Lisa Langwieser: "Pourquoi distribue-t-on des pommes aux travailleurs alors que les mesures reconnues en matière d'ernonomie ne sont pas appliquées?" Photo: SUVA
Là où il y a du travail, l’état de santé des communautés et des individus se situe globale- ment sur un bon niveau. La présence d’entreprises agit directement sur les facteurs socio-économiques qui font partie des déterminants de la santé. Le travail apporte un sens à la vie, il fournit de la reconnaissance au niveau individuel et permet à la communauté de sub- venir aux besoins de ses membres. En contrepartie, les collaborateurs contribuent à la richesse de l’entreprise. Cependant, le simple fait d’avoir du travail ne protège pas la santé physique ou mentale; la qualité de l’emploi et les conditions de travail sont également importantes.
La conscience collective moderne relègue «l’Homme à l’échine pliée» à un passé lointain et la sensibilité du public est heurtée par les témoignages des personnes rendues malades par leur travail. Si la médiatisation de la souffrance au travail concerne surtout le burnout des managers, les problèmes de santé – de manière globale – des travailleurs en production se manifestent encore et toujours par des symptômes physiques moins spectaculaires mais tout aussi invalidants à long terme. Un collaborateur malade, absent ou pas, n’est pas productif; il engendre des coûts. L’entreprise en est (co)responsable et son image risque de se trouver ternie.
L’enjeu est de taille et l’on comprend aisément que la gestion de la santé soit devenue un sujet de préoccupation dans les entreprises. Mais alors comment expliquer que les campagnes de promotion de la santé en entreprise misent sou- vent sur les sujets dont l’employeur n’est, à prime abord, pas responsable, tel le tabagisme, l’alimentation et l’activité physique? Pourquoi distribue-t-on des pommes aux travailleurs de la production alors que les mesures reconnues en matière d’ergonomie ne sont pas appliquées? En dépit des vertus incontestables des pommes, il n’a pas encore été démontré que leur consommation avait une influence positive sur les troubles musculo-squelettiques des travailleurs à la chaîne de montage. Comment interpréter le fait que l’on offre un contrôle du taux de cholestérol aux collaborateurs alors que les facteurs de risque cardiovasculaires sont en grande partie liés à l’organisation et aux méthodes de travail, dont la «tyrannie de la direction par objectifs», décrite récemment par Maxime Morand, constitue une illustration parfaite?
S’agit-il de responsabiliser l’individu? L’objectif est dans l’air du temps, bien qu’un tant soit peu hypocrite dans le sens que les collaborateurs ont une influence somme toute limitée sur les exigences du travail. Contrairement à ce que l’on essaie de nous faire miroiter, très peu d’humains sont dotés de la fameuse «santé de fer» qui résiste aux conditions de vie. Il est certes plus facile d’organiser une campagne d’affiches «stop tabac» que de revoir l’organisation du travail et de former l’encadrement aux compétences psychosociales. Dommage que les affiches n’aient pas d’influence sur le taux d’absentéisme...
Il existe une hiérarchisation des besoins et responsabilités: pour gagner en efficacité sur le long terme, l’entreprise a intérêt à respecter les priorités. C’est-à-dire, veiller d’abord à ce que le travail n’influence pas négativement la santé des collaborateurs, ce qui implique une connaissance des conséquences des conditions de travail sur la santé des collaborateurs. L’impact réel de la promotion de la santé au travail dépend de l’analyse régulière et approfondie des informations liées à la santé, tel le taux d’absentéisme, la survenue de maladies et accidents professionnels, ainsi que les plaintes des collaborateurs. Sans l’engagement de spécialistes et sans l’implication de la direction, la promotion d»e la santé au travail dégénère en exercice alibi.
Lisa Langwieser
Lisa Langwieser, infirmière spécialisée en santé communautaire et en santé au travail, est formatrice d’adultes. Contact: lisalangwieser@bluewin.ch