Se confronter à sa propre authenticité pour améliorer sa prise de parole
Emotions et communication sont intimement liées, qu'il s'agisse de communication interpersonnelle ou de dialogue interne. Quelques pistes pour mieux comprendre nos «mécaniques émotionnelles» afin d'augmenter l'impact de notre prise de parole.
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Quand des personnes que j’accompagne me disent qu’elles n’arrivent pas à gérer leurs émotions, je leur demande ce qu’elles entendent par là. Cette malheureuse expression préconçue annonce dans de nombreux cas une promesse fallacieuse comme on l’appelle dans mon jargon. Celle d’un contrôle tant convoité qui, s’il semble désirable ou même obligatoire, n’est d’après moi ni possible ni souhaitable. La régulation émotionnelle, oui. La gestion consciente des réponses émotionnelles, oui. La gestion des émotions, non. En effet, ne préférons-nous pas nous équiper d’un parapluie plutôt que de «gérer» la pluie?
Depuis 18 ans que je marche aux côtés de particuliers, d’équipes ou de dirigeants·es sur leur chemin de changement, je les ai fréquemment entendus parler d’émotions comme s’il s’agissait d’une sorte de monstre tapi dans l’ombre, prêt à surgir à tout moment pour les attaquer. Et pour cause. Nous vivons dans une société qui, depuis la période médiévale en raison de facteurs culturels, religieux ou sociaux, a condamné les émotions. Elles ont progressivement été perçues comme des signes de faiblesse ou de manque de maîtrise de soi. Or, le système émotionnel dont la base est neurobiologique sert littéralement à nous guider.
Les voyants lumineux de notre tableau de bord
Après que la psychologie moderne a commencé à inverser la tendance, les neurosciences ont fait faire un saut quantique aux émotions. Ainsi, celles-ci sont passées «d’attribut de bonnes femmes» à puissant outil intégré pour naviguer dans notre vie et prendre des décisions éclairées. Je compare souvent les émotions primaires à des messagers helvétiques, au sens de leur neutralité intrinsèque. Alors peut-être n’aimons-nous pas la tronche de l’un ou de l’autre, par exemple le messager colère ou le messager peur. Résultat, nous le jugeons négatif. Hélas, ce délit de sale gueule nous fait jeter le message avec le messager... Catastrophe! Car bien que ce hideux livreur puisse nous faire peur ou nous contrarier, le message qu’il porte revêt une importance capitale: il nous indique en temps réel le niveau de satisfaction de nos besoins. En d’autres termes, les émotions sont comme les voyants qui s’allument sur le tableau de bord de notre voiture pour nous indiquer qu’il se passe quelque chose dans notre moteur ou encore que nous avons bien signalé la direction que nous prenons ou notre position à notre entourage. Ignorer ces voyants lumineux ne met-il pas notre vie – ou celle des autres – en danger?
Socle de notre communication
Vous l’aurez compris, il me semble utile de rendre la mécanique des émotions plus compréhensible parce qu’elle constitue le socle de notre communication avec les autres. Pas seulement avec les autres, mais également avec nous-même. Cela étant, apprendre à décrypter les messages transmis par les émotions ne passe pas uniquement par un aspect théorique. En effet, cet apprentissage passe par aussi un apprentissage somatique. La question se pose alors: comment amener l’un sans omettre l’autre en entreprise?
La caméra, catalyseur d’apprentissage
J’ai choisi pour ma part de travailler avec des équipes sur la prise de parole face caméra en alternant workshops collectifs et séances individuelles, convaincue que cette discipline catalyse ce avec quoi chacun·e a à travailler à la fois sur le plan communicationnel et sur le plan émotionnel. Ce qui permet au passage de créer de nouveaux ponts vertueux entre les deux. Ne trouvez-vous pas que se mettre devant un public ou devant une caméra, c’est avant tout se mettre face à soi?
Lorsque nous nous exprimons face caméra, nous nous confrontons à notre propre authenticité, un acte qui requiert une compréhension profonde de nos émotions. En explorant simultanément les mécaniques émotionnelles en groupe, nous apprenons à reconnaître nos propres besoins et à comprendre ceux des autres. Dans ce contexte, la notion de consentement devient la clé de voûte de cette interaction. Du consentement individuel émerge l’intelligence collective, créant ainsi une dynamique de groupe basée sur l’authenticité et la compréhension mutuelle. Ce qui crée un terrain propice à une communication authentique, meilleure garantie de l’impact d’une prise de parole. La boucle est bouclée.
Quelques pistes à explorer en entreprise:
Progression douce: acquérir des compétences émotionnelles demande du temps et passe par bien des frustrations. Laissons derrière nous les dommages créés par des siècles de stigmatisation des émotions et encourageons-nous mutuellement.
Référentiel collectif: les compétences émotionnelles se renforcent tandis que notre vocabulaire pour décrire nos ressentis s’enrichit. Créons un lexique commun pour pouvoir nous y référer.
Cadre de sécurité: testons nos présentations, nos discours, nos messages dans un cadre sécurisé où la vulnérabilité devient le meilleur levier pour favoriser un apprentissage solide.
Entraînement persévérant: apprenons à ne pas y arriver avec joie. La persévérance dans l’entraînement trace le chemin progressif de tout apprentissage.
Mixité des formats: intégrons l’intelligence collective et la maïeutique dans des formats qui alternent séances collectives et individuelles. Les sessions de groupe deviennent des forums enrichis par les expériences individuelles, favorisant une compréhension partagée et renforçant l’équipe dans son ensemble.
Les bénéfices sont systémiques. En investissant dans le développement des compétences émotionnelles et communicationnelles, les collaborateurs gagnent en confiance et en professionnalisme, créant un environnement où l’estime mutuelle se renforce.