Débat

Préciser une tranche d’âge dans les offres d’emploi?

Selon Anita Reichmuth, directrice d’une société de conseils RH, le cadre juridique actuel autorise les entreprises à indiquer une tranche d’âge dans leurs offres d’emploi. Manuel Keller, directeur de l’unité Emploi et Conseils auprès de la Société des employés de commerce, est d’un autre avis. Ce serait la preuve d’une politique RH défaillante, dit-il.

Pour: Anita Reichmuth-Lienhard

Au contraire des pays de l’Union européenne et des Etats-Unis, qui imposent des règles strictes afin de limiter les discriminations à l’embauche, la Suisse, où le principe est la liberté contractuelle, autorise les entreprises à indiquer une tranche d’âge dans leurs offres d’emploi. Le sujet est pourtant très controversé. D’un côté, on estime que les indications liées à l’âge sont clairement une pratique discriminante puisqu’elles vont exclure une certaine catégorie de personnes du processus. Mais nombreux sont ceux qui souhaitent pouvoir préciser une tranche d’âge dans leurs offres d’emploi. Plusieurs études ont montré que cette pratique est courante en Suisse.
 
En réalité, rares sont les entreprises suisses qui refusent par principe de mentionner la question de l’âge afin de donner les mêmes chances à tous les candidats. De notre point de vue, nous pensons qu’il doit être possible de
mentionner l’âge requis dans une offre d’emploi. Car pour de nombreuses entreprises, le contexte organisationnel et économique exige une certaine catégorie d’âge. Cela peut par exemple être en lien avec un produit ou avec une communauté de clients ou alors afin de garder une certaine diversité d’âge dans une équipe. En tant que société de conseils RH, nous essayons de répondre aux besoins de nos clients. Si ceux-ci nous demandent de limiter les candidats à une certaine tranche d’âge, nous suivons leur recommandation et publions des annonces avec ces précisions.
 
De plus, indiquer l’âge requis permet de souligner les défis du poste mis au concours. Un poste peut être idéal pour «une première expérience professionnelle» ou alors exige «une solide expérience, des compétences managériales et un niveau de formation élevé». Ces deux profils peuvent donc être «entre 19 et 25 ans» ou «dès 35 ans».
 
Le salaire est une autre raison d’indiquer l’âge dans les offres d’emploi. Sans parler des différences sectorielles, le salaire sera différent selon l’âge du candidat. Enfin, il faut aussi mentionner le temps perdu à trier les candidatures inadéquates. Mentionner clairement les attentes dans l’offre d’emploi évitera les déceptions des candidats comme des employeurs. L’entreprise économisera ainsi du temps et de l’énergie si elle ne doit répondre qu’à 50 candidatures au lieu de 200. Cette transparence rendra aussi service aux chercheurs d’emploi, puisque recevoir régulièrement des réponses négatives va entamer leur motivation.
 
Pris dans leur ensemble, tous ces facteurs parlent, à notre avis, pour une indication de l’âge dans les offres d’emploi. Cette information favorisera la bonne intégration d’un candidat dans l’équipe, dans le contexte économique de l’entreprise. La question de la discrimination ne devrait donc pas être mise en avant artificiellement. Au contraire, chaque entreprise devrait être libre de décider comment elle souhaite formuler ses offres d’emploi.
 

Contre: Manuel Keller 

 
Les indications d’âge dans les offres d’emploi sont du passé. Elles sont rarement une information déterminante au moment du recrutement. Sauf erreur de ma part, l’âge ne permet pas de déceler la motivation, le niveau de qualification et de performance, la capacité d’apprentissage et les prétentions salariales d’un candidat! Au contraire, les indications liées à l’âge renforcent les préjugés sur les comportements de certaines catégories de personnes. Cela dit, nous comprenons que dans certains cas, la mention de l’âge peut être pertinente. Notamment pour des métiers qui exigent une bonne condition physique ou des métiers de contact avec la clientèle dans des segments bien précis.
 
Cependant, dans la grande majorité des cas, ces arguments ne sont pas valables. L’indication de l’âge devient ainsi une pratique discriminante et contraire à l’esprit de la Constitution fédérale qui interdit toute forme de
discrimination. Les employeurs seraient plus efficaces dans leurs recrutements en précisant dans leurs offres d’emploi le niveau de qualification requis, les comportements et les compétences attendues ainsi que les conditions salariales. Du côté des employés – qui n’ont aucun moyen de rajeunir! – cette pratique leur permettrait de garder la main sur leur destin professionnel, puisque c’est de leur responsabilité de se former et d’acquérir de nouvelles compétences. Ils perdraient sans doute toute motivation à se développer si c’était uniquement l’âge qui est considéré au moment du recrutement. Renoncer à préciser une tranche d’âge dans les offres d’emploi est donc beaucoup plus motivant pour les chercheurs d’emploi, qui vont du coup s’investir davantage dans leur employabilité.
 
Pour l’employeur, cette pratique offre l’avantage de pouvoir compter sur un nombre élevé de candidatures, ce qui réduit le risque de passer à côté de la perle rare. Renoncer à préciser l’âge dans une offre d’emploi est donc une situation Win- Win.
 
Pour conclure, j’estime qu’un processus de recrutement qui tient compte de l’âge des candidats est révélateur d’une politique RH défaillante. La pénurie de main-d’œuvre et le vieillissement de la population actuel vont obliger les entreprises à revoir leurs pratiques RH, notamment en termes de recrutement. Les personnes dites «senior» seront de plus en plus nombreuses et c’est le défi des entreprises d’adapter leurs pratiques et leurs prestations à ce segment du marché de l’emploi. Cela va impliquer notamment de faire évoluer les cultures d’entreprise et d’adapter certaines pratiques RH et managériales. Nous estimons par conséquent que les entreprises suisses qui parviennent à se détacher de cette question de l’âge sont celles qui vont le mieux surmonter les défis à venir du marché du travail.
 
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Anita Reichmuth-Lienhard est la propriétaire de Human Professional Personalberatung SA, une société de conseils RH de 20 collaborateurs, basée à Zurich et à Pfäffikon (canton de Schwyz).

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Manuel Keller dirige l’unité Emploi et Conseils auprès de la Société des employés de commerce (SEC Suisse). Cette organisation défend les intérêts de 50 000 employés de commerce en Suisse.

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