La chronique

Savoirs!

Savoir! Ce verbe substantivé ne manque pas de faire partie des injonctions impératives de notre monde moderne. Il se décline en variantes successives et théoriquement complémentaires. Présentés sous forme de trilogie, ces savoirs constitueraient, à entendre les trémolos de leurs supporters, l’insurpassable sommet de notre humanité.

Le premier de cette triade est le simple Savoir, somme des connaissances apprises, qui constitue en effet une vraie richesse, d’autant plus humanisante qu’elle se partage. Ce Savoir peut pourtant devenir l’outil d’une avide recherche de pouvoir. Enseignants, formateurs, experts de toute sorte en toutes matières, érudits sentencieux d’idéologies étroites, beaucoup s’exposent à la perversion de toute connaissance: apprendre pour dominer l’autre et pour s’imposer, arguant de la supériorité de ses savoirs.

Le deuxième, le Savoir-faire, apparaît lui succéder comme s’il le complétait naturellement ou en permettait l’achèvement. A y bien réfléchir, il existe pourtant un franc antagonisme entre ces deux formes de savoirs. Contrairement au premier, le Savoir-faire est le fruit d’expérimentations entreprises avec autant de patience que d’humilité. D’audace souvent et de persévérance aussi. Et si le Savoir peut y concourir, il y répugne souvent, se satisfaisant de la seule théorie pure – laquelle ignore confortablement l’échec – et retient avaricieusement sa matière, qu’il préfère voir corrompue plutôt que partagée ou exposée. Nulle arrogance et aucune mesquinerie, dans un vrai Savoir-faire, dont la devise pourrait être: we are what we share.

Au sommet siégerait le Savoir-être, magnifique ou magnifié. Sans qu’aucun pourtant ne s’accorde sur ce Savoir-être. S’agit-il d’être moi, au sens où je peux me libérer des dépendances de l’avoir ou de l’obsession de la possession? S’agit-il de valoriser mon ego, un petit moi bien serein et bien propret, plutôt contributif et éloigné des égocentrismes? S’agit-il encore d’apprendre à être bien avec les autres, en intelligence collaborative, sans jamais aucun conflit? A bien y regarder, ce n’est sans doute pas ces façons-là d’être que proposent les théoriciens du Savoir-être.

Deux Savoirs manquent à cet inventaire. Plus essentiels sans aucun doute. Plus exigeants certainement.

Il s’agit premièrement du Savoir-vivre. Non pas une forme d’étiquette, un conformisme social suranné et étouffant. Non, je parle de cet authentique Savoir-vivre, qui commence par apprendre à être toujours davantage en bonne intelligence avec soi-même. Et puis, ensuite, à le devenir sans cesse avec les autres. Ce Savoir-vivre, en pleine vérité et en pleine tendresse, exclut toute violence intime et toute agression interpersonnelle... Ce simple Savoir-vivre ensemble est empreint de respect, de courtoisie, de sagesse et d’authentique bienveillance... Victime des théories hyperboliques des leaderships introuvables ou des recettes instrumentalistes des managements paléolithiques et tyranniques, ce Savoir-vivre fait tristement défaut, partout où les idiocrates exercent le pouvoir (ils ne savent que concentrer leur toxicité jusqu’au surdosage, au détriment de tous, en commençant par eux-mêmes).

Loin des introspections inutiles et de ses errances morbides, un dernier savoir, le plus essentiel de tous, est le Savoir-devenir. Oublié des psychanalystes et ignoré des marchands d’illusions, ce Savoir-là est l’achèvement réel de notre humanisation progressive. George Bernard Shaw, avec son puissant laconisme l’établissait: «Vivre, ça n’est pas se trouver, c’est se créer!» Vivre vraiment, loin des conditionnements ou des enfermements passés, c’est avoir le courage et l’audace de s’inventer encore, de s’adapter sans cesse, de se renouveler toujours. Seul l’Homme, librement, peut ainsi se créer ou se recréer, individuellement et collectivement.

Désenglués des (im)postures psychanalytiques ressassant un passé intangible, une génération nouvelle, en d’innombrables initiatives entrepreneuriales aussi exemplaires qu’utiles, pour recréer notre avenir, nous apprend à Savoir-devenir!

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Xavier Camby est Directeur du cabinet Essentiel Management, qui forme les dirigeants à la gouvernance du futur, et auteur de «48 clés pour un management durable».
 
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