Conseils pratiques

Quelles compétences pour demain?

Yuval Noah Harari est mondialement connu pour ses livres Sapiens: une brève histoire de l'humanité, Homo deus: une brève histoire de l'avenir et 21 leçons pour le XXIe siècle. Il nous livre un brillant éclairage sur la façon dont les technologies vont affecter le travail à l'avenir et sur les compétences qui seront nécessaires pour survivre sur le marché d'emploi à horizon 2050. La plus cruciale? La capacité à désapprendre et à réapprendre!

«Personne ne sait à quoi ressemblera le marché du travail en 2050, si ce n’est qu’il sera complètement différent de celui que nous connaissons», lance d’emblée Yuval Noah Harari à l’occasion du Nordic Business Forum 2022 (à Helsinki en Finlande). «L’intelligence artificielle (IA) et la robotique vont transformer presque tous les métiers. De nombreux emplois disparaîtront d’ici 2050.

Que feront encore les humains en 2050? Quels emplois et taches auront été repris par les ordinateurs et les robots? Quels types d’emplois et de tâches feront les humains? «Ce ne sont pas des questions théoriques sur le futur, mais des questions très pratiques, souligne-t-il. En effet, la préparation de l’avenir commence par l’éducation au présent dans les écoles. Prenons l’exemple d’une enfant de six ans qui commence aujourd’hui sa première année d’école. Elle aura 34 ans en 2050. Que devons-nous lui enseigner aujourd’hui pour qu’elle dispose des compétences nécessaires sur le marché du travail et dans le monde de 2050?» La réponse à cette question pourrait aller à l’encontre de bon nombre de nos intuitions.

Le serveur, difficile à remplacer

«Certaines des compétences qui nous sont chères, certaines capacités humaines que nous pensons uniques, pourraient en effet être assez facilement automatisées. D’autres que nous tendons à regarder de haut pourraient être bien plus difficiles à automatiser. Par exemple, nous avons tendance à apprécier les compétences intellectuelles plus que les compétences manuelles et que les compétences sociales. En réalité, il est bien plus facile d’automatiser la pratique des échecs que le fait de laver la vaisselle. Il y a 50 ans, les échecs étaient souvent salués comme une des réalisations majeures de l’esprit humain. Personne ne pensait à la vaisselle comme principale réalisation de l’humanité! Mais il s’est révélé qu’un ordinateur peut battre un champion du monde d’échecs bien plus facilement qu’un ordinateur ne peut remplacer un humble serveur de restaurant qui débarrasse la vaisselle sale et la lave.»

Question de conscience

Un autre postulat fréquent consiste à penser que la créativité est propre à l’humain et, dès lors, qu’il serait difficile d’automatiser tout métier qui requerrait de la créativité. «En ce qui concerne les jeux comme les échecs, les ordinateurs ont déjà montré qu’ils pouvaient être plus créatifs que les humains, observe Yuval Noah Harari. Il pourrait en être de même dans d’autres domaines. Tout se résume en réalité à la question de savoir ce qu’est la créativité. S’il s’agit de reconnaître des modèles et de les briser, les ordinateurs pourraient être plus créatifs que les humains dans bien des domaines, parce que l’IA excelle dans la reconnaissance des modèles.»

Enfin, on pense également que l’IA ne peut pas remplacer les humains dans les emplois qui nécessitent une intelligence émotionnelle, comme par exemple les enseignants ou les thérapeutes. «Lorsqu’il s’agit d’identifier correctement les émotions humaines et puis d’y répondre, les ordinateurs peuvent également être meilleurs que les humains. Parce que les émotions aussi sont des modèles. La colère est un modèle. La peur en est un autre. Pour comprendre si quelqu’un est en colère, il faut traiter des informations provenant de toutes sortes de choses, pas seulement le contenu, mais également le ton, le langage corporel, l’expression... Il s’agit d’un processus de traitement des données, un domaine dans lequel l’IA excelle.»

À mesure que les ordinateurs deviennent plus intelligents, certains soulèvent naturellement la question de la conscience. Sur ce point, il met en garde: «Ne confondons pas intelligence et conscience. Contrairement à ce que l’on voit souvent dans les films de science-fiction, il n’existe aucune raison de penser qu’en gagnant en intelligence, les ordinateurs gagnent en conscience. L’intelligence est la capacité à résoudre des problèmes. La conscience est la capacité à ressentir les choses — du chagrin, du plaisir, de l’amour, de la haine... Chez les humains, l’intelligence va de pair avec la conscience. Les médecins, banquiers, policiers, artistes s’appuient sur leurs ressentis pour résoudre les problèmes. Les ordinateurs résolvent les problèmes d’une manière totalement différente. Au cours du dernier demi-siècle, nous avons assisté à un immense développement de l’intelligence des ordinateurs. En même temps, nous n’avons constaté aucun changement dans la conscience des ordinateurs.»

Ce que veut l’humain

Les tâches qui, à l’avenir, seront accomplies par les ordinateurs dépendront de ce que les humains voudront qu’ils fassent, estime Yuval Noah Harari. «Si nous voulons simplement qu’on résolve un problème pour nous, comme nous conduire en toute sécurité d’un point A à un point B, un ordinateur peut gagner suffisamment d’intelligence pour le faire et remplacer un conducteur humain. Mais si nous recherchons l’amitié, l’amour, la confiance, ce que nous voulons, ce n’est pas quelqu’un qui résolve un problème, mais qui ressente les choses. Ce n’est pas possible de l’automatiser. Tout dépend donc de ce que nous attendons des métiers: simplement de résoudre un problème ou bien d’établir une relation? Un robot pourrait par exemple facilement prendre la place du prêtre pour célébrer un mariage. Pourquoi alors penser que les chauffeurs devraient s’inquiéter pour l’avenir de leur métier, alors que les prêtres pourraient dormir tranquille?»

Le vrai défi à l’avenir ne sera pas le manque absolu d’emplois, affirme Harari, mais bien la difficulté de se re-former et de s’ajuster à un nouveau marché du travail. «La difficulté financière pour les gens qui ont perdu leur emploi et qui sont en transition pour apprendre les compétences nécessaires à un nouveau job. La difficulté psychologique car il est stressant de se réinventer. Si vous êtes un chauffeur routier de 40 ans qui a été remplacé par un ordinateur, comment vous réinventer en tant que professeur de yoga ou designer, ou tout autre emploi? Et même si vous pouvez vous adapter, ce ne sera peut-être pas une solution à long terme, car le marché du travail continuera d’évoluer. L’automatisation n’est pas un événement ponctuel au terme duquel le marché du travail va se stabiliser. Il s’agira d’une cascade de perturbations toujours plus importantes. Les gens devront se recycler et se réinventer non pas une seule fois, mais à plusieurs reprises tout au long de leur vie. Ce qui créera une immense pression psychologique.»

Potentiel inexploité

La révolution digitale nécessite un nouveau modèle de travail, conclut Yuval Noah Harari. «Pendant longtemps, le modèle a été linéaire: on apprend, puis on travaille. Ce modèle n’est plus pertinent. Les gens ne peuvent pas s’attendre à conserver le même emploi, ni la même profession toute leur vie. Ils doivent continuellement réapprendre des compétences et de nouvelles professions. Peut-être d’ailleurs qu’une compétence clé du XXIe siècle sera la capacité de désapprendre et d’oublier, non pas uniquement certains concepts, mais des façons dépassées de voir les choses. Les compétences clés ne seront pas des compétences spécifiques, comme l’apprentissage d’un code informatique, mais la capacité à maîtriser de nouvelles compétences pour passer d’une profession à une autre tout au long de la vie.»

Le traitement de l’information sera une de ces compétences. «Nous devrons apprendre à rechercher de nouvelles informations et, plus important encore, à faire la différence entre des informations fiables et non fiables. Tout cela exigera une grande flexibilité mentale. Pour certains, survivre dans ce nouveau monde impliquerait des technologies telles que la génétique ou la bio-ingénierie pour augmenter les capacités humaines et rester compétitifs par rapport à l’IA. Je suis sceptique à ce propos et ce pourrait même être dangereux. On pourrait en arriver à des êtres humains très intelligents et disciplinés, mais manquant de compassion, de sensibilité artistique ou de spiritualité. On perdrait alors une grande partie de notre potentiel humain, sans même nous en rendre compte. Les humains sont très bons à changer et à s’adapter. L’histoire nous a en effet montré le vaste potentiel inexploité de l’humanité. L’IA est loin d’avoir atteint son plein potentiel. C’est aussi vrai pour les êtres humains: nous sommes loin d’avoir atteint notre plein potentiel. Pour chaque euro et chaque minute que nous consacrons à l’exploration et au développement de l’IA, nous devrions consacrer au moins un euro et une minute à l’exploration et au développement de notre propre esprit.»

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