Droit et travail

Restructuration et congé-modification

En ces temps économiques bouleversés par la suppression du taux plancher, de nombreuses entreprises envisagent une réorganisation, voire une restructuration. Une modification des conditions de travail implique des conséquences sur les relations contractuelles. Quels sont les droits et les obligations de l’employeur et de l’employé dans ce contexte ?
Lors d’une restructuration, l’employeur peut vouloir modifier les horaires de travail, l’attribution des tâches, ou le taux d’activité. L’employeur ne peut pas modifier unilatéralement le contrat de travail d’un collaborateur sur un point essentiel, notamment salaire, temps de travail, taux d’activité et fonction. En effet, la conclusion d’un contrat de travail exige un accord de volontés réciproques et concordantes de la part de l’employeur et du travailleur. De même, toute modification contractuelle ultérieure doit réunir le consentement des deux parties. En d’autres termes, la modification des conditions contractuelles essentielles nécessite l’accord du travailleur par le biais de la procédure du congé-modification.
 
Le congé-modification a pour but la poursuite des rapports de travail, mais à des conditions contractuelles moins favorables pour le travailleur. L’opération est double: la résiliation des conditions contractuelles est couplée à une proposition de contrat modifié. Le choix revient ensuite au collaborateur d’accepter la proposition et de poursuivre les rapports de travail aux nouvelles conditions, ou de refuser et de mettre un terme au contrat.
 
Un employeur diligent procédera à un congé-modification «au sens strict», c’est-à-dire en une seule étape: l’employeur exposera au collaborateur, dans une seule et même correspondance, sa proposition de modification contractuelle et les conséquences d’un éventuel refus. L’offre de nouvelles conditions de travail doit être directement associée au licenciement, en cas de refus.
 

Conséquence de l’acceptation

Si le congé-modification est accepté par le travailleur, un nouveau contrat de travail entrera en vigueur à l’issue du délai de congé. Jusqu’à cette date, le collaborateur doit bénéficier des conditions de travail telles qu’elles sont fixées dans son contrat de travail initial. A défaut, le congé-modification pourra être considéré comme abusif.
 
Malgré l’entrée en vigueur d’un nouveau contrat de travail, la durée entière des rapports de travail est prise en compte pour déterminer les différents droits et obligations de l’employé qui dépendent du nombre d’années de service. Il en va notamment ainsi du droit au salaire en cas d’empêchement non fautif de travailler (art. 324a CO), de la durée du délai de résiliation (art. 335 al. 1 CO), ou encore de la protection contre les congés en temps inopportun (art. 336c CO).
 

Conséquences du refus

Le refus de modifier le contrat de travail a pour conséquence l’extinction des rapports de travail à l’échéance du délai de congé légal ou contractuel, sans qu’une nouvelle notification du congé ne soit nécessaire.
 
Lorsqu’il adresse de nombreux congés-modifications, l’employeur doit être attentif à l’éventuelle application des articles 335d CO et suivants sur le licenciement collectif. Il se peut en effet que le nombre d’employés qui refusent la modification soit égal ou supérieur au seuil de licenciements requis pour l’application de l’article 335d CO. Si l’employeur ne respecte pas cette procédure et que les seuils de l’article 335d CO sont dépassés, alors les licenciements intervenus suite à un congé-modification seront considérés comme abusifs (art. 336 al. 2 let. c CO).
 

Objet du congé-modification

L’employeur, en proie aux difficultés économiques, liées au franc fort, peut vouloir prendre l’une des mesures d’adaptation suivantes:
Modification de l’horaire de travail: l’employeur peut être tenté d’allonger la durée hebdomadaire du travail, sans pour autant augmenter le salaire. Il augmentera la semaine de travail et passera par exemple de 40h00 à 45h00. Dans un tel cas, l’employeur devra procéder à un congé-modification au sens strict.
 
Réduction des salaires: la réduction des salaires ne peut pas en aucun cas s’effectuer sans respecter la procédure du congé-modification. L’employeur ne peut pas réduire le salaire immédiatement après l’acceptation du travailleur. Il doit respecter le délai de congé légal ou contractuel avant que les nouvelles conditions de travail puissent entrer en vigueur.
 
Réduction des salaires des frontaliers: depuis la chute de l’euro, les frontaliers ont bénéficié d’une augmentation de salaire. L’employeur, qui doit prendre des mesures, pourrait être tenté de réduire le salaire des frontaliers. Une telle modification est illicite, car elle ne respecte pas l’égalité de traitement fixée dans l’Accord sur la libre circulation des personnes.
 
Paiement du salaire en euros: l’une des mesures susceptibles d’être prises par l’employeur peut être le paiement du salaire des frontaliers, voire même des collaborateurs suisses, en euros.
 
En principe, le paiement du salaire a lieu en francs suisses. Toutefois, les parties peuvent en décider autrement et modifier cette condition par le biais du congé-modification. L’employeur doit tenir compte de l’article 324 CO qui prohibe le transfert du risque d’entreprise sur les travailleurs au sens strict.
Selon cette disposition, l’employeur supporte seul le risque d’entreprise. Les variations du cours de la monnaie font partie de ce risque. Le fait d’imposer une rémunération dans une monnaie défavorable aux travailleurs peut constituer un transfert illicite des risques d’entreprise.
 
Suppression du 13ème salaire: l’employeur peut être tenté de supprimer le 13ème salaire. Lorsque le montant et l’échéance sont fixés contractuellement, ils font partie intégrante du contrat et ne peuvent en aucun cas être supprimés sans passer par un congé-modification.
 
Suppression du bonus: l’employeur peut être tenté de supprimer le versement de gratifications. Lorsque l’employeur rappelle régulièrement qu’il s’agit d’avantages accordés à bien plaire, ceux-ci sont accessoires au contrat de travail et l’employeur peut les supprimer unilatéralement. En revanche, lorsque ces libéralités ont été accordées sans réserve, elles perdent leur caractère facultatif après trois ans. Si l’employeur veut les supprimer, il doit recourir au congé-modification.
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Marianne Favre Moreillon, spécialisée en droit du travail, est Directrice et Fondatrice du cabinet juridique DroitActif à Lausanne. 

Lien: www.droitactif.ch

 
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