naires – expriment leur mécontentement en assemblée générale. Et s’ils ne le font pas, tant pis pour eux.

La fonction RH: selon mon expérience, le DRH n’a que très rarement eu son mot à dire dans ces affaires. Son intervention serait par contre bienvenue. Mais tant que l’on considère les RH comme un centre de coût, les mentalités ne changeront pas.

Cela coûte plus cher que cela ne rapporte: nommer des nouvelles personnes – puisqu’un règlement le prescrit – sera utile à l’organisation (au mieux) sur le long terme. En revanche, la perte de connaissances, d’expériences et de réseaux causée par le départ forcé d’un dirigeant aurait des effets dévastateurs et immédiats.

Les dirigeants ont plus de droits, mais aussi plus de soucis: instaurer une limite d’âge dans une société privée, où l’actionnaire majoritaire, le président du conseil et le directeur général sont souvent la même personne, n’aurait aucune chance d’aboutir. De plus, un patron-propriétaire se préoccupera de sa succession bien plus sérieusement qu’un manager qu’on aurait nommé à ce poste. Un règlement ne changera rien à cette réalité.

L’autorégulation: le règlement de chaque société prévoit que la stratégie doit être régulièrement remise à jour. Cette mise à niveau comprend aussi les fonctions dirigeantes et le conseil d’administration. Ce toilettage n’est pas aisé, car il s’agit là de personnes – souvent devenues amies – qui devraient remettre en cause les compétences des uns et des autres. Mais cette attitude est aussi attendue du management. Et celui ou celle qui ne met pas le poisson sur la table ne fait pas son boulot.

Pour conclure: cette question est déjà suffisamment réglementée à l’heure actuelle, et où aucun règlement ne s’applique, on pourra toujours compter sur une date de péremption.

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Christoph Hilber est économiste d’entre- prise et conseiller en personnel depuis 10 ans, avec sa propre société P-Connect, spécialisée dans l’industrie (MEM), l’IT, les télécommunications et les fonctions de dirigeants et d’administrateurs.

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Texte: Urs Egli

Urs Egli est avocat. Il a fondé un cabinet dédié aux conseils aux entreprises qu’il a cédé à l’âge de 55 ans. Il se forme actuellement en coaching et développement organisationnel dans le cadre d’un MAS IAP.

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