Droit et travail

Un amour à risques

Amour et travail font rarement bon ménage. Le collaborateur peine à distinguer vie privée et vie professionnelle, tandis que l’employeur redoute les aléas propres à toute relation amoureuse, notamment les ruptures et conséquences qui vont avec.

L’employeur, soucieux des intérêts de son entreprise, est tenté de réglementer les relations personnelles de ses employés. Il va déconseiller à ces derniers de lier des relations amoureuses avec un ou une collègue, a fortiori s’ils travaillent dans le même département. Il arrive que l’employeur exige que les amoureux s’annoncent dans les plus brefs délais à leur supérieur hiérarchique. La direction peut même se réserver le droit de les muter dans un autre site, voire de mettre fin à leur contrat de travail. Pourquoi prendre de telles mesures? Sont-elles licites?

Pour que travail et vie privée fassent bon ménage 

L’employeur réglemente les relations personnelles de ses collaborateurs dans le but d’éviter les éventuelles répercussions de celles-ci sur les intérêts de l’entreprise. Dans les milieux bancaires et financiers, les entreprises prennent un soin tout particulier à réglementer les relations entre collègues sur le lieu de travail. Ce faisant, elles espèrent éviter des conflits d’intérêts, éviter que les collaborateurs violent leur devoir de confidentialité, mais aussi se protéger contre toute plainte, notamment pour harcèlement sexuel, dont les conséquences peuvent porter préjudice à leur image. 

Par ailleurs, l’employeur cherche à favoriser le climat général de l’entreprise, notamment à éviter que des tensions entre anciens amants viennent perturber la bonne marche du travail au sein de l’entreprise, en particulier le travail en équipes. De même que l‘employeur cherche à éviter que nos amoureux transis laissent leurs émotions prendre le dessus et mettent la pédale douce sur leur travail. 

Il semble dès lors normal que l’employeur soit réticent et voie les relations personnelles de ses collaborateurs d’un mauvais œil. Mais l’intérêt de son entreprise lui permet-il d’aller jusqu’à édicter des directives strictes relatives aux éventuelles relations amoureuses sur le lieu de travail? 

Risques de porter atteinte à la personalité du collaborateur 

Dans les rapports de travail, l’employeur est tenu de protéger la sphère privée ainsi que la personnalité de ses employés. En réglementant les relations personnelles de ces derniers, il s’immisce dans leur vie privée de telle sorte qu’il risque de porter atteinte à leur personnalité. Or, une telle atteinte ne peut se justifier que si l’intérêt de l’employeur est prépondérant. 

Tel serait le cas dans l’hypothèse où un directeur du département R&D a une aventure avec la cheffe des ventes, ou encore un directeur RH avec n’importe quelle collaboratrice. L’intérêt de l’employeur ne l’emporte toutefois pas systématiquement, c’est pourquoi il est important de traiter chaque situation au cas par cas. 

L’employeur qui licencie un collaborateur peu de temps après que celui-ci a rendu officielle sa relation avec une collègue, risque, non seulement, de porter atteinte à la personnalité du collaborateur, mais aussi de se voir reprocher un licenciement abusif par ce dernier. 

Risques de violation de secrets des affaires 

Le Code des obligations qualifie d’abusif un congé donné pour une raison liée à la personnalité de l’employé, à moins que cette raison ne soit en lien avec le rapport de travail ou qu’elle porte un préjudice grave au travail dans l’entreprise (art. 336 CO). Le collaborateur licencié en raison de sa liaison amoureuse pourrait ainsi dénoncer un licenciement abusif au motif que celui-ci repose sur un élément lié à sa personnalité. 

L’entreprise devrait alors justifier qu’il portait réellement préjudice à l’entreprise, par exemple en cas de risque de violation de secrets d’affaires. En 2002, le Tribunal fédéral a ainsi jugé le cas de deux concubins employés dans une grande société pharmaceutique. Tous deux avaient, dans le cadre de leurs fonctions, accès à certaines données sensibles. L’un d’eux, après avoir quitté la société pharmaceutique, partit rejoindre la concurrence. Peu de temps après son départ, son amie fut licenciée «à titre préventif». Elle contesta son licenciement qu’elle qualifiait d’abusif. Au vu de la concurrence acharnée qui règne dans le milieu pharmaceutique, le Tribunal fédéral a jugé que l’employée était plus exposée à violer son obligation de confidentialité, même involontairement. Il a donc rejeté le caractère abusif du licenciement.

Code de conduite: pas une solution adéquate

Qui ne connaît pas l’expression selon laquelle l’amour ne se commande pas, mais nous tombe dessus au moment où l’on s’y attend le moins? Stigmatiser, au travers d’un code de conduite, toutes les relations qui se nouent sur le lieu de travail n’est dès lors pas une solution adéquate. D’autant plus que, la plupart du temps, cela n’a aucune incidence sur le travail des employés concernés ni ne porte atteinte aux intérêts de l’entreprise. 

Les intérêts personnels du collaborateur ne permettent en principe pas de réglementer strictement les relations personnelles de celui-ci. Edicter un code de conduite sur la matière n’est dès lors pas dépourvu de risques. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que l’employeur peut prendre de telles mesures, notamment lorsque la protection de secrets d’affaires le justifie. 

Il est par ailleurs préférable que l’employeur recoure, autant que possible, à des dispositions ponctuelles. S’il en a la possibilité, il pourrait muter sur des sites différents les employés dont la relation amoureuse, clairement affichée, causerait du tort à l’entreprise ou encore sanctionner d’un avertissement les collaborateurs qui se livreraient à des scènes de ménage au beau milieu d’un open space. Tout cela ne change rien au fait que les intérêts personnels du collaborateur priment presque toujours sur ceux de l’entreprise. Eradiquer les relations amoureuses au lieu de travail est rarement possible et loin d’être simple.

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Marianne Favre Moreillon, spécialisée en droit du travail, est Directrice et Fondatrice du cabinet juridique DroitActif à Lausanne. 

Lien: www.droitactif.ch

 
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