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Pourquoi le salaire minimum légal n’est pas une bonne idée

L’Union syndicale suisse (USS) a lancé une initiative dans le but d’inscrire pour la première fois dans la Constitution un salaire minimum national et multibranche de 22 francs de l’heure (salaire mensuel de 3800 francs pour 40 heures hebdomadaires). Notre réaction.

 

Du point de vue du syndicat, la formation des salaires ne saurait être laissée au (seul) marché. Sans quoi – et c’est la base du raisonnement – la rémunération menace de ne pas suffire à couvrir les besoins vitaux. Il est (malheureusement) exact qu’en Suisse aussi, des personnes sont pauvres alors qu’elles exercent une activité lucrative; autrement dit, le revenu qu’elles obtiennent se situe en dessous du minimum vital. 

De ce fait, les personnes concernées entrent dans la définition que donne l’Office fédéral de la statistique (OFS) pour les working poor. Selon les calculs de l’OFS, il y a environ 118 000 working poor en Suisse, soit 3,6 pour cent de la population en âge d’exercer une activité. Le problème des working poor n’est pourtant pas en premier lieu imputable au salaire d’un individu, mais au fait que les coûts de base d’une famille concernée dépassent le revenu réalisé par le ménage. 

Diverses causes peuvent être à l’origine de ce phénomène. Une étude de l’OFS (1) montre clairement qu’un facteur décisif réside dans la composition du ménage, soit dans le rapport entre les nombres respectifs de personnes actives et à charge d’entretien. 

Le working poor touche les familles nombreuses et monoparentales 

C’est ainsi que certains actifs obtiennent certes un revenu (très) modeste pour leur travail, mais vivent en ménage avec un/e partenaire dont le revenu est assez élevé pour subvenir aux besoins de tout le ménage. A l’inverse, il y a des couples dont les salaires suffisent largement pour deux adultes, mais non pas pour couvrir les besoins d’une famille nombreuse. 

Par conséquent, ce sont les familles nombreuses et les familles monoparentales qui encourent de façon générale un risque working poor nettement disproportionné. Les statistiques tirées de l’étude précitée de l’OFS mettent également en lumière le fait que le rapport entre le montant des salaires et le phénomène des woorking poor existe, mais n’est pas spécialement marqué. 

En effet, un tiers «seulement» des working poor touchent un bas salaire. Les deux autres tiers bénéficient de salaires plus élevés. Inversement, 13 pour cent seulement des travailleurs dotés d’un bas salaire sont en même temps des working poor. Les 87 pour cent restants n’ont aucune peine à couvrir leurs besoins vitaux parce que, par exemple, ils sont jeunes et n’ont que de faibles dépenses.(2) 

Ainsi l’introduction d’un salaire minimum national n’aiderait en rien près des deux tiers des working poor car leur minimum vital se situe bien au-delà de ce minimum légal. D’un autre côté, en augmentant de par la loi les bas salaires, on mettrait en œuvre, dans une certaine mesure, le principe de l’arrosoir qui ferait bénéficier dans 87 pour cent des cas des personnes nullement touchées par la pauvreté. 

Un salaire minimum pourrait même nuire à l’emploi 

Un salaire minimum légal n’est donc nullement le nec plus ultra pour lutter contre la pauvreté. Pourrait-il même avoir des conséquences dommageables? La théorie économique traditionnelle affirme que l’introduction d’un salaire minimum dépassant le salaire d’équilibre du marché détruit des emplois. 

Dans la littérature économique récente, les opinions divergent sur les effets créés sur l’emploi par un salaire minimum. Dans certaines études de cas, des effets multiplicateurs ont même été constatés au niveau des postes de travail; d’autres analyses ont observé comme auparavant un recul de l’emploi après l’introduction d’un salaire minimum. 

Manifestement, le contexte – le moment, le pays ou la région, les groupes d’actifs – joue un rôle essentiel. Il n’est donc guère possible de prévoir clairement aujourd’hui, du point de vue de la théorie économique, quels seraient les effets de l’introduction d’un salaire minimum sur l’emploi et sur le chômage en Suisse. 

Toutefois, le risque d’un recul de l’emploi subsiste – ce d’autant plus que l’offre de postes pour personnes peu qualifiées a déjà sombré de toute façon par le passé. De surcroît, il est incontesté que des coûts salariaux supérieurs auront des effets négatifs, au moins à court terme, sur les gains des entreprises, parce qu’une adaptation immédiate des autres coûts ou le report intégral de ces augmentations sur les clients ne sont pas possibles. 

Or ceci implique à son tour des conséquences négatives sur les investissements des entreprises. Par conséquent, un important moteur de la croissance pourrait bien avoir des ratés. Et il faut être bien conscient aussi que certaines (grandes, multinationales) entreprises disposent de bons réseaux et sont très mobiles. Il leur serait dès lors relativement aisé de réagir par un départ ou des déplacements de processus de production au moment de l’introduction d’un salaire minimum dont elles ne pourraient pas codéterminer le montant. 

Si au contraire l’entreprise répercute pour une majeure part les hausses des coûts salariaux sur les prix, le coût de la vie augmentera en conséquence. Autrement dit: l’augmentation du pouvoir d’achat du salaire (minimum) ainsi relevé serait à nouveau réduite à néant. Un salaire minimum uniforme au plan national est et demeure donc une atteinte risquée portée aux forces du marché, qui peut avoir des conséquences très étendues, imprévisibles, voire contre-productives. 

1 Office fédéral de la statistique (Ed.) (2008) Bas salaires et working poor en Suisse. Ampleur des phénomènes et groupes à risque d’après l’Enquête sur la structure des salaires 2006 et l’Enquête suisse sur la population active 2006. Neuchâtel. 

2 Données de l’année 2006. Il n’existe pas de statistiques plus récentes sur le rapport entre les working poor et les bas salaires.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
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