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Pouvoir et leadership dans les organisations de demain

Quels seront les impacts de l’individualisation, de la flexibilité et de l’effet démographique sur le leadership de demain? HR Today publie en primeur ici la synthèse d’une longue étude, réalisée grâce à une série d’entretiens avec un pool d’experts de la conduite d’équipe en organisation.

Le pouvoir en organisation se définit différemment selon les conditions de travail, le secteur économique et le style personnel du leader, notamment en fonction de sa manière de tisser des relations avec son équipe. Selon une récente étude sur les changements contextuels qui vont le plus impacter le leadership de demain, trois tendances sont à considérer: l’individualisation des parcours de vie professionnelle, la flexibilité du temps et du lieu et les changements démographiques.

Cette étude (1) a servi de point de départ à cet article. Profitant d’un congé académique de douze mois, j’ai échafaudé un questionnaire autour des enjeux futurs du leadership et de la conduite d’équipe. Un canevas de questions que j’ai soumis à un panel d’experts et de managers expérimentés, en leur demandant d’angler leurs réponses sur les conséquences pratiques de leur analyse. L’objectif étant de cerner ce qu’un cadre doit mettre en œuvre concrètement pour établir son leadership aujourd’hui.

1. Individualisation

Les frontières de l’entreprise deviennent toujours plus floues. Le temps et le lieu du travail changent. Dans ce contexte, l’individu pose son succès personnel comme objectif principal. «Le leadership personnel» sera confronté au défi suivant: comment accorder les intérêts personnels avec ceux de l’entreprise, en rendant les deux réalisables.

En parallèle, «le co-leadership» doit tenir compte de cette déstructuration des frontières du système à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation et intégrer une nouvelle logique économique basée sur plusieurs formes de collaboration. Le rôle et la fonction du leader et des collaborateurs évoluent selon le projet et les zones de compétences. «Le leader doit donner le cap», conclut une experte.

Dans la pratique:

• Apprécier la valeur de chaque collaborateur pour ce qu’elle est.

• Accepter que chaque personne emmène avec elle un bagage différent.

• Etre prêt à ne pas recevoir la «bonne réponse».

• Stimuler sa propre intelligence émotionnelle.

• Accepter le rôle toujours plus important joué par Internet («Tout devient de plus en plus transparent»).

• Réaliser à temps les transformations de l’organisation.


• Développer sa capacité et sa qualité d’écoute; poser les bonnes questions; utiliser les retours critiques sans attendre.


• Organiser des séances et des rencontres d’affaires plus fréquemment et plus efficacement.


• Accepter que vie privée et professionnelle ne sont plus clairement séparées et que cette interaction peut même être une source de plaisir.


• Mieux comprendre les dynamiques organisationnelles.


• Développer la capacité à percevoir le monde avec les yeux de l’autre.


• «Essayer d’entrer en relation et d’être authentique avant de se préoccuper du contenu», résume un expert.

2. Flexibilité

Les structures organisationnelles classiques se dissolvent. Elles sont en train d’être remplacées par le travail en projet et le travail en réseau, qui rendent les organisations «liquides». L’explosion de la masse d’informations et des connaissances complexifie la donne et crée un besoin de simplification. Le leadership «liquide» est né de cette montée en puissance du travail en réseau, où la relation devient déterminante.

En parallèle, le leadership de la «complexité» permet de traiter cette masse de données de manière plus intuitive, au lieu d’un traitement systématique en forme de processus. «L’information est partout. Les personnes qui ont le plus de peine avec cette nouvelle réalité sont celles qui doivent connaître tous les éléments avant de prendre une décision», note une intervenante.

Dans la pratique:


• L’attention des collaborateurs est fractionnée par la multiplication des technologies de l’information. Les périodes d’attention ont aussi tendance à se raccourcir.


• Etre capable d’aider les collaborateurs à se concentrer sur ce qui est vraiment important.


• Donner du temps et de l’espace aux collaborateurs pour qu’ils osent tenter des choses nouvelles.


• Analyser les erreurs, ouvrir des réflexions et créer un processus d’apprentissage.


• Stimuler la confiance comme valeur principale qui sous-tendent les nouvelles formes de travail: confiance dans la hiérarchie, confiance dans les collaborateurs, confiance dans la communication et confiance dans les relations.

• Développer des nouveaux outils et politiques RH, afin de sou- tenir des organisations flexibles.

• «Le leadership consiste toujours plus en la faculté d’influencer les autres. Et le défi sera de pouvoir travailler avec des personnes qui sont complètement différentes de nous- mêmes», analyse un expert.

3. Démographie

Pour des raisons démographiques, il y aura à l’avenir toujours plus de seniors et de femmes dans des postes à pouvoir. Le leadership «lié à l’âge» tient compte du facteur intergénérationnel des relations en organisation. «Un jeune CEO pas-sera son temps sur des blogs ou sur Tweeter en étant très transparent à propos de ses activités alors qu’un manager senior a peut-être de la peine avec des e-mails», illustre un intervenant. Le leadership «lié au genre» se concentre sur les valeurs féminines dans les techniques de management.

Leadership lié à l’âge:

• L’âge est corellé à l’expérience. Les générations se définissent par les thèmes et les technologies avec lesquelles elles ont grandi.

• L’âge joue un rôle important dans la définition et la recherche du talent. Exemple: certains segments d’activité sont connus pour attirer des jeunes cadres (les télécommunications).

• Les collaborations intergénérationnelles, notamment sous forme de coaching, vont prendre de l’importance.

• La diversité a un effet positif sur la performance.

• Le développement personnel devient un enjeu de plus en plus critique plus l’âge augmente.

• La pression normative vers plus d’intégration de seniors sur la place de travail va augmenter.

Leadership lié au genre:


• Les femmes sont considérées comme étant meilleure en intelligence émotionnelle. Les hommes par contre ont établi leur modèle de management depuis longtemps, ils gardent donc un grand avantage.

• L’attention serait un attribut masculin, le sens critique un attribut féminin.

• «Les femmes n’ont pas le même genre d’ego quand il s’agit d’imposer une décision. Elles veulent simplement que le résultat soit le meilleur possible», note une participante.

• Les femmes cadres ont besoin de plus de soutien dans l’organisation et dans la politique.

• Les femmes sont de mieux en mieux formées. En ce qui concerne la maternité et la garde des enfants, elles portent par contre encore toute la responsabilité.

• Les interruptions de carrière pour cause de maternité sont un gros handicap dans la réussite d’une carrière. Les modèles de travail adaptés à cette réalité restent à inventer.

• Il faudrait plus d’exemples de femmes qui réussissent en organisation et dans leur famille.

Pour aller de l’avant...

Vouloir relever de front tous les défis posés par l’individualisation, la flexibilité et les effets démographiques n’est simplement pas réaliste. Il s’agira plutôt d’aller à la rencontre des collaborateurs dans leur environnement social et culturel afin de stimuler leurs motivations personnelles et de leur donner des objectifs clairs.

Un leader, cadre ou chef d’équipe doit aussi accepter que la réalité de la vie en organisation ne convient pas à tout le monde, bien que les collaborateurs estiment parfois que cela devrait être le cas. Les défis sont nouveaux: la conduite d’équipe devient l’art de garder le bon cap, en «naviguant» sur une mer agitée.

L’art consiste à détecter les forces de chacun, d’accepter la négociation et de concevoir les rôles de «pilote» et «co-pilote» de manière plus flexible. Pour y arriver, il faudra faire preuve de flexibilité, de résilience, d’agilité, de pensée systémique et d’authenticité.

Peut-être qu’un des enseignements les plus édifiant que j’ai retiré de cette recherche a été résumée par un intervenant dans cette formule: «Je crois que ce qui fera la différence à l’avenir sera d’être capable de continuellement mettre à jour nos schémas de pensée, nos compétences et nos choix».

(1) Detlef Gürtler: Die Zukunft der Führung: Eine Trendstudie, Sonderegger Druck: SIB Schweizerisches Institut für Betriebsökonomie, Zürich, 2013, 38 pages

Texte traduit de l'allemand et adapté par Marc Benninger

L'auteur

Daniela Eberhardt dirige l’institut de psychologie appliquée (IAP) à la Haute école de Zurich. Elle est spécialisée dans les questions de leader- ship et membre du conseil de rédaction de la version allemande de HR Today.

 

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