Les travailleuses enceintes sont mal protégées, selon une étude
Alors que l’Ordonnance sur la protection de la maternité au travail (OProMa) a vingt ans cette année, une étude menée par Unisanté et la Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV) auprès de 202 entreprises de Suisse romande démontre que les travailleuses enceintes ne bénéficient pas des mesures de protection auxquelles elles ont droit. Ces lacunes d’application pèsent sur la santé des femmes et de l’entreprise.
Devenir mère concerne la grande majorité des femmes actives. Bien que l’exercice d’une activité ne présente pas forcément de risques pour la grossesse, certaines conditions de travail peuvent affecter la santé des femmes et de leurs futurs enfants, note un communiqué. Les études estiment que le travail est en cause dans environ 10% des pathologies de grossesse. C’est pourquoi la Suisse a, comme d’autres pays, introduit des dispositions juridiques de protection de la maternité au travail au travers de la Loi sur le travail et, depuis 20 ans, de l’Ordonnance sur la protection de la maternité (OProMa). Plusieurs études démontrent l’efficacité de ces politiques de protection, tant pour éviter des pathologies chez les travailleuses et leurs enfants que pour réduire l’absentéisme pendant la grossesse.
Obligations de l’employeur selon l’OProMa
La Loi sur le travail exige que les employeurs occupent les femmes enceintes ou qui allaitent de manière à ce que leur santé et celle de l’enfant ne soient pas compromises. Dans les entreprises exerçant des activités à risque, l'employeur doit mandater de manière anticipée un·e spécialiste de la sécurité au travail, afin d’effectuer une analyse de risque. À l’annonce d’une grossesse à un poste à risques, l'employeur doit proposer à l’employée les aménagements nécessaires ou la réaffecter à un poste ne présentant pas de risques pour sa grossesse. Il doit également transmettre l’analyse de risques à la·le médecin traitant·e, afin qu’elle·il se détermine sur l’aptitude au travail de sa patiente et un éventuel congé préventif.
Application lacunaire des mesures de protection
Conduite par Unisanté et la Haute École de Santé Vaud (HESAV) auprès de 107 entreprises du secteur de la santé et 95 de l’industrie alimentaire, et financée par le Fonds national suisse (FNS), l’étude « Protection de la maternité au travail : pratiques, obstacles, ressources » révèle une application lacunaire des mesures de protection de la grossesse au travail : faible taux d’analyses de risques, aménagements et réaffections non systématiques, pas ou peu de proactivité dans les informations données aux employées enceintes. Cette application diffère selon les caractéristiques des entreprises : elle est plus rare dans les petites ou moyennes entreprises et dans les entreprises privées (par rapport à celles du secteur public). 12 % des employées dans les entreprises de la santé et 2 % dans les entreprises de l’industrie alimentaire bénéficieraient d’une protection conforme à l’OProMa.
Représentation discordante des risques
Les entretiens menés auprès de différentes parties prenantes (responsables des ressources humaines, employeurs, médecins du travail, spécialistes de la santé au travail, femmes ayant vécu une grossesse en cours d’emploi) pour comprendre leurs perceptions et pratiques révèlent que travailleuses et managers n’ont pas toujours la même représentation des risques : les travailleuses enceintes ont souvent identifié une sous-estimation de certains risques et une protection insuffisante, alors que les managers estimaient mettre en place des mesures adéquates. Ces entretiens ont en outre permis d’observer une diversité des pratiques : alors que certaines directions instaurent des procédures alignées sur la législation, d’autres privilégient une protection informelle et au cas par cas, faisant appel au « bon sens » des managers. Une stratégie qui présente de nombreuses limites.
Conséquences sur la santé des employées et de l’entreprise
L’absence de prévention a des conséquences sur trois plans. 1. Elle met en danger la santé des employées et de leurs enfants. 2. Elle conduit à l’augmentation des absences maladie, à l’augmentation des primes d’indemnités journalières qui en découle et à la désorganisation liée à ces absences. 3. Elle peut contribuer à renforcer les discriminations envers les employées enceintes. À moyen terme, cela peut entraver le retour en emploi et engendrer une perte des compétences de l’entreprise.
L’étude a permis d’identifier les pratiques existantes qui sont propices à une conciliation travail-maternité favorable à la santé : existence d’une analyse de risque, présence d’un service de santé au travail interne à l’entreprise, articulation entre des mesures prévues d’office et la prise en compte des besoins individuels des employées, mobilisation des collègues dans le respect des ressources des équipes.
Pour une politique de santé et de sécurité au travail
La conciliation entre grossesse et emploi (plus généralement la maternité et la paternité) devrait être considérée comme une responsabilité des entreprises et de la société, non uniquement comme une responsabilité privée de la travailleuse. Une réflexion mériterait d’être ouverte sur la mutualisation des coûts, notamment pour les PME. En effet, si des solutions de branches existent déjà, elles mériteraient d’être perfectionnées et complétées par des ressources en matière de prévention et d’inaptitude. Cela pourrait se faire par le biais des assurances sociales, par exemple avec l’instauration d’un congé prénatal et d’un fonds dédié aux congés préventifs, mais également par le développement de services publics de santé au travail qui pourraient soutenir employeurs et employées dans la recherche d’une conciliation travail-maternité harmonieuse.