«A SIG, nous voulons bâtir les rapports de travail sur la confiance»
Directeur général des Services industriels de Genève (SIG) depuis 2014, Christian Brunier positionne la régie autonome de droit public comme un modèle de la transition énergétique, tout en transformant la manière de travailler de ses collaborateurs. Il témoigne des réformes RH qu’il a lancées ces dernières années.
Photo: Keystone
«Avant d’être Directeur général de SIG, j’étais à la tête des «Services Partagés» de l’entreprise. Cette unité regroupait les activités de support de l’entreprise, de la logistique à l’informatique. A la croisée des 150 métiers que regroupe SIG, c’était le laboratoire idéal pour développer une nouvelle culture de travail. C’était en 2010, et avec quelques collègues, nous dressions le constat suivant: nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère numérique. La documentation se dématérialise, les données se mutualisent, la vie des individus s’organise autour des smartphones, des ordinateurs portables et d’Internet. Or, les espaces de travail sont conçus comme il y a 100 ans! Et les employés fonctionnent de même: ils pointent matin, midi et soir, dans une organisation très hiérarchisée. Alors que chacun possède des outils portables, ils se posent durant huit heures derrière un bureau. Est-ce ainsi que nous allons attirer les jeunes talents, plus mobiles et nomades que leurs aînés? La nature du travail est en pleine mutation. Nous devons anticiper ces bouleversements. Comment? En développant un management à la confiance, qui s’appuie sur les formidables technologies digitales à notre disposition.
C’est ainsi qu’est née l’idée du projet «EquiLibre», basé sur les principes suivants: les pointeuses sont supprimées; chacun travaille à l’objectif, dans des espaces dynamiques, ou ailleurs, sans place de travail attribuée, au moment et à l’endroit où il est le plus performant. Après une étude d’opportunité, il a fallu convaincre les syndicats et la direction. Les représentants du personnel redoutaient une forme d’exploitation déguisée des employés. Et une partie de la direction pensait que nous allions encourager les «profiteurs». Enfin, en 2012, le principe d’un projet-pilote a été accepté, et lancé au sein de ma direction. En 2013, à l’heure de recueillir l’avis des 100 participants, 80 d’entre eux se montraient favorables. Nous nous sommes naturellement intéressés aux 20% de mécontents. La liste de leurs doléances était claire: les grands écrans et les lieux pour téléphoner étaient insuffisants; certains espaces, trop exigus, ne se prêtaient pas au projet. Nous avons adapté l’aménagement. Et au final, 100% des collaborateurs voulaient poursuivre l’expérience!
Mais des collaborateurs soulevaient une critique de taille, en disant: «J’ai pleinement joué le jeu du projet EquiLibre, j’ai rempli les objectifs de travail qu’on m’a fixés. Mais mon supérieur ne m’accorde pas de confiance en retour. Je ne peux pas travailler dans cette atmosphère.» Nous touchons là un problème essentiel: la plupart des entreprises pilotent à la méfiance. Elles veulent pincer les tricheurs. A SIG, nous voulons inverser la logique, bâtir les rapports de travail sur la confiance. Les cadres sont là pour coacher leurs équipes, pour les accompagner. C’est pourquoi nous offrons la possibilité de faire carrière autrement qu’en devenant manager. A SIG, une dizaine de personnes ont «glissé» du statut de manager, qui ne leur convenait pas, à celui d’expert. Ils apportent un savoir-faire unique, nous aident à innover, et nous évitons le principe de Peter, qui affaiblit tant les entreprises!
Le projet EquiLibre s’est progressivement étendu à 650 collaborateurs de SIG. Tous sont passés au management à la confiance sur une base volontaire. Et les résultats sont positifs. La productivité a augmenté de 10 à 15%. Et le profil de celles et ceux qui postulent a changé. Auparavant, les gens voulaient entrer à SIG pour s’assurer un emploi à vie. Désormais, la plupart des candidats avancent deux motivations: travailler pour une entreprise à la pointe de la transition énergétique et bénéficier de flexibilité dans l’organisation du travail. En effet, ce qui anime un employé sur la durée, c’est le sociétal. Les motivations financières ne permettent pas, à elles seules, de retenir un talent durant toute une carrière. D’autres employeurs l’ont constaté et reprennent notre méthode, ou projettent de le faire: à Genève, l’Hospice Général, l’Administration fiscale cantonale, des régies immobilières. Mais aussi l’Administration jurassienne et, en France, EDF et Botanic. Enfin, le travail à distance et les horaires décalés sont bons pour l’environnement. Un exemple: les géomaticiens de SIG n’ont plus besoin de venir pointer au siège du Lignon, avant et après leur journée de travail, qui se déroule parfois à l’autre bout du canton. Grâce à cette décentralisation, nous économisons environ 8’000 km de déplacement motorisé, par véhicule et par année! Dans cette logique, la prochaine étape pour SIG, c’est de décliner le projet EquiLibre à l’échelle des métiers de terrain. Des sites décentralisés de stockage du matériel de chantier éviteraient des trajets inutiles, et contribueraient à fluidifier le trafic à Genève!»