Supprimer les lettres de motivation?
Les lettres de motivation sont autant insignifiantes que les profils de poste qu’elles essaient de décrocher, estime le blogueur Henner Knabenreich, spécialiste de la marque employeur. Il propose de les supprimer. Le consultant senior Roman Bodenmiller n’est pas de son avis et y reste attaché.
Photo: 123RF
Pour : Henner Knabenreich
Que dit une lettre de motivation sur les aptitudes d’un candidat? D’autant plus qu’une lettre de motivation est une réaction à une offre d’emploi, dont la qualité et l’impact laissent très souvent à désirer. Il est d’ailleurs piquant de relever que les recruteurs se plaignent souvent de ces lettres de motivation «copié-collé», qu’ils ne trouvent pas de bons candidats... alors que la vraie cause de leur problème sont justement leurs offres d’emploi qui sont elles aussi très souvent des «copié-collé». Réfléchissons un instant: pourquoi est-ce qu’un ingénieur en informatique ou une éducatrice de la petite enfance devraient rédiger une lettre de motivation? Cette lettre va-t-elle donner au recruteur des clés pour qu’il puisse évaluer leurs compétences techniques ou relationnelles? Ces compétences-là sont de toute manière visibles sur un CV ou sur le profil LinkedIn du candidat. Et de toute manière, très peu d’entreprises ont des attentes non-négociables pour un poste fixe. Ils ont plutôt une liste de souhaits, qui n’ont d’ailleurs que rarement un lien avec des défis professionnels ou des tâches précises. De plus, les recruteurs n’ont aucune influence sur la manière dont le candidat auto-évaluera ses chances par rapport à une offre d’emploi. Il existe plusieurs études sur la création d’une offre d’emploi, mais elles ne tiennent pas du tout compte de l’autoévaluation du candidat face à ces annonces. Et pourtant, les RH exigent des lettres de motivation qui prouvent noir sur blanc que le candidat est parfaitement adapté pour le poste. Souvent, une candidature sans lettre de motivation est recalée séance tenante. Malgré le fait que les informations d’une telle lettre sont souvent douteuses, vu qu’elles ont été écrites par quelqu’un qui essaie de donner une bonne impression de lui-même. Lire entre les lignes d’une lettre de motivation, c’est comme regarder dans une boule de cristal.
La réalité d’une auto-sélection est une chose, l’autoévaluation en est une autre. Quand un candidat se dit «bon dans la collaboration», nous ne savons pas encore ce qu’il a réellement démontré pour affirmer une chose pareille, ni d’ailleurs si le poste qu’il convoite exige vraiment d’être à l’aise dans une équipe. Cela dit, la plupart des personnes qui rédigent les offres d’emploi ne saisissent pas cette nuance non plus. Vient ensuite la question de savoir s’il est possible d’évaluer les compétences sociales, la flexibilité et l’esprit d’initiative d’un candidat en lisant sa lettre de motivation. Et puisque les offres d’emploi sont si vagues, est-il vraiment juste d’attendre d’une lettre de motivation des éléments de réponse concrets. Ne serait-il pas plus réaliste de supprimer tout simplement ces lettres de motivation et d’investir les ressources économisées de manière plus intelligente? Certaines entreprises ont compris que ces lettres n’étaient en réalité qu’un obstacle de plus dans la difficile recherche d’un candidat. Ils les ont supprimées.
Contre : Ramon Bodenmiller
Les lettres de motivation ne sont pas une espèce menacée. Au contraire, selon mon expérience, elles devraient figurer dans chaque dossier de candidature sérieux. Une lettre de motivation doit être évaluée dans son contexte, en tenant compte également du CV et des références annexées.
Chaque recruteur commencera par regarder le CV. On sait que les candidats disposent de six à douze secondes pour se faire remarquer par un CV. Comme la marge de manœuvre est si réduite, il suffit de peu de choses pour faire pencher la balance. Dans ce contexte, la lettre de motivation est un peu la dernière chance du candidat. Elle permet de donner une première impression au recruteur, même si chacun interprète différemment la fonction de ces lettres. Certains RH y attachent une grande importance, d’autres pas du tout, ils les survolent ou ne les lisent même pas.
Ce qui est certain, c’est qu’un chercheur d’emploi est entouré de concurrents. Selon la situation économique, la branche d’activité et la fonction, entre 50 et 80% des travailleurs sont en recherche active d’un nouveau défi professionnel. Pour des raisons de coûts et par faute de temps, les RH et les recruteurs n’attachent que très peu d’importance à tous ces dossiers de candidatures. Cette relative indifférence s’explique aussi par la banalité des dossiers de candidature, tous plus ou moins identiques, des simples copié-collé avec un design légèrement différent.
J’insiste donc ici sur l’importance de la lettre de motivation! Celle-ci ne révèle pas seulement l’originalité du candidat, mais aussi son authenticité, car les références sont souvent très formelles et les CV se ressemblent presque tous! Pour le candidat, la lettre de motivation est l’occasion de mettre sur papier les traits de sa personnalité et montrer pourquoi il ou elle s’intégrera parfaitement dans la culture d’entreprise. Ce n’est pas un exercice facile.
On reproche souvent aux RH et aux conseillers en personnel de ne pas bien savoir quels sont les besoins de la ligne. J’estime pourtant que cette discussion prendra toujours plus d’importance. Dresser avec précision le profil du poste mis au concours est la clé du succès. Quels sont les besoins précis de la fonction? Quelles compétences personnelles seront mises à contribution? Chaque détail doit être travaillé et peaufiné avec soin. C’est une question de responsabilité face aux candidats. A nous de clarifier avec soin nos besoins et d’analyser ensuite avec minutie son dossier de candidature pour y déceler ses compétences techniques et relationnelles. Ce travail, nous le devons aux candidats. Et ces efforts ne seront pas récompensés seulement avec de l’argent, mais aussi par la confiance et la reconnaissance des candidats.