«Tonton Piston»
Aussi vieux que la notion même de corps social, les pistonnés sont légion en entreprise, constate le D.R. Hache dans le troisième volet de ses récits tirés son expérience de cadre dans un grand groupe bancaire.
Photo: Pawel Furman / Unsplash
Le chef a toujours voulu que son fils soit chef, et si la monarchie de droit divin a été récemment abolie, on continue à voir les membres de l'élite vouloir pousser leurs rejetons ou ceux de leurs amis afin de rester entre gens qui se comprennent, et qui vous menacent moins que les barbares aux aguets derrière le mur d'Hadrien.
Dans les grands groupes industriels ou financiers, ils fleurissent non comme des roses sur le fumier mais plutôt comme des chardons sur un bon terreau, représentant une des terreurs ultimes du recruteur.
Rien n'est pire en effet que le neveu du beau-frère du patron de métier, qui va faire comprendre à mots parfois mal cachés qu'il serait de bon ton de prendre en stage le jeune Gontran. On assiste parfois à de merveilleux phénomènes de faux-culterie manuscrite, où le pistonneur se dédouanera à l'avance: «Je ne connais pas personnellement ce jeune homme mais j'en ai entendu le plus grand bien» au cas où cela se passe mal.
L’art de gérer le pistonné
La relation familiale ou le fils d'ami est compliqué à gérer c'est pourquoi il convient de se fixer quelques règles:
- Tout d'abord, on le reçoit, sauf lorsqu'il a un brevet des collèges et que son oncle veut qu'il soit structureur en salle des marchés, et je force à peine le trait. L'amour rend aveugle, et le pouvoir peut corrompre, surtout la faculté de raisonner dans certains cas. Donc oui, l'égalité est un mythe, si vous connaissez des gens, activez votre réseau ça vous ouvrira des portes, c'est toujours ça de pris.
- Durant l'entretien, on ne mentionne pas Tonton Piston, et si le candidat a la maladresse d'évoquer son affection népotique on ne s'étend pas, on ne connaît pas. On peut à la limite se permettre un sourire de complaisance exprimant une légère émotion à l'idée de ce grand chef dont on a peut-être entendu parler, voire entraperçu de loin...Tout cela est vrai quel que soit le rôle du pistonneur dans la maison bien sûr. Dans le pire des cas, on appliquera la maxime «passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est un plaisir de fin gourmet»; dans le meilleur, on aura permis de faire mieux glisser un entretien un peu rêche.
- On multiplie les tests quantitatifs pour se donner des cartouches s'il faut justifier un refus, surtout éviter même en interne les critères subjectifs comme «immaturité», «attitude», sans quoi l'on peut passer naturellement de juge à accusé sans bien s'en apercevoir.
Le fils de gros client est souvent plus facile à gérer: curieusement, l'expérience semble montrer qu'il s'avère meilleur candidat que le neveu, pour des raisons que je ne m'explique pas vraiment. Sans doute est-il un peu moins sûr de lui, plus apte à la remise en cause et donc plus souple. Son autre atout, c'est qu'il est recommandé par un opérationnel, qui n'hésitera pas à le prendre dans son propre département pour être sûr que ça se passe bien et pouvoir faire risette au papa.
Par opposition, l'oncle ne voudra jamais prendre le neveu chez lui, ça serait très inconvenant mais insistera lourdement pour qu'il soit casé à une bonne place. En clair, débrouillez-vous.
Et puis bien sûr, la règle à appliquer, c'est de ne pas se bloquer afin de pouvoir reconnaître les bons, ceux qui ont non seulement une cuillère en argent dans la bouche et de la soie dans le caleçon, mais aussi les neurones en ordre de bataille et les compétences ad hoc pour le poste. Ceux-là, il ne faut pas les louper sous prétexte qu'ils ont tout pour eux.