Conseils pratiques

Télétravail: une initiative parlementaire inadéquate

Selon les statistiques, plus d’un quart de la population suisse active travaille au moins une fois par semaine depuis la maison. Ce nombre est en constante augmentation et peut présenter de nombreux avantages pour toutes les parties au contrat de travail. Néanmoins, comme toutes bonnes choses, il faut veiller à ne pas en abuser...

Le 1er décembre 2016, le conseiller national libéral-radical Thierry Burkart a lancé une initiative visant à assouplir les conditions encadrant le télétravail. Le projet porte sur trois dispositions contenues dans la Loi sur le travail. La première mesure viserait à étendre l’intervalle de travail à 17 heures, à la place des 14 heures prévues à ce jour. Aujourd’hui, les collaborateurs qui commencent leur journée à 7 heures, doivent arrêter au plus tard à 21 heures toute activité professionnelle. L’initiative permettrait d’étendre la journée de travail, dans cet exemple, jusqu’à minuit.

La seconde mesure permettrait d’alléger la définition de prestation professionnelle en considérant que les prestations de courte durée fournies occasionnellement, notamment la rédaction d’un courrier électronique, ne constituent pas une interruption du temps de repos. Enfin, la dernière mesure aurait comme objectif de permettre aux travailleurs à domicile de travailler le dimanche, sans autorisation.

Définition du télétravail

C’est une forme particulière d’organisation et d’exécution du travail qui permet au collaborateur d’effectuer à domicile le travail qui est normalement réalisé dans les locaux de l’employeur. Les entreprises lui confèrent une place grandissante car elle présente certains avantages pour les collaborateurs: gain de temps en limitant les déplacements, accroissement de la productivité et diminution du stress. Attention, ce mode de travail peut se révéler risqué si ses modalités ne sont pas prévues contractuellement.

Inadéquation de l’initiative avec le droit du travail

Selon l’initiative, un intervalle de 17 heures de travail permettrait aux collaborateurs de mieux concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée. Or, plusieurs dispositions légales obligent l’employeur à respecter la vie privée du collaborateur. Pour ce faire, une journée de travail doit avoir un début et une fin. Permettre d’étendre la journée de travail sur un intervalle de 17 heures ne répond en aucun cas aux obligations légales et est de surcroit excessif.

Par ailleurs, la Loi sur le travail impose que les travailleurs bénéficient d’une durée de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives. Dans ce cas, si le collaborateur termine sa journée de travail à minuit, il ne pourra recommencer à travailler qu’à 11 heures, le lendemain matin. Ce mode de faire est préjudiciable pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

Pour le surplus, il n’est pas justifié d’accorder un régime particulier aux travailleurs à domicile. Si les collaborateurs occupés au sein d’une entreprise sont soumis à des horaires fixes et des temps de repos obligatoires, il est nécessaire qu’il en soit de même pour les travailleurs à domicile.

Le fait d’adopter, dans la loi, une disposition indiquant que les prestations de courte durée, fournies occasionnellement, ne sont pas du temps de travail est une aberration. Elle équivaut à une pression supplémentaire pour les travailleurs. Une telle disposition aurait pour effet d’obliger les collaborateurs à consulter notamment leur messagerie électronique professionnelle à toute heure du jour et de la nuit, sous peine de ne pas fournir les prestations de travail attendues par l’employeur.

De plus, la limite entre prestation de travail prise en compte et prestation occasionnelle entraînerait un risque de confusion pour les collaborateurs qui devraient déterminer, dans chaque cas, si l’activité en question est du temps de travail ou non. Pour des besoins pratiques, la limite doit être claire et toute activité professionnelle être en principe considérée comme du temps de travail.

La Loi sur le travail est stricte. Le dimanche est un jour de repos. Le travail dominical n’est autorisé qu’en cas de besoin particulier ou d’urgence. Dans ce cas, il doit faire l’objet d’une majoration de salaire de 50% jusqu’à six dimanches travaillés par année. En outre, lorsque le collaborateur exerce une activité professionnelle durant plus de 5 heures un dimanche, elle doit être compensée dans la semaine qui suit ou qui précède par un jour de congé.

Dès lors, s’il est laissé au travailleur à domicile la possibilité de travailler le dimanche, l’employeur subira une double peine. En effet, il devra verser un salaire majoré de 50% et, si l’activité a duré plus de 5 heures, il devra en plus accorder un jour de congé à son collaborateur dans la semaine qui suit ou qui précède ... Vous comprendrez les désorganisations engendrées au sein de l’entreprise!

Convention de télétravail

Il est conseillé aux entreprises qui mettent en place le télétravail d’adopter une convention qui règle les spécificités propres au travail à domicile. Doivent y figurer l’enregistrement du temps de travail, les obligations de disponibilité ou encore les cas dans lesquels l’employeur peut exiger du travailleur qu’il se présente dans les locaux de l’entreprise.

Il est également important de prévoir un devoir de confidentialité accru, dans la mesure où les données de l’employeur sont traitées et conservées au domicile du collaborateur. Pour le surplus, en raison de l’Accord sur la libre circulation des personnes, le taux d’activité à domicile des collaborateurs frontaliers ne doit pas dépasser 25%. Le cas échéant, ils seraient soumis aux cotisations sociales de leur pays de résidence et non plus aux cotisations sociales suisses.

Au vu de tous les éléments développés, nous ne pouvons qu’espérer que l’initiative soit classée à la verticale. L’augmentation du temps de travail ne peut mener qu’à une insécurité quant à la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Il est nécessaire que la Loi sur le travail soit respectée dans sa globalité.

En résumé

Le télétravail est une forme d’organisation du travail à domicile qui s’effectue avec les nouvelles technologies. Il permet au travailleur de gagner du temps et de mieux concilier vie privée et vie professionnelle.

Les droits et obligations du travailleur et de l’employeur sont les mêmes que si le collaborateur effectuait sa prestation dans les locaux de l’entreprise. Les dispositions sur le temps de travail doivent impérativement être respectées.

Le télétravail doit obligatoirement faire l’objet d’une convention entre les parties afin de régler les spécificités et les modalités liées à ce type très particulier de travail.

L’employeur diligent veillera aussi à insérer une clause de confidentialité accrue.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

 

Marianne Favre Moreillon, spécialisée en droit du travail, est Directrice et Fondatrice du cabinet juridique DroitActif à Lausanne. 

Lien: www.droitactif.ch

 
Plus d'articles de Marianne Favre Moreillon