Savoir apprendre de ses erreurs est une condition de la réussite de toute entreprise à long terme. Cela paraît évident à titre personnel, mais peut-on apprendre collectivement des erreurs; des siennes, de celles des autres, de celles commises ensemble?
Notre réflexion se place sur ce niveau d’apprentissage collectif. Toute croissance repose sur une capacité à prendre des risques mesurés et, lorsqu’ils ne s’avèrent pas payants, de tirer des erreurs commises un maximum d’enseignements. Mais du point de vue de l’individu, les «bonnes raisons» de ne pas parler de ses erreurs sont nombreuses.
Socialement, l’ambivalence est forte car, si on considère l’erreur comme apprenante et inévitable dans les discours, une diabolisation de l’erreur demeure souvent en pratique. Déni, refus et banalisation de l’erreur sont très répandus, avec comme bénéfice d’éviter de devoir en rendre des comptes et conjurer les sentiments de honte ou de culpabilité qu’elles peuvent entraîner.
S’ajoutent à cela les méfiances et les appréhensions souvent très présentes entre les collaborateurs. Les peurs d’être jugé, ostracisé, voire harcelé, rendent le fait de parler de ses erreurs et difficultés plutôt risqué. Elles peuvent nous coûter cher socialement, financièrement, stratégiquement ou encore narcissiquement.
Trois conditions principales
Alors comment aborder en confiance nos expériences négatives ou jugées comme telles, dire lorsqu’on s’est trompé, reconnaître des actes inadéquats envers autrui, admettre de mauvais pronostics, des décisions stratégiques mal évaluées?
Un travail collectif est nécessaire pour dépasser les peurs du jugement, de la stigmatisation, de l’incompétence. Une culture managériale qui repose sur une intégration du travail collectif à partir de l’erreur développe automatiquement le potentiel collectif de son entreprise. Basée sur l’acceptation que le travail ne se limite pas à des tâches prescrites, répétitives et individualisées, elle implique au contraire de savoir travailler avec les autres, faire face aux tensions, gérer l’imprévu, innover ou traverser des conflits. Et dans cette complexité, tout le monde est amené parfois à se tromper. Plutôt que l’idée d’«autoriser» l’erreur qui peut être accompagnée d’une forme de complaisance, il s’agit d’encourager la remise en question suite à des comportements ou des choix qui se sont avérés inadaptés. Le pilotage du changement et l’adaptation des collectifs à un environnement évolutif dépendent de cette capacité collective d’apprendre des erreurs et des échecs, d’apprendre par l’expérience. Quelles conditions mettre en oeuvre pour pouvoir parler et apprendre en équipe de nos erreurs?
Une telle pratique requiert trois conditions principales:
1. D’abord, les managers et responsables créent un cadre facilitant en autorisant et accompagnant cette pratique, ce qui suppose en premier lieu d’y adhérer soi-même. Cela implique notamment un positionnement transparent et congruent face aux erreurs commises et à leurs conséquences. De ce fait, l’échange et la réflexion sur les erreurs commises sont encouragés, dans les réunions et les réseaux.
2. Ensuite, il s’agit d’harmoniser les motivations du groupe, de s’assurer qu’il existe une vision commune des missions, des objectifs explicites autour desquels les collaborateurs coopèrent. Sans cette motivation commune, l’individualisme prime et la motivation commune reste faible.
3. Pour finir, il est indispensable de diminuer les peurs, les méfiances et les appréhensions entre les employés sans quoi la confiance dans le groupe ne sera pas suffisante. Et alors, une parole libérée, authentique et responsable ne pourra pas advenir. Car il ne suffit pas de mettre des gens autour de la table en leur disant «partageons nos erreurs», «disons-nous la vérité»… Au contraire, cela aboutit souvent à de la violence verbale, au renforcement des tensions et des antagonismes ou à un mutisme complet.
Pourquoi s’appuyer sur nos «worst practices» ?
La coopération autour de l’erreur amènera une capacité de remise en question collective, plus d’esprit critique sur les différentes façons de faire, débouchant sur une meilleure compréhension des problèmes, impossible à atteindre individuellement, puis à prendre conscience grâce au regard des autres, des erreurs à corriger.
Pas à pas, une culture de l’apprentissage collectif peut s’instaurer. L’innovation et l’adaptation de l’entreprise peut se construire de manière concrète et réaliste en réponse à l’identification d’erreurs – causes des problèmes – et enrichir ainsi les rapports d’experts et la planification de processus par une expertise locale et concrète qui naît de l’intelligence collective.
Dernier avantage mais non des moindres, cette culture de l’apprentissage par l’erreur ouvre des espaces de partage sur les obstacles, les problèmes et la recherche de responsabilités partagées. On développera des «best practices» à partir du partage de nos «worst practices ». Il est certes important de savoir se féliciter de ce qui va bien, mais le changement collectif demande d’ouvrir des espaces pour regarder ce qui va moins bien et en tirer les enseignements en groupe.
Pour un leader, un manager, un directeur, cette attitude demande une assurance personnelle, mais aussi quelques outils permettant de cadrer et de stimuler les échanges autour des erreurs et des échecs. Le leader qui n’a pas peur des erreurs, qui sait les assumer pour en tirer les enseignements nécessaires et relever les défis permet de dédramatiser les erreurs des autres. Il peut accompagner et faciliter les défis de la coopération, accompagner les prises de conscience nécessaires et transformer les causes des erreurs identifiées. Il inspire les collaborateurs en générant moins de peur et les aide à regarder à leur tour leurs propres erreurs avec auto-critique. Cette attitude développe une liberté et une décomplexion face aux erreurs qui enlève la peur et la pression délétère sur les collaborateurs et libère les potentiels créatifs individuels et collectifs.