Personne de confiance: tour d’horizon des points sensibles
Avant d’implémenter un dispositif de personnes de confiance, plusieurs points méritent réflexion. Voici les enjeux majeurs de ce dossier sensible.
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Mai 2012: un arrêt du Tribunal Fédéral demande aux entreprises de désigner une personne de confiance pour gérer les conflits et les questions de harcèlement. Comme le préconise le SECO (Secrétariat d’Etat à l’économie), cette personne doit pouvoir garantir la confidentialité des entretiens, ne pas être dans la ligne hiérarchique, offrir une écoute de qualité, pouvoir orienter la-le recourant sur la meilleure démarche en fonction de sa situation (voire de l’accompagner), ainsi que de rendre la personne capable de se défendre et de consigner les agissements hostiles.
Depuis une dizaine d’années, d’autres évolutions apparaissent pour la protection des travailleurs. Les mesures de santé et de sécurité au travail (MSST) visent la prise en charge des risques physiques et ergonomiques. Mais les entreprises doivent maintenant veiller à la santé psychique de leurs employés. Les Risques Psycho-Sociaux (RPS) (dont le conflit et les harcèlements ne sont qu’une partie) se diversifient et s’intensifient. Le SECO disait déjà en 2011: «Environ un tiers des personnes actives occupées en Suisse se sentent souvent, voire très souvent stressées. Un chiffre qui a augmenté de 30% en dix ans.»
Quels sont donc les enjeux relatifs à la personne de confiance? Pour répondre, il est important de passer en revue quelques aspects:
- le cadre général
- les domaines d’action de la personne de confiance
- l’échelle d’intervention • le niveau d’intervention
- la logique d’intervention
- le type de personne de confiance
Dès lors, chaque entreprise pourra choisir le dispositif de personnes de confiance en toute connaissance de cause et qui respecte ce principe de base: «L’employeur est tenu de prendre toutes les mesures dont l’expérience a montré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptés aux conditions d’exploitation de l’entreprise.»
Le cadre général
Le cadre général doit tenir compte des lois, dont l’arrêt du TF, le CO, la loi sur le Travail et ses ordonnances, la loi sur l’Egalité. Certaines CCT prévoient également des mesures spécifiques sur le harcèlement, la personne de confiance, le stress, ainsi que les moyens paritaires de leur gestion.
Toutefois, le cadre légal n’est pas à lui seul constitutif du cadre général: les questions de gouvernance, de configuration d’entreprise, de stades de développement d’une organisation, de la Responsabilité Sociale en Entreprise (RSE) ainsi que le cadre économique font partie du décor. La conjoncture internationale peut influencer grandement des questions d’incertitude économique, de pression, de changement ... eux-mêmes ayant des conséquences sur la survenue de RPS.
Le choix d’une personne de confiance s’inscrit à la fois dans le cadre légal, mais également dans l’évolution économique ainsi que le mode de gouvernance et de gestion de chaque entreprise.
Les domaines d’action
Les personnes de confiance peuvent agir dans différents domaines. Conflits et harcèlements (sexuel et mobbing) sont incontournables. Mais la personne de confiance peut aussi agir dans les domaines suivants:
- agressivité, violence... voire suicide
- mesure de santé et sécurité au travail (MSST)
- stress... voire syndrome de stress post traumatique (SPT)
- absentéisme... voire présentéisme (quand le collaborateur vient au travail malade)
- addiction et les Substances Psycho Actives (SPA)
- Troubles Musculo Squelettiques (TMS)
- burnout... voir bore-out (ennui profond au travail)
- organisation et management
Dès lors, selon le secteur d’activité, chaque entreprise pourra compléter les missions de la personne de confiance en indiquant les domaines d’intervention pertinents. En effet, une crèche devrait penser au TMS, tandis qu’une administration devrait se pencher sur la question de l’absentéisme et une entreprise de trading se doit d’être attentive aux SPA.
L’échelle d’intervention
Si la personne de confiance n’intervient qu’auprès d’un collaborateur, elle aura fait le minimum légal. Toutefois, l’expérience démontre qu’un conflit peut en cacher un autre. Et un conflit mal géré peut se transformer en mobbing. On sait aussi que le stress et la surcharge peuvent amener du conflit... Bref, il est parfois judicieux d’agir sur une dimension plus vaste, comme sur les unités de travail ou l’entreprise dans son ensemble. Ainsi, les effets se déploieront à plus large échelle. L’entreprise doit donc choisir le modèle de personnes de confiance en fonction de l’échelle d’intervention.
Le niveau d’intervention
Pour tous ces RPS, il faut agir comme les pompiers: plutôt en aval et très rapidement. En effet, s’il faut un seau d’eau pour éteindre un feu de bougie qui démarre, il faudra une citerne pour le même feu après trois minutes! On parle dès lors de trois niveaux d’intervention: 1. La prévention. 2. La protection. 3. La réparation.
- La prévention primaire comprend toute mesure qui réduit ou élimine les risques, avant l’apparition de possibles conséquences néfastes sur la santé. Ce niveau comprend également toutes les mesures visant l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT), comme la motivation, le développement de la coopération, la recherche d’optimisation des pratiques, etc.
- La protection secondaire permet de réduire la gravité des risques, en soutenant les collaborateurs touchés, en les aidant à faire face, en les protégeant.
- La réparation tertiaire prévoit des mesures d’accompagnement pour traiter les dommages et «réparer» des individus fragilisés. Le case management en est un bon exemple.
Cette triade a son corollaire sur l’impact et l’engagement financier. En effet, dans la «Prévention primaire», le coût est relativement faible et l’impact important. De manière inverse, dans la «Réparation tertiaire», le coût est énorme et l’impact discutable. Par exemple, former à la gestion de l’absentéisme peut rapidement avoir un effet de levier pour réduire les effets «domino» et «boule de neige» de l’absentéisme, tandis que réintégrer des collaborateurs ayant eu des absences longues de plus de 90 jours peut s’avérer compliqué, délicat, et ... incertain.
L’entreprise doit donc choisir son niveau d’intervention en préalable. Veut-elle agir plutôt en amont des problèmes, ou plutôt en aval? Peut-être un audit RPS permettrait-il de se positionner?
La logique d’intervention
La personne de confiance peut agir selon deux logiques: la logique linéaire ou la logique systémique.
La logique linéaire veut qu’à chaque situation on recherche la cause principale pour agir sur elle avec des ajustements plutôt à court terme. Par exemple, lors d’un conflit entre deux collègues, la personne de confiance cherche un compromis acceptable en demandant à chacun un effort de conciliation.
La logique systémique veut qu’à chaque situation, on approfondisse les autres éléments qui ont un lien avec la situation traitée afin de réaliser des changements plus durables à long terme. Par exemple, lors d’un conflit entre deux collègues, les protagonistes chercheront plutôt une novation où chacun trouvera l’opportunité de mieux collaborer, tout en mettant en place des moyens prophylactiques.
Chaque logique est bonne, mais la deuxième semble offrir des meilleurs résultats. Il en coûtera cependant en termes d’effort d’analyse et en termes d’intervention globale.
Le type de personne de confiance
Pour finaliser cette approche des enjeux relatifs à la personne de confiance, il convient de spécifier trois types possibles de personnes de confiance (PC):
Primo, le type «rôle». Dans ce modèle, la PC a des qualités et une attitude qui inviteraient les autres à lui faire des confidences. En entreprise, cela peut être un responsable syndical, un RH ou un chef d’équipe. Mais nul doute que cela est insuffisant quand on parle de personnes de confiance pour les entreprises.
Secundo, le type «fonction». Dans ce modèle, la PC exerce des missions définies dans un poste. Cela exige compétence et formation. Ce type se rapproche le plus de la personne de confiance «interne». Encore faut-il que le dispositif au sein de l’entreprise lui permette d’exercer en toute indépendance et qu’elle soit connue et reconnue pour cette charge!
Tertio, le type «spécialiste». Dans ce modèle, la PC exerce un métier, avec la déontologie propre à cette posture de consultants et avec toute l’expertise requise. C’est le type se rapprochant le plus de la PC «externe». Il serait dès lors conseillé qu’elle soit non seulement formée et très expérimentée à la gestion de conflits, mais également aux questions de harcèlement, voire à la gestion des autres RPS.
En conclusion, choisir le modèle de personne de confiance interne ou externe doit être mis en perspective avec les autres enjeux.
- Doit-on se limiter au minimum que le cadre légal suisse définit ou veut-on développer des modèles intégrant des aspects de gestion d’entreprise et de contexte économique?
- Les domaines d’action de la personne de confiance doivent-ils se limiter au conflit/harcèlement? Ne doit-on pas à intégrer les questions de stress? D’absentéisme?
- Veut-on limiter les actions à la protection des travailleurs touchés ou peut-on prévenir, plus globalement, à tout niveau de l’entreprise, la survenue de risques?
- Veut-on intervenir avec une logique linéaire? Ou plutôt circulaire? Ou les deux de manière concomitante?
- Souhaite-t-on une personne de confiance interne avec une fonction intégrée dans un dispositif transparent et légal ou une personne de confiance externe, autonome, ayant une expertise plus large? Peut-on prévoir un partenariat mixte avec les deux?
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