Un service de milice pour tous?
L'Etat doit-il obliger tout le monde - hommes, femmes et étrangers établis - à effectuer une année de travail d'intérêt général? Quels sont les arguments pour et contre? Nos contributeurs invités prennent position.
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Esmir Davorovic - HR Strategies Consultant chez HR Campus AG & Community Lead chez HR Cosmos
Avant d'exiger un service de milice pour tous, il convient de clarifier ce que l'on entend par service de milice, qui l'on entend par «tous» et quel est l'objectif visé. Dans les pays germanophones, le service de milice est connu sous différentes formes. En Suisse, il est particulièrement bien ancré en tant que service militaire ou civil, raison pour laquelle le contenu de ce service n’a guère évolué. Le plus petit dénominateur commun des personnes concernées: il s'agit de (jeunes) hommes. En Suisse, la discussion commence ici. Outre les personnes en sitation de handicap ou sans nationalité, l'attention se porte sur la plus grande population non incluse: les femmes. Faut-il élargir le cercle des personnes astreintes au service de milice? D'un point de vue dialectique, l'élargissement serait le bienvenu pour promouvoir la cohésion sociale, les dernières décennies ayant entraîné une singularisation dans la société (voir «La société des singularités» d’Andreas Reckwitz, ndlr). Mais serait-ce également juste? Les femmes effectuent aujourd'hui une grande partie du travail de care non rémunéré. C'est un service rendu à la collectivité qui n'est pas assez récompensé. La répartition du travail de care entre les sexes ne sera probablement jamais tout à fait équilibrée. Le service de milice (inexistant) pour les femmes n'est logiquement pas la cause du problème, mais plutôt des structures désavantageuses (mauvaise conciliation entre famille et travail, attentes sociales en matière de rôles). Si ces facteurs perturbateurs sont réduits, il y a davantage d'arguments en faveur d'une extension du service de milice que contre. Mais tant que nous n'en sommes pas encore là en tant que société (et nous ne le serons pas de sitôt), il est possible d'agir à d'autres niveaux. Il est temps que les entreprises assument elles aussi davantage leur rôle social et permettent à leurs collaborateurs de s'engager socialement (par exemple en leur accordant des jours de congé pour participer à des projets sociaux). Le découplage de l'action économique des intérêts de la société contribue davantage à la singularisation dans la société que l'absence de service de milice.
Andrea Nemes - Avocate chez Schiller Rechtsanwälte à Winterthour
Le terme «service de milice» signifie que des personnes exercent des fonctions ou des tâches publiques, le plus souvent à titre accessoire, sur une base volontaire ou en vertu d'une obligation légale. Comme l'armée suisse est également organisée selon le principe de la milice, le terme de service de milice désigne en particulier l'obligation de servir, qu'il s'agisse du service militaire, du service civil, du service de la protection civile et de l'obligation de payer des taxes. Selon la Constitution fédérale, cette obligation ne s'applique qu'aux hommes suisses (art. 59 et art. 61 Cst.). Pour les Suissesses, le service militaire est volontaire; les étrangères et les étrangers en sont exclus. Actuellement, des discussions sont en cours pour savoir si l'obligation de servir peut et doit être étendue aux Suissesses et/ou aux étrangers. En 2010, le Tribunal fédéral a encore répondu par l'affirmative à la question de savoir si l'inégalité de traitement entre hommes et femmes était compatible avec l'égalité de droit ancrée dans la Constitution, au motif qu'elle était justifiée par des différences biologiques. En 2018, il a en revanche estimé que l'inégalité de traitement était contraire à l'interdiction de la discrimination. La contradiction était toutefois justifiée, car la Constitution fédérale elle-même prescrivait que le service militaire obligatoire était limité aux hommes. Ce n'est pas au Tribunal fédéral, mais au constituant de décider si cette réglementation est judicieuse ou doit être modifiée. Le Tribunal fédéral se réfère ainsi à juste titre au principe de la séparation des pouvoirs dans cette question. Une modification de la Constitution, par exemple par le biais d'une initiative populaire, pourrait entraîner une égalité formelle. On peut se demander à quoi devrait ressembler un aménagement équitable, notamment comment tenir compte du fait que les périodes de formation sont de plus en plus longues et que les femmes - du moins les mères - sont de toute façon confrontées à des absences supplémentaires au travail. En ce qui concerne l'obligation de servir pour les étrangers, il faudrait tenir compte du fait que les droits correspondants vont de pair avec les obligations respectives. La question de l'octroi du droit de vote devrait être incluse dans la discussion.