Formation

Mesurer l'impact de la formation continue: utile ou pas?

Un projet de recherche mené au sein du CHUV a mesuré l'effet des formations en management et leadership sur des indicateurs RH.

Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), confronté à des enjeux d'absentéisme et de rotation du personnel, investit massivement dans la formation continue de ses collaborateurs et de ses cadres. S’appuyant sur les compétences et comportements préconisés dans un référentiel de compétence managérial, une dizaine de cours et certificats du domaine de formation «Management & Leadership» sont proposés en interne aux cadres du CHUV.

Néanmoins, il est difficile de constater si l’effort déployé dans la formation a un réel impact sur le fonctionnement des équipes et, in fine, sur certains indicateurs RH (taux d’absentéisme, nombre de départs, etc.). La question des effets des formations internes des cadres sur le fonctionnement des équipes et la fidélisation est pourtant centrale en milieu hospitalier. 

Convaincus de l’intérêt à mesurer l’impact des formations, le centre des formations a mis en place une filière destinée à l’évaluation des formations. Cette filière a développé des dispositifs d’évaluation du transfert des connaissances qui prend en compte les spécificités des contextes et permet l’identification de leviers d’action efficaces. Cependant, de tels dispositifs ne permettent pas encore d’évaluer l’impact au niveau institutionnel. L’étude initiée par le département des ressources humaines du CHUV avait pour objectif d’évaluer les effets des formations «Management & Leadership» sur deux indicateurs RH institutionnels: l’absentéisme et la rotation du personnel.

Évaluer les impacts de la formation

Pour répondre à cet objectif, nous nous sommes concentrés sur les formations managériales suivies au cours de la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019. Pour mener l’évaluation, nous avons suivi quatre étapes de la méthodologie proposée par Phillips et Phillips. 

À la première étape, nous avons formulé plusieurs types d’indicateurs. Un premier indicateur reflétait l’intensité de formation. Il équivalait au nombre de jours de formations managériales suivis par un·e salarié·e du CHUV pour la durée de l’étude. Ces formations s’appuyaient sur des dispositifs variés tant sur les plans de la durée (entre une demi-journée et 17 jours) que des modalités pédagogiques (p. ex. en présentiel ou à distance, avec ou sans accompagnement individualisé). Deux autres indicateurs captaient les résultats RH des activités de formation.

Le premier devait permettre de mesurer une baisse de l’absentéisme évitable dans les départements. Il comptabilisait les absences de courte durée qui avaient pour cause un défaut de management de proximité, des conditions de travail dégradées ou une mauvaise gestion du temps, par exemple. Le deuxième mesurait les départs évitables, c’est-à-dire les départs associés aux démissions, aux licenciements, aux départs négociés et aux fins de contrat automatiques. 

Enfin, huit indicateurs étaient associés à des facteurs médiateurs, qui pouvaient favoriser ou freiner l’effet de la formation. Ils correspondaient à la perception des personnes formées par rapport à l’organisation de leur travail, à leur autonomie, à la coordination et la transmission d’informations au sein de leur équipe, à la qualité de la relation avec leur supérieur hiérarchique, à la confiance accordée à la direction de leur engagement dans leurs activités et l’alignement de leurs valeurs avec celles de l’institution.

La seconde étape a consisté à mesurer l’effet de la formation. Cette étape, la plus longue et la plus laborieuse, a d'abord consisté à construire une base de données rassemblant ces indicateurs provenant de sources différentes (données du centre des formations, enquête de climat, données institutionnelles sur l’absentéisme et les départs). Le nettoyage des données et des analyses descriptives et de corrélation (Vandenberghe et al., 2009; Stordeur et al., 2001) ont ensuite été réalisés.

L’étape trois a consisté à isoler l’effet de la formation. Des analyses de médiations complémentaires (Rucker et al., 2011) ont été effectuées afin d’étudier l’influence indirecte de la formation sur l’absentéisme et les départs évitables par le biais de facteurs médiateurs (i.e., autonomie, coordination).

Les impacts mis en évidence

Les résultats de la recherche montrent un lien complexe entre la durée totale de la formation et le taux d’absentéisme. Elle a mis en lumière la difficulté d’établir des liens de cause à effet entre les variables. En effet, les analyses de corrélation ont démontré l’existence d’une relation négative, significative, mais faible entre l'intensité de formation et l’absentéisme évitable. Elles n’ont pas permis d’établir de relation entre l’intensité de formation et les départs évitables. Quant aux analyses de médiation, elles n’ont pas permis d’établir une influence significative des variables intermédiaires associées au climat de travail sur la relation entre la formation et l’absentéisme.

Elles ont toutefois mis en évidence un impact de la formation managériale sur l’autonomie des équipes, ce qui, dans la littérature, prédit l’absentéisme au sein des unités de soins infirmiers (Vandenberghe et al., 2009). La formation managériale du CHUV semble aussi avoir eu un effet sur la coordination et la transmission d’informations au sein des équipes, des éléments qui jouent un rôle dans le stress et l'épuisement émotionnel (Gilles et al., 2014; Stordeur et al., 2001).

L’étape de présentation des résultats a été effectuée en interne, auprès de la direction des ressources humaines du CHUV. Les échanges avec la direction des ressources humaines ont entraîné une discussion autour des actions à poser pour mieux comprendre les relations de cause à effet entre la formation et les autres variables étudiées. Le fait d’avoir suivi le processus de Phillips et Phillips nous amène à formuler quelques conseils pratiques en prévision de futures évaluations de formation.


Conseils pratiques en matière d'évaluation

Cette étude a mené à plusieurs apprentissages en matière d’évaluation des impacts d’une formation.

  • Ne pas faire l’économie d’évaluer l’impact de la formation. Même si nos résultats ne montrent pas un lien fort entre la formation et les impacts attendus, ils renseignent tout de même sur les mécanismes, parfois indirects, sur lesquels agir. Dans notre cas, la formation contribue à augmenter l’autonomie, un facteur que l’on sait influencer l’absentéisme; cela peut conduire à renforcer des modules spécifiques autour de l’autonomie des équipes ou à proposer un accompagnement sur le terrain. L’évaluation devient ainsi un véritable outil d’aide à la décision, permettant d’affiner la stratégie de formation en alignement avec les objectifs stratégiques institutionnels.
  • Utiliser diverses sources d'informations. Pour capter la complexité des effets de la formation, il est pertinent de croiser plusieurs bases de données. En effet, en croisant indicateurs RH, indicateurs de fréquentation de la formation et résultats d’enquête de climat, la considération du phénomène étudié est plus réaliste et prend en compte davantage de facteurs contextuels.
  • Ne pas s’arrêter à la recherche d’un lien direct de la formation, car il ne tient pas suffisamment compte du contexte et de sa complexité. Des mécanismes sous-jacents interviennent forcément entre la formation adressée aux cadres et le fonctionnement des équipes.
  • Analyser l’impact sur plusieurs années. Récolter des données sur plusieurs années permet de mieux percevoir le maintien de l’effet dans le temps et de l’isoler des périodes temporelles particulières (par exemple : COVID, changement de direction, réorganisation d’un service, etc.).
  • Intégrer l’évaluation de la formation dans les indicateurs RH de façon à maintenir le lien entre stratégie de formation et stratégie RH. Mais pour bien l’intégrer, il convient de choisir des indicateurs parlants qui mènent à des pistes d’action concrètes. D’autre part, il est important de bien décrire et d’expliciter les données utilisées afin que les prises de décision se fassent de façon éclairée. Par exemple, lorsque l’on met en relation l’impact de la formation et l’absentéisme évitable, de quoi parle-t-on exactement, comment sont calculés ces indicateurs et qu’incluent ou n’incluent-ils pas, quel est le public qui a pris part aux différentes formations évaluées, etc.
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Soraya Bieri

Soraya Bieri est Chargée d'évaluation des formations au CHUV.

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Yves Chochard

Yves Chochard est Professeur au Département d'éducation et formation spécialisées de l'UQAM.

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Ingrid Gilles

Ingrid Gilles est Cheffe de projets R&D au CHUV.

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