Débat

Séparer l’assessment du recrutement?

Les chasseurs de tête ne devraient pas évaluer leurs candidats, estime Daniel Fahrni. «Faux», répond Barbara Moser Blanc, directrice d’un cabinet de recrutement: «l’objectivité du recruteur n’est pas remise en cause».

POUR

Une société de recrutement se voit confier la mission de repourvoir un poste important et d’évaluer les candidats sélectionnés par le client (la «short list»). Cette formule semble attractive à plusieurs titres: un seul prestataire, une seule personne de contact et un seul produit. On réduit du coup l’investissement en temps et en argent. Mais le risque potentiel que court le mandant est souvent sous-estimé.

Le fait de confier à la même société le recrutement et l’assessment provoque un conflit d’intérêt. Car c’est dans l’intérêt d’un cabinet de recrutement de placer «son» candidat. On peut dire alors que les cartes sont faussées. L’évaluation du candidat risque d’être plus favorable que si c’était un assesseur indépendant qui effectuait cette étape. Avec comme conséquence: l’engagement d’un candidat qui ne répond pas forcément aux exigences de la situation professionnelle.

L’autre risque est lié à la qualité. Le «core business» d’un chasseur de tête est de trouver des profils, non pas de les évaluer. S’il fait les deux, la qualité de l’assessment risque d’en pâtir. La répartition des rôles entre recruteur et évaluateur a une réelle valeur ajoutée: elle augmente les chances que le profil sélectionné correspond bien à la fonction. De nombreuses sociétés de recrutement l’ont bien compris, puisqu’elles cherchent aujourd’hui à s’associer avec des sociétés d’assessment.

Mais cela n’est pas suffisant. Car toutes les garanties seront réunies uniquement s’il n’existe aucun lien direct ou indirect entre le recruteur et l’évaluateur. Ces deux acteurs ne doivent pas être de connivence. Cela leur permettra de respecter les normes de qualité et les règles déontologiques de leurs métiers respectifs.

Ce risque d’impartialité est d’ailleurs de plus en plus reconnu par les responsables RH et les dirigeants d’entreprise. Ce n’est pas un hasard s’ils demandent de plus en plus souvent un avis externe avant de prendre une décision. Ce troisième regard est d’ailleurs considéré comme «une perte de temps» par les recruteurs et comme une «remise en question de ses compétences» par l’évaluateur. Il est donc d’autant plus important de confier l’évaluation des profils retenus à un spécialiste dont l’éthique professionnelle est au-dessus de tout soupçon.

Ce genre de garantie existe depuis 2012. Il s’agit du SQS- Label, délivré par l’association Swiss Assessment. Ces standards de qualité n’offrent d’ailleurs pas seulement des garanties au client, mais aussi au recruteur. Conclusion: en exigeant la séparation des mandats de recrutement et d’assessment, l’entreprise mandante augmente ses chances de trouver le bon profil et renforce sa posture dans la relation tripartite: entreprise-recruteur-assesseur. Du coup, la qualité profite à tout le monde, y compris aux candidats.

L'auteur

Daniel Fahrni est CEO et partenaire associé de cedac assessment développement et conseils SA. Sa société est une des premières à avoir décroché le label de qualité Swiss Assessment. www.cedac.ch

CONTRE

Ce débat n’est pas nouveau: un recruteur et un assesseur actifs pour la même société ne seraient pas indépendants et donc pas capables d’objectivité. Je suis persuadée du contraire: à condition de mettre en place un processus de recrutement et d’évaluation de manière réfléchie, diversifiée et ciblée. Nos consultants bénéficient d’une longue expérience dans le recrutement et l’évaluation de managers et de dirigeants d’entreprise. Cette double expérience est clairement un avantage quant il faut cerner le profil et évaluer des candidats.

Nos évaluations sont développées sur mesure, en fonction du poste à repourvoir et en recourant à des mises en situation. Ces évaluations sont réalisées en trois étapes: des entretiens individuels détaillés, des mises en situation inspirées de la réalité opérationnelle du mandant et des tests de personnalité en ligne.

Pendant le premier entretien, nous tentons de bien comprendre la personnalité du candidat, ses valeurs, ses forces et ses faiblesses. Pendant l’exercice de mise en situation, nous croisons les regards, c’est-à-dire que nous sommes au moins deux évaluateurs et un observateur qui représente le futur employeur du candidat. De plus, un des évaluateurs ne connaît pas le dossier du candidat avant l’exercice. Ce croisement des regards entre évaluateurs et observateurs externes nous garantit un regard neutre et indépendant.

La mise en situation nous donne des informations sur les compétences en leadership et en conduite d’équipe, sur la capacité à trouver des solutions, la réaction du candidat dans une situation difficile, s’il est en mesure d’avoir une vision systémique de la situation, sa prise de décision et sa manière de communiquer, etc. Enfin, les tests de personnalité en ligne nous éclairent sur les autres aspects de sa personnalité. Notez que nous n’utilisons que des tests qui sont certifiés et dont la méthode a été validée.

Les avantages du «tout en un» (évaluer + recruter) sont évidents: au début du mandat, nous investissons beaucoup de temps pour analyser la société qui nous mandate, comprendre sa marque employeur, grâce notamment à plusieurs entretiens avec le supérieur direct du poste à repourvoir. Cela nous permet de cerner la culture d’entreprise, la culture de leadership, l’état d’esprit des équipes et les défis que devra surmonter l’organisation.

Ces informations sont ensuite utilisées pour créer l’exercice de mise en situation. C’est grâce à ce travail en amont que nous sommes en mesure d’évaluer les traits de personnalité et les forces du candidat qui sont le plus utiles au poste à repourvoir.

Naturellement, notre premier objectif en tant que chasseur de tête est de réussir à placer un candidat. Mais nous attachons au moins autant d’importance à créer des relations de confiance et de longue durée avec nos clients. C’est pourquoi il est dans notre intérêt aussi que le candidat corresponde bien au poste qu’on lui propose. Et il faut encore mentionner ceci: au moment d’entrer en fonction, le ou la candidat-e connaîtra déjà le fonctionnement de la société, sa culture d’entreprise et les défis opérationnels qui l’attendent, il ou elle pourra donc se concentrer sur son intégration «humaine» dans la nouvelle équipe.

L'auteur

Barbara Moser est Managing Partner chez momaSwiss-Team Sàrl, un cabinet de recrutement. Elle est titulaire d’un Master en Marketing et Développement Corporate ainsi que d’une formation post-grade en psychologie. www.momaswiss-team.ch

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