Port du voile au travail: droits et obligations de l’employeur
Il est temps de lever le voile sur les questions posées par le port du voile sur le lieu de travail. L’employeur peut-il interdire le port du voile au sein de son entreprise? Est-il en droit d’exiger d’une collaboratrice qu’elle retire son voile? L’employeur peut-il licencier une collaboratrice parce qu’elle porte le voile?
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Le choix de porter le voile relève de la liberté religieuse garantie par la Constitution fédérale. L’employeur doit en principe le respecter. Toutefois, le droit de porter le voile sur le lieu de travail n’est pas absolu. Il peut être en conflit avec les intérêts légitimes de l’employeur, tels que l’image de l’entreprise, la perte de clientèle ou des tensions entre collaborateurs. Comment l’employeur doit-il se comporter pour concilier ses propres intérêts et le respect des convictions religieuses de ses collaboratrices voilées?
Interdiction. L’employeur est en droit d’établir des directives sur l’habillement de ses employés. Ces instructions doivent être en lien avec l’exécution du travail. Les collaborateurs sont tenus de s’y conformer. Cependant, le droit de l’employeur d’édicter des directives est limité par son obligation de protéger la personnalité de ses collaborateurs. Les directives de l’employeur qui portent atteinte à la personnalité de l’employé, notamment à ses convictions religieuses, et qui n’ont pas de lien avec la prestation de travail sont illicites.
Ces principes s’appliquent au port du voile. Dès lors, l’employeur est en droit de l’interdire, mais uniquement lorsque cette mesure est justifiée par la bonne exécution du travail. Ce sera par exemple le cas lorsque la collaboratrice voilée est en contact avec la clientèle, les partenaires commerciaux, voire les fournisseurs.
L’employeur est ainsi en droit d’interdire le port du voile à une réceptionniste, une conseillère à la clientèle, une vendeuse ou à une collaboratrice employée en qualité de cadre. Durant le travail, celles-ci ont notamment pour tâche de représenter leur employeur. Si la collaboratrice porte le voile, il existe un risque de nuire à l’image de l’entreprise et de perdre une partie de la clientèle. Lorsque ce risque est important, les intérêts de l’entreprise priment sur ceux de l’employée voilée. L’employeur est alors en droit d’interdire le port du voile. La collaboratrice qui ne respecte pas cette directive viole ses obligations contractuelles. L’employeur peut la licencier sans que le congé soit abusif.
Exceptions. En revanche, l’interdiction de porter le voile ne se justifie pas pour une informaticienne, une comptable ou toute autre collaboratrice qui ne se trouve pas en contact avec la clientèle ou d’autres partenaires commerciaux. Si l’employeur interdit tout de même le port du voile, la directive est illicite. L’employée qui continue à travailler voilée ne viole aucune de ses obligations contractuelles. L’employeur peut être tenté de lui signifier son congé. Le licenciement est cependant abusif puisqu’il se fonde sur les croyances religieuses et qu’il n’est justifié par aucune violation des obligations contractuelles. Lorsque le congé est abusif, l’employeur peut être condamné à verser jusqu’à six mois de salaire à l’employée.
Dans un cas d’espèce, une employée de confession musulmane, engagée en qualité de monteuse d’appareils électriques, portait le voile dans un atelier de production. Son employeur lui a interdit de travailler voilée, mais en vain. Elle a reçu un avertissement puis a été licenciée. L’employée n’avait aucun contact avec la clientèle. Le tribunal de district d’Arbon a considéré que l’interdiction de porter le voile ne se justifiait pas pour un tel emploi. Le licenciement a été considéré comme abusif. L’employeur a été condamné à verser une indemnité de CHF 5000.– à l’employée.
Cohabitation. Lorsque l’employeur n’est pas en droit d’interdire le port du voile, la question de la cohabitation avec les autres collaborateurs se pose. Il se pourrait que certains employés ne respectent pas le choix d’une collègue de porter le voile. Des remarques désobligeantes ou des comportements irrespectueux peuvent alors provoquer des conflits entre employés. Un climat de travail négatif nuit aux intérêts de l’employeur. Comment celui-ci doit-il réagir dans une telle situation?
L’employeur ne peut pas se contenter de licencier l’employée voilée. Il a l’obligation de protéger la personnalité de ses employés. L’employeur doit non seulement respecter le choix d’une collaboratrice de porter le voile, mais il doit également la protéger contre les remarques désobligeantes des autres collaborateurs. L’employeur a l’obligation de prendre toutes les mesures que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour des réunions en présence de tous les employés impliqués, afin que chacun d’entre eux puisse s’exprimer. Il est également possible de muter l’employée voilée avec son accord dans un autre département de l’entreprise ou de l’intégrer à une autre équipe de travail. Le but est de prendre des mesures qui doivent être adéquates pour résoudre le conflit. Dès lors, de simples avertissements signifiés aux employés impliqués dans le conflit peuvent être considérés comme insuffisants.
Abusif. Si le conflit persiste malgré les mesures adéquates prises, l’employeur est alors en droit de licencier sa collaboratrice voilée, pour autant que le conflit nuise gravement à la bonne exécution du travail. En principe, le congé ne sera pas considéré comme abusif. Toutefois, s’il s’agit de simples tensions qui ne perturbent pas excessivement le travail au sein de l’entreprise, le licenciement de l’employée voilée est abusif.
Le licenciement de l’employée est également abusif lorsque l’employeur n’a pris aucune mesure, lorsqu’il a pris des mesures qui étaient insuffisantes ou qui n’étaient pas adéquates pour résoudre le conflit.
A noter
Constitution fédérale, RS 101, art. 15
Code des obligations, RS 220, art. 321d, 328, 336, 336a
Jugement du Tribunal de district d’Arbon du 17 décembre 1990, JAR 1991 254, RSJ 1991 176
Werner Gloor, Kopftuch an der Kasse – Religionsfreiheit im privaten Arbeitsverhältnis, DTA 2006 pp. 1-16