Portrait

Sous la carapace se cache un homme sensible

Self-made-man, Charles Phillot incarne la transformation de l’économie fribourgeoise, d’une agriculture ancestrale vers une industrie des machines de niche qui s’exporte à travers le monde. Après 15 ans à diriger Frewitt SA (qui fabrique des machines pour l’industrie pharmaceutique notamment), il tire un bilan de sa gestion RH.

On nous avait prévenu que Charles Phillot possède une poigne de fer. Mais derrière le roc, que l’on devine taillé aux épreuves de la vie, la chaleur humaine se dégage, transmise par un regard bleu perçant. L'humour ne manque pas. «J’ai deux enfants. Là, les RH sont le plus difficile! J’aurais souhaité que mon fils devienne ingénieur, quant à ma fille elle travaille dans le social. Rien à voir avec l’entreprise! Il faut bien admettre que chaque personne détermine sa vie selon ses désirs.» Dans l’ensemble, Charles Phillot donne l’impression d’être une force sensible. Dans son bureau de Granges-Paccot (canton de Fribourg), au siège de Frewitt SA, l’industriel fribourgeois nous accueille chaleureusement, malgré l’extinction de voix qui l’affaiblit depuis une semaine. «Moi qui adorais chanter, je me retrouve régulièrement avec ce problème à cause d'un cancer des cordes vocales qui a été soigné depuis», finit-il par concéder après l'entretien. La gêne physique ne semble pas compter pour ce self-made-man qui a débuté par un apprentissage d’électricien (CFC) et une formation d’ingénieur HES.

«L’armée a joué un rôle dans ma formation et mon expérience» 

C’est que ce lieutenant colonel à l'Armée suisse, qui fut commandant de compagnie et responsable des cours alpins de la division de montagne 10, a appris à «souffrir et fermer sa gueule» selon l’adage des grenadiers à Losone. «C’était un apprentissage pour la vie et cela me rend parfois insupportable les comportements d’enfants gâtés.» L’armée de milice a pour lui l’avantage de réunir sans discrimination des gens de tous niveaux et de toutes origines.

«Cela favorisait une homogénéité au sein de la société. Le Fribourgeois que j’étais a pu rencontrer des... Genevois! Sur le terrain, nous avions tous les mêmes problèmes et réactions. Cela crée des liens que l’on peut retrouver ensuite dans la société civile. Ce qui m’a marqué aussi, c’est la possibilité de recevoir de très grandes responsabilités. Quand j’étais chef de section, j’ai eu beaucoup d’alpinistes et de guides de montagne comme recrues, tel le Valaisan André Georges. Ce n’étaient pas des gens faciles à conduire! L’armée prend forcément de gros risques en confiant ces responsabilités à des jeunes gens. C’est pour cela qu’on peut autant la critiquer. Mais la liberté est à ce prix. Il y a forcément de moins bons chefs et des recrues qui ont pu en souffrir.»

De Granges-Paccot à Shangaï, il développe ses réseaux

Direct, serviable, modeste... Ce sont des qualités qu’on attribue volontiers d’emblée à Charles Phillot, vice-président du conseil d’administration de l’Office suisse d’expansion commerciale (Osec) et responsable stratégique du groupe Frewitt SA. Jusqu’en 2011, il était CEO de la société Frewitt Fabrique de machines SA, le navire amiral du groupe Frewitt SA, propriété de Mme Monique Antiglio. Cette entreprise exportatrice de machines pour l’industrie pharmaceutique et l’industrie alimentaire a été fondée en 1947 par Frédéric Wittwer (d’où la contraction Frewitt). Le groupe Frewitt SA compte à ce jour environ 110 employés, dont 80 sont rattachés au siège de Granges-Paccot. Trois structures de vente existent en France, en Allemagne et plus récemment en Chine, sans compter les agents indépendants représentant la marque dans le monde entier.

En 1996, quand Charles Phillot fut nommé CEO de Frewitt, l’entreprise n’existait que sous sa forme initiale de Fabrique de machines SA. Il a donc participé à son évolution technologique ainsi qu’à son internationalisation. En 2008, la PME a réussi son implantation en Chine, en créant l’entité Frewitt Shangaï, en mains 100 pour cent fribourgeoise et qui compte 25 salariés locaux. «C’était l’option la plus sûre par rapport à la joint-venture. L’idée était de commencer tout petit et travailler le marché avec notre propre personnel, une structure et un support de vente/ après-vente assurés par des Chinois sur le terrain.» Impossible, cependant, de s’établir seul et sans repères. C’est pourquoi Frewitt a sollicité l’aide du Swiss Center Shangaï ainsi que celle du Fribourgeois Nicolas Musy, amarré à Shangaï depuis 1995 avec sa société CH-ina, qui a pour but de faciliter l’implantation d’entreprises suisses en Chine.

Attendre la bonne personne plutôt que d’engager à tout prix 

Charles Phillot estime primordial le rôle des responsables RH au sein des entreprises. «C’est la personne clé, elle doit être présente à tous les niveaux de recrutement, que ce soit pour épauler le chef de ligne ou le CEO. Les responsables RH détiennent la vision globale et peuvent nous éviter à nous, techniciens et ingénieurs, de dériver de l’objectif initial. L’expérience m’a montré que les échecs sont rarement liés aux compétences professionnelles, mais surtout dus à la personnalité des candidats. On trouvera toujours les compétences techniques, mais les compétences humaines sont beaucoup plus rares.»

En Chine, le manager recherché par Frewitt devait parler anglais, avoir une expérience à la fois technique et commerciale, mais par-dessus tout, il devait avoir une personnalité convenant aux buts de l'entreprise. «Nous avons retenu deux types de candidats parmi les derniers en lice: des personnes très compétentes et convaincantes en apparence, et un candidat beaucoup plus modeste, qui ne se vendait pas comme les autres. Eh bien, c’est ce candidat qui nous a inspiré le plus confiance et nous l'avons choisi. Par la suite, cette personne a démontré qu’elle possédait toutes les qualités requises pour monter une équipe et établir un réseau de contacts sur le marché chinois.» En résumé, Charles Phillot nous explique que l’appréciation finale d’un candidat, après les critères de sélection objective, se joue en grande partie au plan intuitif.

Après sa formation d’électricien et d’ingénieur, il était sorti du microcosme fribourgeois pour accomplir un «stage professionnel et linguistique» de cinq ans à Aarau, auprès de l’entreprise Sprecher + Schuh, une des sociétés phares dans le domaine de l’électrotechnique suisse, aujourd’hui en mains étrangères. A son retour à Fribourg, il a travaillé comme responsable de vente chez Condis puis comme directeur de cette entreprise fondée en 1903 (Condensateurs Fribourg), avant de devenir CEO chez Fre- witt. Bien que la compétition soit devenue plus rude aujourd’hui au niveau des CEO qui ont presque tous une formation académique, Charles Phillot affirme que le système de formation duale est l’une des forces de l’économie industrielle suisse.

«Un excellent compagnon de cordée, à la montagne comme au travail» 

Par contre, il relève que la fidélité des employés envers l’entreprise n’est plus aussi forte qu’à l’époque. «En général, les jeunes ne sont plus très patients et visent à court terme.» Il reconnaît cependant que l’économie globalisée évolue très vite et est soumise à des cycles de crise de plus en plus courts et fréquents. La faute à qui ou à quoi? Lui ne se mettra jamais sur Facebook ou LinkedIn pour promouvoir ou recruter. «Je n’entre pas dans ce monde, les relations pour moi s’établissent autour d’une table.» Mais il ne regrette pas pour autant ce changement dont se chargera le nouveau CEO de Frewitt. Il le regarde lucidement et estime pouvoir apporter encore un certain nombre de développements positifs par son expérience et ses relations. «La société humaine et mondialisée évolue selon une dynamique propre, que personne ne contrôle. L’entreprise ne peut que s’adapter, elle subit et doit en même temps anticiper pour rester innovante.»

Alain Riedo, qui a repris la direction de la Chambre de commerce et d’industrie de Fribourg (CCIF) alors que Charles Phillot en était encore le président, confirme le caractère entier de son mentor. «Nous nous sommes connus il y a une trentaine d’années dans le cadre professionnel. Aujourd’hui, j’ai autant de plaisir à m’engager avec lui dans des aventures professionnelles que privées. Car il a toujours été un excellent compagnon de cordée, à la montagne comme au travail. Et sous la carapace, il y a toujours eu l’homme sensible, capable de verser une larme à la fin d’une épreuve.»

 

Bio express

  • 1948 Naissance à Villargiroud (canton de Fribourg)

  • 1983 Directeur de Condis (aujourd’hui propriété de Maxwell)

  • 1996-2011 CEO de Frewitt Fabrique de machines SA

  • 2011 Vice-président du conseil d'administration de l'Osec

 

 
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